Henri Tournier
Souffles du monde
Sortie le 22 septembre 2015
Label : Accords Croisés
Henri Tournier est à la fois flûtiste occidental et flûtiste indien, musicien classique et improvisateur contemporain. Il était le mieux placé pour entreprendre l’exploration pionnière de Souffles du monde en proposant à dix chanteurs venus de traditions et de pratiques dissemblables de cheminer avec lui : Dorsaf Hamdani (Tunisie), Alireza Ghorbani (Iran), Pronab Biswas (Inde), Ustad Farida Mahwash (Afghanistan), Abida Parveen (Pakistan), Enkhjargal Dandarvaanchig alias Epi (Mongolie), Etsuko Chida (Japon) et trois chanteurs européens : Anne-Marie Lablaude et Dominique Vellard, venus de la musique médiévale, et Carole Hémard, de la musique contemporaine.
Henri Tournier est à la fois flûtiste occidental et flûtiste indien, musicien classique et improvisateur contemporain. Il était le mieux placé pour entreprendre l’exploration pionnière de Souffles du monde en proposant à dix chanteurs venus de traditions et de pratiques dissemblables de cheminer avec lui : Dorsaf Hamdani (Tunisie), Alireza Ghorbani (Iran), Pronab Biswas (Inde), Ustad Farida Mahwash (Afghanistan), Abida Parveen (Pakistan), Enkhjargal Dandarvaanchig alias Epi (Mongolie), Etsuko Chida (Japon) et trois chanteurs européens : Anne-Marie Lablaude et Dominique Vellard, venus de la musique médiévale, et Carole Hémard, de la musique contemporaine.
Mais un écueil doit être affronté : « La plupart des traditions ne connaissent pas d’autres relations entre la flûte et la voix que l’accompagnement », rappelle Henri Tournier Autrement dit, elles ne conçoivent pas de discours autonome pour cet instrument lorsqu’il est en présence de la voix. Alors, pendant deux ans et demi, le flûtiste explore cette terra incognita que constitue le dialogue de la flûte et de la voix. À la flûte bansuri indienne et avec plusieurs flûtes à clés occidentales, il construit Souffles du monde en se centrant sur un dialogue entre Occident et Orient – certains universaux sont affirmés, d’autres se contournent, se tordent, explosent.
Par le dynamitage de vieux verrous parfois inconscients jusque là, Souffles du monde est une aventure salutaire. Une nouvelle cartographie de la flûte, de la voix. Et même de la liberté.
Henri Tournier invite
● Abida Parveen, Pakistan
● Alireza Ghorbani, Iran
● Anne-Marie Lablaude, France
● Carole Hémard, France
● Dominique Vellard, France
● Dorsaf Hamdani, Tunisie
● E. Dandarvaanchig, Mongolie
● Etsuko Chida, Japon
● Pronab Biswas, Inde
● Ustad Mahwash, Afghanistan
Henri Tournier –Souffles du monde
Cartographier un territoire ne signifie pas forcément qu’il ne cache plus de zones inconnues. On imagine que tout sera lisible et, qu’au pire, il ne reste plus que quelques imprécisions dans le tracé de quelques voies secondaires…
Lorsqu’il a entrepris le projet Souffles du monde, Henri Tournier pouvait se croire en terrain connu. Flûtiste classique occidental et flûtiste indien, il est a priori le mieux armé pour proposer à dix chanteurs venus de traditions et de pratiques dissemblables de cheminer avec lui pour construire autant de thèmes réunis sur cet album.
Tout commence avec les questions les plus évidentes pour toute aventure transculturelle de ce genre : « Il fallait faire se rencontrer plusieurs modes culturels, explique Henri Tournier. Faut-il respecter le mode que l’on a face à soi, chercher à se glisser dedans ou essayer de l’amener ailleurs ? Il se pose toutes sortes de questions d’intonation, de justesse, d’ornementation. Il se pose des questions quant à l’improvisation et à la musique fixée. Et tout cela est multiplié par dix parce qu’il y a dix chanteurs. »
Ceux-ci sont Dorsaf Hamdani (Tunisie), Alireza Ghorbani (Iran), Pronab Biswas (Inde), Ustad Farida Mahwash (Afghanistan), Abida Parveen (Pakistan), Enkhjargal Dandarvaanchig alias Epi (Mongolie), Etsuko Chida (Japon) et trois chanteurs européens : Anne-Marie Lablaude et Dominique Vellard, venus de la musique médiévale, et Carole Hémard, de la musique contemporaine. Et les rencontrer tour à tour révèle à un des plus grands flûtistes d’aujourd’hui que la carte qu’on croyait dessinée fidèlement recélait une vaste zone vierge.
