Le Mississippi
Le chant des fleuves
Sortie 2 décembre 2014
Label : Accords Croisés
Les musiques du monde semblent souvent suivre le cours immuable de la tradition. Celle-ci, pourtant, se gonfle d’alluvions diverses, se gorge d’affluents tumultueux et sort quelques fois de son lit comme le fait un fleuve. Il faut penser au Nil, au Mississippi, au Niger, au Gange ou au Danube…
Ces fleuves charrient de multiples courants nourris d’une infinité de paysages et de vies croisés tout au long d’un voyage incessant. Il suffit de se rappeler les musiques qui se confient à ces fleuves tout au long de leurs trajets. Elles s’alimentent de leur course et elles s’abreuvent de leur mouvement perpétuel. Le chant des fleuves vous propose d’explorer le cours des musiques qui s’épanouissent au bord de ces eaux ancestrales. Le Mississippi en est le second volume.
Ces fleuves charrient de multiples courants nourris d’une infinité de paysages et de vies croisés tout au long d’un voyage incessant. Il suffit de se rappeler les musiques qui se confient à ces fleuves tout au long de leurs trajets. Elles s’alimentent de leur course et elles s’abreuvent de leur mouvement perpétuel. Le chant des fleuves vous propose d’explorer le cours des musiques qui s’épanouissent au bord de ces eaux ancestrales. Le Mississippi en est le second volume.
Les musiques du monde semblent souvent suivre le cours immuable de la tradition. Celle-ci, pourtant, se gonfle d’alluvions diverses, se gorge d’affluents tumultueux et sort quelques fois de son lit comme le fait un fleuve. Il faut penser au Nil, au Mississippi, au Niger, au Gange ou au Danube...
Ces fleuves charrient de multiples courants nourris d’une infinité de paysages et de vies croisés tout au long d’un voyage incessant. Il suffit de se rappeler les musiques qui se confient à ces fleuves tout au long de leurs trajets. Elles s’alimentent de leur course et elles s’abreuvent de leur mouvement perpétuel. Le chant des fleuves vous propose d’explorer le cours des musiques qui s’épanouissent au bord de ces eaux ancestrales. Le Mississippi en est le second volume.
MISSISSIPPI
« Je ne sais pas grand chose des dieux mais je crois que le fleuve est un puissant dieu brun - buté, sauvage et intraitable, patient jusqu’à un certain point... » (T.S. Eliot. Four quartets. The Dry Salvages. Traduction Pierre Leyris).
Un nom venu d’un autre temps, un mythe, un Dieu peut-être, il coule des grands lacs jusqu’au Golfe du Mexique. Ses eaux s’en vont caresser tous les rivages musicaux qui firent l’histoire des musiques américaines. Il colle dans les vases du blues, il sue dans les bayous des musiques cajun et zydeco, il se gonfle du souffle des jazzmen de New Orleans, il déborde d’enthousiasme sous le rock et la soul de Memphis, il bruisse des vagues old time, bluegrass, folk, rock et rap des villes et des campagnes qu’il traverse. Il est le grand fleuve musique par excellence.
LE PERE DES EAUX
Misi Sipi, en algonquin, signifie le père des eaux. Ces Indiens du nord lui ont donné ce nom qu’il a charrié avec lui sur plus de 3.000 kilomètres. On peut se demander comment l’appelaient ceux du sud avant d’entendre cette métaphore indienne. D’autant que pour les esclaves il fut l’old man river, le vieux bonhomme fleuve, le « vieux père » comme le dit William Faulkner. D’autres l’appellent, malgré eux peut-être, the « Big Muddy », le grand boueux.
« Ils cessèrent de bouger et tous purent alors l’entendre, et ils écoutèrent le fort et puissant murmure de basse profonde. ‘Le vieux père’ dit le forçat voleur de train ». (William Faulkner. Si je t’oublie, Jérusalem. L’Imaginaire. Gallimard).
