Vieux Farka Touré

Mon Pays
Sortie le 9 septembre 2013
Label : Six Degrees
Sur son premier album, en 2007, Vieux Farka Touré rendait hommage à son père, Ali, la légende du blues malien, tout en laissant entrapercevoir un style plus émancipé, nourri d’Occident. Aujourd’hui signé sur un label américain, Six Degrees, et après plusieurs albums où il a développé son blues hybride, Vieux se devait de réagir au conflit malien. Il est donc revenu sur ses terres pour y enregistrer « Mon Pays », qui réunit son expérience internationale et la tradition mandingue dans un groove méditatif, un petit totem élevé pour célébrer la splendeur culturelle du Mali.
Sur son premier album, en 2007, Vieux Farka Touré rendait hommage à son père, Ali, la légende du blues malien, tout en laissant entrapercevoir un style plus émancipé, nourri d’Occident. Aujourd’hui signé sur un label américain, Six Degrees, et après plusieurs albums où il a développé son blues hybride, Vieux se devait de réagir au conflit malien. Il est donc revenu sur ses terres pour y enregistrer « Mon Pays », qui réunit son expérience internationale et la tradition mandingue dans un groove méditatif, un petit totem élevé pour célébrer la splendeur culturelle du Mali.

Souvenirs d’Ali Farka Touré

C’est un après-midi de mai, en 2006. Un groupe de routards français mélomanes entreprend un pèlerinage dans une petite ville du bord du fleuve Niger, Niafounké. C’est la porte du nord du Mali, mais aussi le village natal d’Ali Farka Touré qui en devint l’édile en 2004, deux ans avant de s’y éteindre. Les jeunes français, se rendent à la Mairie, y rencontrent un vieillard affalé sur une chaise, lui expliquent leur requête : se recueillir sur la tombe d’Ali Farka Touré, génial autodidacte devenu l’un des meilleurs guitaristes du monde et le plus grand des ambassadeurs de la culture malienne. Une heure plus tard, visiblement touché par leur démarche, le propre fils d’Ali, Vieux, les emmène dans son 4X4 pour leur présenter la dernière demeure de son père. Là, dans le désert, semblent résonner les accords de « Talking Tumbuktu », l’album de pur blues d’Ali Farka Touré et enregistré avec Ry Cooder, tandis que Vieux contemple les dunes, sans un mot.

Une émancipation progressive

A peine un an après la mort de son père, Vieux Farka Touré sortait son premier album éponyme, en défrisant au passage une partie des critiques : à peine sorti de son deuil, le voilà qui s’aventurait sur les mêmes terres que son père, toutes guitares dehors, passion qu’il entretenait en secret alors qu’il apprenait le maniement de la calebasse à l’Institut des Arts du Mali. Impossible pourtant de crier au mimétisme : Vieux a développé son propre style, nourri d’influences occidentales tout en gardant un pied dans la tradition malienne. Un son emblématique qu’il enrichira sur ses deux albums suivants, dont « the Secret », enregistré aux Etats-Unis, avec une poignée de guests, dont Derek Truck (membre du Allman Brothers Band) ou Dave Matthews. Un troisième album, véritable concentré de blues rock, qui a ouvert de nouvelles portes à Vieux, l’imposant comme l’un des représentants majeurs de la culture malienne d’aujourd’hui à l’étranger. Il l’avoue d’ailleurs lui-même : « je passe ma vie à tourner en Amérique du Nord ou en Europe » s’amuse-t-il. Comme un symbole, il fut même l’un des rares musiciens invités à se produire en ouverture de la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud. Son père en aurait été fier.