« La plupart des traditions ne connaissent pas d’autres relations entre la flûte et la voix que l’accompagnement. » Autrement dit, elles ne conçoivent pas de discours autonome pour cet instrument lorsqu’il est en présence de la voix. Et ce n’est pas seulement une question d’habitude : « En général, la flûte est au service de la voix et cela détermine aussi le rapport des chanteurs à ce que l’on va jouer. »
Henri Tournier sait justement jouer dans de nombreuses situations, sa pratique étant étonnement diverse. Ses journées ? « La moitié de mon temps est consacré à la musique indienne, un quart à l’improvisation occidentale contemporaine et un autre quart aux rencontres dans le domaine des musiques du monde. Dans la pratique quotidienne, les choses sont très interpénétrées : je peux travailler Bach sur flûte bansuri et de la musique indienne sur une flûte à clés. » Son parcours est celui d’un musicien français qui a toujours cherché à élargir son champ de connaissances et d’expériences. Études de flûte classique, qu’il élargit à l’improvisation : « J’appartiens à la génération pour laquelle Michel Portal est un musicien emblématique. » Les années 70 sont résolument folk et il aborde les traditions irlandaises et l’héritage médiéval. Puis il consacre beaucoup de temps à l’accompagnement de la danse contemporaine, pratique abondamment la musique de chambre, étudie le jazz pendant deux ans avec François Jeanneau.
« Mon travail sur la musique indienne a arrêté l’horloge. » Car, en 1982, Henri Tournier commence à étudier la musique du sud de l’Inde avec le flûtiste Sundar Rao, puis celle du nord avec le sitariste Patrick Moutal. En 1987, il rencontre Hariprasad Chaurasia, le maître de la flûte bansuri. Avec Patrick Moutal il le « kidnappe » après un concert au théâtre de la Ville, à Paris, et l’entraine dans sa vieille 4L pour un dîner fondateur. L’immense musicien hindoustani trouve avec lui un disciple dans la pratique de la grande flûte traversière indienne en bambou, mais aussi un compagnon dans son enseignement. Cinq ans plus tard, Chaurasia propose à Henri Tournier de devenir son assistant au Conservatoire national de Rotterdam pour enseigner la flûte indienne. Et il y enseigne toujours…
« L’Inde a pris de plus en plus de place. Je suis devenu de moins en moins interprète de musique savante occidentale et de plus en plus improvisateur. J’ai découvert que je peux arrêter quelques jours la pratique de la flûte à clés européenne sans perdre mes acquis mais que je dois pratiquer le bansuri tous les jours. » En 2010, Henri Tournier publie Hariprasad Chaurasia et l’art de l’improvisation, un livre et deux disques édités et produits par Accords Croisés.
Il collabore régulièrement à des projets discographiques de ce label, qui lui propose l’idée d’un projet personnel. « Je me disais que j’allais faire un disque instrumental avec des copains », avoue-t-il en souriant rétrospectivement. La proposition de se lancer dans un voyage à travers les grandes voix des musiques du monde lui ouvre des perspectives fécondes mais diablement complexes.
Car le chantier sur Souffles du monde révèle la terra incognita que constitue le dialogue de la flûte et de la voix. Pendant deux ans et demi, Henri Tournier échange des fichiers avec des musiciens à travers le monde, cherche quels seront leurs terrains d’entente… et va de surprise en surprise. « J’ai dû tout repenser à presque chaque rencontre. Par exemple, je ne joue pas toujours avec la flûte à laquelle je pensais au départ. » Il croit ainsi que la flûte bansuri sera idéale pour une rencontre avec l’Orient très proche qu’est la Tunisie de Dorsaf Hamdani. Mais l’instrument idéal se révèle être une flûte basse à clés occidentale « au discours très XXe siècle ».