C’est qu’il chante le bougre, il muse, il pousse de la voix, il gronde, il hurle parfois. Et l’homme de l’écouter, de le craindre, de le respecter mais de devoir céder à sa colère quand il se déchaîne.
Ce fleuve géant prend sa source tout au nord des États-Unis, dans la région du lac Itasca. Il descend vers le sud, baignant au passage les grandes villes de Minneapolis, St. Paul, St. Louis, Memphis puis New Orleans, avant de finir son voyage dans le Golfe du Mexique, chaque affluent venant ajouter sa rumeur à cette histoire en mouvement.
Témoin de la folie des hommes, fleuve sombre dans la noirceur du trafic humain, fleuve boueux dans la fange de l’histoire, espoir pour ceux qui y voient le Jourdain, il est la mémoire frontière. Même au plus profond de sa démence, il n’a jamais démenti les horreurs rencontrées ; il en a, au contraire, capté les musiques. Il a inspiré quantité de chansons et fait couler l’encre de bien des récits.
« Ce vieux bonhomme de fleuve, il ne dit rien mais il doit savoir quelque chose.
Ce vieux bonhomme de fleuve, il se contente de suivre son cours ».
(Old man river, chanson de O. Hammerstein et J. Kern rendue célèbre par Paul Robeson).
DU SUD AU NORD, A CONTRE-COURANT
Ce fleuve de musiques n’a eu de cesse, au cours des siècles derniers, de faire remonter les courants musicaux et les inventions des chanteurs et des musiciens du sud jusqu’au nord. Secondé en cette tâche par son double de bitume : la Highway 61 qui fit faire le même trajet à des musiques qui ne l’ont jamais oubliée. Ça rock sur le fleuve ou ça roll sur la route, mais ça bouge toujours vers le nord.
L’histoire a voulu faire de ce Sud une terre de rencontres fracassantes entre des hommes d’origines extrêmement différentes. Colons et planteurs venus d’Europe, esclaves venus d’Afrique - parfois via les Antilles, Cajuns chassés du Canada par les Anglais, présence espagnole, Indiens noyés sous le flux des nouveaux arrivants... Il fallait que les expressions musicales digèrent cette complexité humaine. Il fallait que les langues se heurtent et se mélangent, il fallait que les chants sortent des champs de coton pour aller dire à la ville les traces de leur cheminement. Il fallait que les instruments à cordes et les cuivres s’inventent un univers dans l’urgence d’une soif de liberté et de dignité.
En ces terres de crues, sont nées les musiques les plus originales et les plus influentes du XIXe et du XXe siècles. Et, curieusement, descendre le fleuve c’est aller à la source de la plupart des styles musicaux de l’Amérique du Nord. Le remonter c’est aller écouter comment les grandes villes du nord ont ingurgité et transformé ces influences multiples. Tout le XXe siècle a vibré, explosé, de ces musiques nées dans le Sud baigné du Mississippi.
DES BAYOUS JUSQUE MEMPHIS
En ces terres où l’on voit rarement le Mississippi dissimulé derrière la levée, comme si pour le punir de ses excès on l’avait placé entre parenthèses, on entend pourtant ses chants, tous ses chants !
Penser aux musiques du vieux père, c’est penser à la Louisiane, au Mississippi, au Tennessee, avant tout. La Louisiane, terre de la musique cajun et de son frère créole, le zydeco. L’accordéon et le violon se déchaînent ici pour un langage savoureux aussi épicé que le gumbo. Quant à New Orleans, elle a vu naître les premiers balbutiements du jazz et l’épanouissement de nombreux styles afro-américains qui vont du blues au gospel en passant par les fanfares de rue, le piano, les musiques du Mardi Gras et un rhythm and blues juteux qui se frotte sensuellement à tous les autres styles.