« Mon Pays », entre Nord et Sud, entre guerre et paix

Mais entre temps, le Mali a changé, déchiré par la rébellion touareg au Nord et l’infiltration des groupes islamistes débarqués de Libye ou du Moyen-Orient, suivie, comme on le sait, par l’intervention des armées françaises et tchadiennes. À Niafounké, l’un des passages obligés entre le Nord et le Sud, la situation s’est tendue au point que presque toute la famille Farka Touré a dû fuir à Bamako. Impossible dans ces conditions pour Vieux de rester insensible. Lui qui a dû résister aux pressions familiales qui le voyaient plutôt s’engager dans l’armée plutôt qu’embrasser la carrière de musicien, revient donc à ses racines sur « Mon Pays ». Pas un album protestataire. Même pas une complainte du front. Simplement un petit totem élevé pour célébrer la splendeur culturelle du Mali, des manuscrits de Tombouctou aux rives du Niger. Un message d’amour et de paix à destination du monde extérieur, mais aussi des maliens eux-mêmes, déplacés et meurtris par les combats et le fanatisme d’une poignée d’islamistes ayant détourné l’Islam. Le conflit malien s’accompagne justement d’une interdiction de la musique et d’un retour à l’esclavage. Touré évoque directement ces tragédies dans « Ya Gando ». Construit autour de la calebasse de Souleymane Kané, ce morceau met en garde contre les envahisseurs étrangers venus priver le Mali de son héritage. « Pour moi, ce pays appartient à nous, les Maliens, dans toutes nos différences, entre le Nord et le Sud, entre les Touaregs, les Bambaras, les Dogons... Il faut que tout le monde le comprenne » explique Vieux Farka Touré, avec cette particularité : lui-même musulman, il condamne fermement les islamistes « qui dévoient l’islam et qui ont cherché à interdire la musique, pour mieux contrôler le peuple ».

Le nouveau duo Farka Touré – Diabaté

Parler du Mali, pour Touré, c’est donc aussi parler de ses propres concitoyens. Il rend ainsi un hommage appuyé à « Diack So », un grand guitariste africain de la génération de son père, ou au moins connu Nouhoume Maïga, « un grand Niafounkois » comme lui, « qui a le courage de donner du travail aux habitants du village qui en manquent terriblement. Pour s’en sortir, il faut pouvoir redistribuer le peu d’argent qu’on a, a fortiori aujourd’hui, alors que beaucoup d’infrastructures ont été détruites et qu’il faut redémarrer à zéro ! » commente Touré qui consacre 10% de ses royalties à la lutte contre le paludisme – il compte d’ailleurs créer une véritable ONG pour participer au développement du Nord et venir en aide aux plus démunis. Parfois, la musique se suffit à elle-même pour faire passer ses messages, comme dans les magnifiques instrumentaux « Future » et « Peace ». La guitare de Vieux s’y mêle au grain cristallin de la kora du « jeune » Sidiki Diabaté – oui, le fils de Toumani Diabaté, avec qui Ali Farka Touré forma l’un des plus beaux duos tradi-modernes de l’Afrique de l’Ouest et avec qui Vieux enregistré un titre sur son album « Fondo ». Deux morceaux aux sublimes entrelacs qui forment « le début du commencement », sourit Vieux Farka Touré. « Sidiki a énormément appris à caresser son instrument » explique-t-il, « et nous avons développé une relation très forte entre nous. Du coup, nous allons probablement faire un album ensemble dans les mois à venir ».

Ay Bakoy, le message de paix

Le plus beau message de paix conclut « Mon Pays », « Ay Bakoy ». Touré y réaffirme sa collaboration étroite avec le pianiste israélien Idan Raichel, avec qui il a beaucoup tourné en 2012 au sein du « Touré Raichel Collective », autour de l’album « Tel Aviv Session ». Cette fois-ci, c’est Raichel qui est venu à Bamako pour enregistrer avec Touré pour démontrer que la musique est universelle, dépasse les frontières et les religions. « La musique m’a beaucoup rapproché de Raichel, c’est inexplicable, presque de la télépathie. J’espère que la musique continuera à rapprocher les Maliens au-delà des différences entre le Nord et le Sud et entre les ethnies ». Tout un message de paix résumé dans cette élégante élégie où la guitare et le piano s’unissent dans la même méditation.