Ayant choisi de centrer les rencontres sur le dialogue entre Occident et Orient, il découvre des universaux mais s’attache aussi à les contourner ou à les tordre. Quitte à se laisser surprendre : « La liberté n’est pas arrivée là où je le pensais. Par exemple, Alireza Ghorbani ne voulait pas répéter avant l’enregistrement. Il vient d’un monde dans lequel la flûte est d’habitude cantonnée à un rôle d’accompagnement et je ne m’attendais pas à avoir énormément de latitude. Or c’est peut-être lui qui m’a laissé le plus de place… »
La rencontre avec Epi montre une fascinante proximité entre un timbre humain et l’instrument, et l’étourdissante liberté qu’offre la technique vocale mongole. Avec la Japonaise Etsuko Chida ou avec les « médiévistes » Anne-Marie Lablaude et Dominique Vellard, le trajet est surprenant – « en bordure », comme dit Henri Tournier.
Et, curieusement, c’est par ces écarts à la norme, par ce dynamitage de vieux verrous parfois inconscients, par l’usage de pratiques et de techniques de provenances variées – et même éparses ! – que Souffles du monde devient une aventure pionnière. Une nouvelle cartographie…
Bertrand Dicale
Mais un écueil doit être affronté : « La plupart des traditions ne connaissent pas d’autres relations entre la flûte et la voix que l’accompagnement », rappelle Henri Tournier Autrement dit, elles ne conçoivent pas de discours autonome pour cet instrument lorsqu’il est en présence de la voix. Alors, pendant deux ans et demi, le flûtiste explore cette terra incognita que constitue le dialogue de la flûte et de la voix. À la flûte bansuri indienne et avec plusieurs flûtes à clés occidentales, il construit Souffles du monde en se centrant sur un dialogue entre Occident et Orient – certains universaux sont affirmés, d’autres se contournent, se tordent, explosent.
Par le dynamitage de vieux verrous parfois inconscients jusque là, Souffles du monde est une aventure salutaire. Une nouvelle cartographie de la flûte, de la voix. Et même de la liberté.
Henri Tournier invite
● Abida Parveen, Pakistan
● Alireza Ghorbani, Iran
● Anne-Marie Lablaude, France
● Carole Hémard, France
● Dominique Vellard, France
● Dorsaf Hamdani, Tunisie
● E. Dandarvaanchig, Mongolie
● Etsuko Chida, Japon
● Pronab Biswas, Inde
● Ustad Mahwash, Afghanistan
Henri Tournier –Souffles du monde
Cartographier un territoire ne signifie pas forcément qu’il ne cache plus de zones inconnues. On imagine que tout sera lisible et, qu’au pire, il ne reste plus que quelques imprécisions dans le tracé de quelques voies secondaires…
Lorsqu’il a entrepris le projet Souffles du monde, Henri Tournier pouvait se croire en terrain connu. Flûtiste classique occidental et flûtiste indien, il est a priori le mieux armé pour proposer à dix chanteurs venus de traditions et de pratiques dissemblables de cheminer avec lui pour construire autant de thèmes réunis sur cet album.
Tout commence avec les questions les plus évidentes pour toute aventure transculturelle de ce genre : « Il fallait faire se rencontrer plusieurs modes culturels, explique Henri Tournier. Faut-il respecter le mode que l’on a face à soi, chercher à se glisser dedans ou essayer de l’amener ailleurs ? Il se pose toutes sortes de questions d’intonation, de justesse, d’ornementation. Il se pose des questions quant à l’improvisation et à la musique fixée. Et tout cela est multiplié par dix parce qu’il y a dix chanteurs. »
Ceux-ci sont Dorsaf Hamdani (Tunisie), Alireza Ghorbani (Iran), Pronab Biswas (Inde), Ustad Farida Mahwash (Afghanistan), Abida Parveen (Pakistan), Enkhjargal Dandarvaanchig alias Epi (Mongolie), Etsuko Chida (Japon) et trois chanteurs européens : Anne-Marie Lablaude et Dominique Vellard, venus de la musique médiévale, et Carole Hémard, de la musique contemporaine. Et les rencontrer tour à tour révèle à un des plus grands flûtistes d’aujourd’hui que la carte qu’on croyait dessinée fidèlement recélait une vaste zone vierge.