Plus haut, à force de se jeter impétueusement sur les hommes les plus démunis, le grand fleuve a donné son nom à leur terre. L’état du Mississippi, qui fut le plus ségrégationniste, est encore aujourd’hui celui où 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
En 1935, Rupert Vance appelait The Deepest South la région du Delta : Sud le plus profond parce que irrémédiablement enfoncé dans une conception de la société qui ne reposait que sur la ségrégation (le Delta est une région et non un delta fluvial au sens courant du terme)1. Or, c’est dans le Deep South en général, et dans ce Deepest en particulier, que le blues est né et s’est développé avant de prendre le chemin du nord. Un nombre incroyable de bluesmen sont nés dans cet état ou y ont migré à la recherche d’un travail. Charley Patton, Robert Johnson, Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Son House, Bukka White, Sonny Boy Williamson, John Hurt, B.B. King... sans oublier Bessie Smith venue mourir tragiquement à Clarksdale... ils méritent tous de figurer sur une anthologie historique consacrée au fleuve.
Ils ont ouvert la voie à plusieurs générations et celles d’aujourd’hui pratiquent encore une musique organique liée à ce sud profond et à ce fleuve dieu et sont dignes de témoigner de la permanence d’une musique que trop de gens disent appartenir au passé. Il est vivant ce blues d’aujourd’hui et représentatif de styles très spécifiques. Comme celui de Bentonia rendu célèbre par Skip James et représenté aujourd’hui par Jimmy « Duck » Holmes. Ou encore celui de la région des collines, célèbre dans l’œuvre de Fred McDowell, prolongé dans celle de R.L. Burnside puis dans le gospel blues de John Wilkins ou de Leo Welch.
« Il est possible que les sonorités suaves des cantiques aient amené chez moi une excitation sensuelle... Il y avait toutes chances pour que le serpent du péché qui fouinait dans les replis de mon cœur eût été mis en appétit par les hymnes aussi bien que par les rêves »
(Richard Wright. Black Boy).
A peine plus au nord, Memphis apparaît comme une autre capitale de la musique. C’est ici qu’Elvis Presley, né dans le Mississippi, Johnny Cash, Jerry Lee Lewis, Ike Turner (originaire du Delta) et tant d’autres sont venus enregistrer leurs premiers disques chez Sam Phillips et Sun Records. C’est ici le royaume de Stax Records, un label qui va produire une musique soul teintée de gospel, de rhythm and blues et même de country ou de rock. Stax, né à la fin des années 50, va s’imposer comme l’une des grandes fabriques de tubes afro-américains qui n’ont rien à envier aux concurrents de Detroit et des autres villes du nord.
Le Memphis sound est assuré par des artistes comme Booker T. and the MG’s (lesquels jouent notamment avec Otis Redding), Isaac Hayes, David Porter, les Staple Singers, Carla Thomas, Little Milton, les Bar-Keys et tant d’autres. Al Bell, responsable des ventes, disait : « Cette musique est la culture musicale du fleuve Mississippi, et Chicago pourrait aussi bien être dans les faubourgs de Memphis ». Memphis a également laissé s’épanouir le blues si proche de ses racines en cette grande ville.
Plus haut encore, St. Louis est la ville d’adoption d’Ike & Tina Turner, un centre essentiel pour le rap et le cœur d’une région où la musique old time et bluegrass n’a pas disparu. Tout au nord, enfin, Minneapolis est la ville de Prince. C’est là aussi qu’un très jeune Bob Dylan est venu s’encanailler avec la vie d’adulte. Il y fait ses armes et fourbit son répertoire, influencé notamment par le jeu de guitare et les connaissances de Spider John Koerner qui sévit dans les clubs de la ville.
IMPOSSIBLE CHOIX ?
Les choix de ce coffret imposaient de faire l’impasse sur les grands noms incontournables de tous les styles. Parce que présents sur de très nombreuses productions. Mais essentiellement parce que les musiques qui vibrent en ce moment sur le parcours du Mississippi sont le fait de musiciens dynamiques, peut-être moins connus mais talentueux et originaux. On l’a dit, notre choix se concentre sur le vivier du Sud. C’est là qu’évoluent de nouvelles générations de musiciens, de chanteurs et de producteurs. On y trouve encore des lieux qui font le lien avec l’histoire comme les derniers juke joints du Mississippi, lieux de rencontre entre population du cru et chanteurs de blues. On y trouve une sorte de continuité qui éclaire notre compréhension de ces musiques, entre lieux historiques, mémoire entretenue, souvenirs des anciens et réinvention permanente de ces styles qui ont nourri ces terres et qui se sont abreuvés à leur fleuve.
« Mon âme est devenue profonde comme les fleuves »
(Langston Hughes. Le Noir parle des fleuves, 1921)
Etienne Bours
Ces fleuves charrient de multiples courants nourris d’une infinité de paysages et de vies croisés tout au long d’un voyage incessant. Il suffit de se rappeler les musiques qui se confient à ces fleuves tout au long de leurs trajets. Elles s’alimentent de leur course et elles s’abreuvent de leur mouvement perpétuel. Le chant des fleuves vous propose d’explorer le cours des musiques qui s’épanouissent au bord de ces eaux ancestrales. Le Mississippi en est le second volume.
MISSISSIPPI
« Je ne sais pas grand chose des dieux mais je crois que le fleuve est un puissant dieu brun - buté, sauvage et intraitable, patient jusqu’à un certain point... » (T.S. Eliot. Four quartets. The Dry Salvages. Traduction Pierre Leyris).
Un nom venu d’un autre temps, un mythe, un Dieu peut-être, il coule des grands lacs jusqu’au Golfe du Mexique. Ses eaux s’en vont caresser tous les rivages musicaux qui firent l’histoire des musiques américaines. Il colle dans les vases du blues, il sue dans les bayous des musiques cajun et zydeco, il se gonfle du souffle des jazzmen de New Orleans, il déborde d’enthousiasme sous le rock et la soul de Memphis, il bruisse des vagues old time, bluegrass, folk, rock et rap des villes et des campagnes qu’il traverse. Il est le grand fleuve musique par excellence.
LE PERE DES EAUX
Misi Sipi, en algonquin, signifie le père des eaux. Ces Indiens du nord lui ont donné ce nom qu’il a charrié avec lui sur plus de 3.000 kilomètres. On peut se demander comment l’appelaient ceux du sud avant d’entendre cette métaphore indienne. D’autant que pour les esclaves il fut l’old man river, le vieux bonhomme fleuve, le « vieux père » comme le dit William Faulkner. D’autres l’appellent, malgré eux peut-être, the « Big Muddy », le grand boueux.
« Ils cessèrent de bouger et tous purent alors l’entendre, et ils écoutèrent le fort et puissant murmure de basse profonde. ‘Le vieux père’ dit le forçat voleur de train ». (William Faulkner. Si je t’oublie, Jérusalem. L’Imaginaire. Gallimard).
C’est qu’il chante le bougre, il muse, il pousse de la voix, il gronde, il hurle parfois. Et l’homme de l’écouter, de le craindre, de le respecter mais de devoir céder à sa colère quand il se déchaîne.
Ce fleuve géant prend sa source tout au nord des États-Unis, dans la région du lac Itasca. Il descend vers le sud, baignant au passage les grandes villes de Minneapolis, St. Paul, St. Louis, Memphis puis New Orleans, avant de finir son voyage dans le Golfe du Mexique, chaque affluent venant ajouter sa rumeur à cette histoire en mouvement.
Témoin de la folie des hommes, fleuve sombre dans la noirceur du trafic humain, fleuve boueux dans la fange de l’histoire, espoir pour ceux qui y voient le Jourdain, il est la mémoire frontière. Même au plus profond de sa démence, il n’a jamais démenti les horreurs rencontrées ; il en a, au contraire, capté les musiques. Il a inspiré quantité de chansons et fait couler l’encre de bien des récits.