« La plupart des traditions ne connaissent pas d’autres relations entre la flûte et la voix que l’accompagnement. » Autrement dit, elles ne conçoivent pas de discours autonome pour cet instrument lorsqu’il est en présence de la voix. Et ce n’est pas seulement une question d’habitude : « En général, la flûte est au service de la voix et cela détermine aussi le rapport des chanteurs à ce que l’on va jouer. »
Henri Tournier sait justement jouer dans de nombreuses situations, sa pratique étant étonnement diverse. Ses journées ? « La moitié de mon temps est consacré à la musique indienne, un quart à l’improvisation occidentale contemporaine et un autre quart aux rencontres dans le domaine des musiques du monde. Dans la pratique quotidienne, les choses sont très interpénétrées : je peux travailler Bach sur flûte bansuri et de la musique indienne sur une flûte à clés. » Son parcours est celui d’un musicien français qui a toujours cherché à élargir son champ de connaissances et d’expériences. Études de flûte classique, qu’il élargit à l’improvisation : « J’appartiens à la génération pour laquelle Michel Portal est un musicien emblématique. » Les années 70 sont résolument folk et il aborde les traditions irlandaises et l’héritage médiéval. Puis il consacre beaucoup de temps à l’accompagnement de la danse contemporaine, pratique abondamment la musique de chambre, étudie le jazz pendant deux ans avec François Jeanneau.
« Mon travail sur la musique indienne a arrêté l’horloge. » Car, en 1982, Henri Tournier commence à étudier la musique du sud de l’Inde avec le flûtiste Sundar Rao, puis celle du nord avec le sitariste Patrick Moutal. En 1987, il rencontre Hariprasad Chaurasia, le maître de la flûte bansuri. Avec Patrick Moutal il le « kidnappe » après un concert au théâtre de la Ville, à Paris, et l’entraine dans sa vieille 4L pour un dîner fondateur. L’immense musicien hindoustani trouve avec lui un disciple dans la pratique de la grande flûte traversière indienne en bambou, mais aussi un compagnon dans son enseignement. Cinq ans plus tard, Chaurasia propose à Henri Tournier de devenir son assistant au Conservatoire national de Rotterdam pour enseigner la flûte indienne. Et il y enseigne toujours…
« L’Inde a pris de plus en plus de place. Je suis devenu de moins en moins interprète de musique savante occidentale et de plus en plus improvisateur. J’ai découvert que je peux arrêter quelques jours la pratique de la flûte à clés européenne sans perdre mes acquis mais que je dois pratiquer le bansuri tous les jours. » En 2010, Henri Tournier publie Hariprasad Chaurasia et l’art de l’improvisation, un livre et deux disques édités et produits par Accords Croisés.
Il collabore régulièrement à des projets discographiques de ce label, qui lui propose l’idée d’un projet personnel. « Je me disais que j’allais faire un disque instrumental avec des copains », avoue-t-il en souriant rétrospectivement. La proposition de se lancer dans un voyage à travers les grandes voix des musiques du monde lui ouvre des perspectives fécondes mais diablement complexes.
Car le chantier sur Souffles du monde révèle la terra incognita que constitue le dialogue de la flûte et de la voix. Pendant deux ans et demi, Henri Tournier échange des fichiers avec des musiciens à travers le monde, cherche quels seront leurs terrains d’entente… et va de surprise en surprise. « J’ai dû tout repenser à presque chaque rencontre. Par exemple, je ne joue pas toujours avec la flûte à laquelle je pensais au départ. » Il croit ainsi que la flûte bansuri sera idéale pour une rencontre avec l’Orient très proche qu’est la Tunisie de Dorsaf Hamdani. Mais l’instrument idéal se révèle être une flûte basse à clés occidentale « au discours très XXe siècle ».
Ayant choisi de centrer les rencontres sur le dialogue entre Occident et Orient, il découvre des universaux mais s’attache aussi à les contourner ou à les tordre. Quitte à se laisser surprendre : « La liberté n’est pas arrivée là où je le pensais. Par exemple, Alireza Ghorbani ne voulait pas répéter avant l’enregistrement. Il vient d’un monde dans lequel la flûte est d’habitude cantonnée à un rôle d’accompagnement et je ne m’attendais pas à avoir énormément de latitude. Or c’est peut-être lui qui m’a laissé le plus de place… »
La rencontre avec Epi montre une fascinante proximité entre un timbre humain et l’instrument, et l’étourdissante liberté qu’offre la technique vocale mongole. Avec la Japonaise Etsuko Chida ou avec les « médiévistes » Anne-Marie Lablaude et Dominique Vellard, le trajet est surprenant – « en bordure », comme dit Henri Tournier.
Et, curieusement, c’est par ces écarts à la norme, par ce dynamitage de vieux verrous parfois inconscients, par l’usage de pratiques et de techniques de provenances variées – et même éparses ! – que Souffles du monde devient une aventure pionnière. Une nouvelle cartographie…
Bertrand Dicale