« Ce vieux bonhomme de fleuve, il ne dit rien mais il doit savoir quelque chose.
Ce vieux bonhomme de fleuve, il se contente de suivre son cours ».
(Old man river, chanson de O. Hammerstein et J. Kern rendue célèbre par Paul Robeson).
DU SUD AU NORD, A CONTRE-COURANT
Ce fleuve de musiques n’a eu de cesse, au cours des siècles derniers, de faire remonter les courants musicaux et les inventions des chanteurs et des musiciens du sud jusqu’au nord. Secondé en cette tâche par son double de bitume : la Highway 61 qui fit faire le même trajet à des musiques qui ne l’ont jamais oubliée. Ça rock sur le fleuve ou ça roll sur la route, mais ça bouge toujours vers le nord.
L’histoire a voulu faire de ce Sud une terre de rencontres fracassantes entre des hommes d’origines extrêmement différentes. Colons et planteurs venus d’Europe, esclaves venus d’Afrique - parfois via les Antilles, Cajuns chassés du Canada par les Anglais, présence espagnole, Indiens noyés sous le flux des nouveaux arrivants... Il fallait que les expressions musicales digèrent cette complexité humaine. Il fallait que les langues se heurtent et se mélangent, il fallait que les chants sortent des champs de coton pour aller dire à la ville les traces de leur cheminement. Il fallait que les instruments à cordes et les cuivres s’inventent un univers dans l’urgence d’une soif de liberté et de dignité.
En ces terres de crues, sont nées les musiques les plus originales et les plus influentes du XIXe et du XXe siècles. Et, curieusement, descendre le fleuve c’est aller à la source de la plupart des styles musicaux de l’Amérique du Nord. Le remonter c’est aller écouter comment les grandes villes du nord ont ingurgité et transformé ces influences multiples. Tout le XXe siècle a vibré, explosé, de ces musiques nées dans le Sud baigné du Mississippi.
DES BAYOUS JUSQUE MEMPHIS
En ces terres où l’on voit rarement le Mississippi dissimulé derrière la levée, comme si pour le punir de ses excès on l’avait placé entre parenthèses, on entend pourtant ses chants, tous ses chants !
Penser aux musiques du vieux père, c’est penser à la Louisiane, au Mississippi, au Tennessee, avant tout. La Louisiane, terre de la musique cajun et de son frère créole, le zydeco. L’accordéon et le violon se déchaînent ici pour un langage savoureux aussi épicé que le gumbo. Quant à New Orleans, elle a vu naître les premiers balbutiements du jazz et l’épanouissement de nombreux styles afro-américains qui vont du blues au gospel en passant par les fanfares de rue, le piano, les musiques du Mardi Gras et un rhythm and blues juteux qui se frotte sensuellement à tous les autres styles.
Plus haut, à force de se jeter impétueusement sur les hommes les plus démunis, le grand fleuve a donné son nom à leur terre. L’état du Mississippi, qui fut le plus ségrégationniste, est encore aujourd’hui celui où 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
En 1935, Rupert Vance appelait The Deepest South la région du Delta : Sud le plus profond parce que irrémédiablement enfoncé dans une conception de la société qui ne reposait que sur la ségrégation (le Delta est une région et non un delta fluvial au sens courant du terme)1. Or, c’est dans le Deep South en général, et dans ce Deepest en particulier, que le blues est né et s’est développé avant de prendre le chemin du nord. Un nombre incroyable de bluesmen sont nés dans cet état ou y ont migré à la recherche d’un travail. Charley Patton, Robert Johnson, Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Son House, Bukka White, Sonny Boy Williamson, John Hurt, B.B. King... sans oublier Bessie Smith venue mourir tragiquement à Clarksdale... ils méritent tous de figurer sur une anthologie historique consacrée au fleuve.
Ils ont ouvert la voie à plusieurs générations et celles d’aujourd’hui pratiquent encore une musique organique liée à ce sud profond et à ce fleuve dieu et sont dignes de témoigner de la permanence d’une musique que trop de gens disent appartenir au passé. Il est vivant ce blues d’aujourd’hui et représentatif de styles très spécifiques. Comme celui de Bentonia rendu célèbre par Skip James et représenté aujourd’hui par Jimmy « Duck » Holmes. Ou encore celui de la région des collines, célèbre dans l’œuvre de Fred McDowell, prolongé dans celle de R.L. Burnside puis dans le gospel blues de John Wilkins ou de Leo Welch.
« Il est possible que les sonorités suaves des cantiques aient amené chez moi une excitation sensuelle... Il y avait toutes chances pour que le serpent du péché qui fouinait dans les replis de mon cœur eût été mis en appétit par les hymnes aussi bien que par les rêves »
(Richard Wright. Black Boy).
A peine plus au nord, Memphis apparaît comme une autre capitale de la musique. C’est ici qu’Elvis Presley, né dans le Mississippi, Johnny Cash, Jerry Lee Lewis, Ike Turner (originaire du Delta) et tant d’autres sont venus enregistrer leurs premiers disques chez Sam Phillips et Sun Records. C’est ici le royaume de Stax Records, un label qui va produire une musique soul teintée de gospel, de rhythm and blues et même de country ou de rock. Stax, né à la fin des années 50, va s’imposer comme l’une des grandes fabriques de tubes afro-américains qui n’ont rien à envier aux concurrents de Detroit et des autres villes du nord.
Le Memphis sound est assuré par des artistes comme Booker T. and the MG’s (lesquels jouent notamment avec Otis Redding), Isaac Hayes, David Porter, les Staple Singers, Carla Thomas, Little Milton, les Bar-Keys et tant d’autres. Al Bell, responsable des ventes, disait : « Cette musique est la culture musicale du fleuve Mississippi, et Chicago pourrait aussi bien être dans les faubourgs de Memphis ». Memphis a également laissé s’épanouir le blues si proche de ses racines en cette grande ville.
Plus haut encore, St. Louis est la ville d’adoption d’Ike & Tina Turner, un centre essentiel pour le rap et le cœur d’une région où la musique old time et bluegrass n’a pas disparu. Tout au nord, enfin, Minneapolis est la ville de Prince. C’est là aussi qu’un très jeune Bob Dylan est venu s’encanailler avec la vie d’adulte. Il y fait ses armes et fourbit son répertoire, influencé notamment par le jeu de guitare et les connaissances de Spider John Koerner qui sévit dans les clubs de la ville.
IMPOSSIBLE CHOIX ?
Les choix de ce coffret imposaient de faire l’impasse sur les grands noms incontournables de tous les styles. Parce que présents sur de très nombreuses productions. Mais essentiellement parce que les musiques qui vibrent en ce moment sur le parcours du Mississippi sont le fait de musiciens dynamiques, peut-être moins connus mais talentueux et originaux. On l’a dit, notre choix se concentre sur le vivier du Sud. C’est là qu’évoluent de nouvelles générations de musiciens, de chanteurs et de producteurs. On y trouve encore des lieux qui font le lien avec l’histoire comme les derniers juke joints du Mississippi, lieux de rencontre entre population du cru et chanteurs de blues. On y trouve une sorte de continuité qui éclaire notre compréhension de ces musiques, entre lieux historiques, mémoire entretenue, souvenirs des anciens et réinvention permanente de ces styles qui ont nourri ces terres et qui se sont abreuvés à leur fleuve.
« Mon âme est devenue profonde comme les fleuves »
(Langston Hughes. Le Noir parle des fleuves, 1921)
Etienne Bours