Edouard Ferlet

Pianoïd 2
Sortie le 3 novembre 2023
Label: Melisse
L’HOMME ET LA MACHINE
UN DIALOGUE ORGANIQUE VOL NO.02

Edouard Ferlet revient avec le second volet de son projet Pianoïd, qui interroge le rapport entre l’homme et la machine. Un piano solo à quatre mains organisé autour d’un dispositif construit avec un piano Silent, un contrôleur midi, le logiciel Ableton et un Dysklavier, qui lui offre des possibilités inouïes. Cet outil permet de produire des modes de jeu que l’homme ne peut atteindre : quantité de notes simultanées, rythmes complexes, rapidité d’exécution, nuances accrues…
Edouard Ferlet revient avec le second volet de son projet Pianoïd, qui interroge le rapport entre l'homme et la machine. Un piano solo à quatre mains organisé autour d'un dispositif construit avec un piano Silent, un contrôleur midi, le logiciel Ableton et un Dysklavier, qui lui offre des possibilités inouïes. Cet outil permet de produire des modes de jeu que l’homme ne peut atteindre : quantité de notes simultanées, rythmes complexes, rapidité d'exécution, nuances accrues...

Ainsi équipé de cet "exosquelette", le musicien délivre des compositions qui s'affranchissent des genres et mélangent les couleurs : jazz bien-sûr, mais aussi electro, minimalisme voire ambient. Ce nouvel opus explore tout particulièrement les possibilités rythmiques du piano (tous les sons de l'album sont produits à partir de l'instrument préparé) et se concentre sur la ligne claire de la mélodie dans des formats courts, presque pop.

Pianoïd.2 est un voyage au coeur des émotions, où l'on croise le plaisir pur du groove jazz (Raining), la transe (Herd Instinct), la contemplation (Night Moves) ou l'érotisme (Bord de nuit). S'il est complexe, long en bouche, cet album reste pourtant immédiatement accessible malgré sa sophistication.

Toujours porté par la volonté de faire bouger les lignes et d'explorer les frontières, Edouard Ferlet poursuit ici sa rencontre du 3e type : “L’homme a créé des robots pour reproduire son geste. Avec Pianoïd, j’utilise la phrase robotique pour faire éclore le poétique, et aller vers l’inimaginable et l'injouable. J’utilise aussi l’instabilité du robot causée par le poids de la mécanique, sa latence, ses changements de dynamiques et de vitesses, toutes les réactions inattendues du piano Disklavier. La machine prend vie et me surprend. La musique devient alors un dialogue organique.”
Fidèle à son goût pour les pas de côté, les collaborations et les expériences, le pianiste Édouard Ferlet prend à nouveau des libertés avec les genres et s’éloigne du jazz pour arpenter des territoires plus proches de la musique contemporaine ou de la pop. Patiemment mûri au fil des ans autour d’un dispositif imaginé avec le réalisateur sonore Joachim Olaya, Pianoïd trouve des points d’équilibre entre composition et improvisation, complexité et simplicité, humain et inhumain, au fil de morceaux où résonnent les échos du travail de Philip Glass ou Nils Frahm.

En ouverture de Pianoïd, les quelques quatre minutes de Chi sonnent à la fois comme une invitation et une somme de promesses qu’Édouard Ferlet tiendra toutes sur un nouvel album à la fois sophistiqué et immédiatement accessible. La souplesse et la fermeté d’un jeu formé au jazz, s’y frottent à des structures de composition plus resserrées et des sonorités neuves, parfois surprenantes, toutes issues du piano. Ou plutôt des pianos, et pas n’importe lesquels : le silent et le mythique Disklavier, qui semble jouer seul mais joue pour deux. C’est une nouvelle étape dans la démarche d’un pianiste qui, depuis 25 ans, a toujours privilégié la recherche et le singulier, démarche dont le diptyque Think Bach est un fidèle reflet. Ce morceau du chemin a pour première balise l’édition 2015 du festival Beyond My Piano, laboratoire musical imaginé par Joachim Olaya, qui invite Édouard Ferlet à développer un projet pour Disklaviers, tandis que lui s’occupe du dispositif électroacoustique. Au fil des ans et des concerts, le projet a mûri et s’incarne aujourd’hui dans les neuf titres de Pianoïd.

Si on épuise la magie d’un tour en en révélant l’astuce, lever le voile sur le dispositif mis en place par Édouard Ferlet et Joachim Olaya pour Pianoïd, a l’effet inverse : cela aiguise l’oreille et densifie l’écoute. Ce sont en réalité trois instruments qui entrent en jeu : le piano silent, clavier maître sur lequel Édouard Ferlet joue, qui envoie les informations au contrôleur MIDI (via un ordinateur) lui permettant de moduler la vitesse et la dynamique de ce qui est joué, avant de renvoyer tout cela au Disklavier, piano mécanique qui ouvre au compositeur et interprète des possibilités inouïes. Le piège est de se perdre.

Édouard Ferlet l’évite : “Au fur et à mesure du travail, je me suis rendu compte qu’on pouvait faire énormément avec le contrôleur et j’ai compliqué cet outil, ajouté des fonctionnalités. Joachim militait pour la simplicité et l’efficacité et il avait raison, j’ai enlevé plein de choses.”

Cette logique de soustraction, le pianiste l’a aussi appliquée à la composition. Rompu aux codes du jazz, où la forme n’est pas toujours le souci primordial et les formats s’étirent, il guide son écriture vers des structures à la fois plus concises et plus sophistiquées. Une manière d’épurer son propos et d’aller directement au cœur de la mélodie et de l’harmonie, associée davantage à la pop ou aux musiques électroniques. En un faux paradoxe, ces formes plus resserrées sont aussi un terrain de jeu privilégié pour l’improvisation : “Plus le morceau va être concis et épuré, plus cela me laisse de l’espace pour improviser. Trouver l’équilibre entre composition et improvisation m’intéresse. J’aime qu’il n’y ait pas de frontière entre les deux, que ce soit une continuité.” Bien malin qui pourra déceler quels morceaux de Pianoïd sont des pures improvisations de studio et lesquels étaient déjà composés en amont des séances d’enregistrement.

L’écriture n’est pas le seul élément qui rapproche l’album du champ de la pop. Il y a aussi sur Pianoïd un intérêt porté au son, qui peut être une source d’inspiration ou l’élément déterminant d’un morceau. Archaea, par exemple, est né d’une expérience : des aimants placés dans le piano, une note qui résonne et l’inspiration qui grandit en jouant autour du son, et non autour d’une mélodie ou d’une harmonie. Ce n’est pas la moindre des singularités du pianiste que de rester ouvert aux flottements, frottements, incertitudes et hasards, et d’embrasser l’aspect ludique d’un projet profondément organique : “La machine vit vraiment : non seulement elle fait parfois des choses que je n’ai pas complètement contrôlées mais le piano mécanique n’est pas toujours très précis. C’est un piano organique, avec de la latence, du décalage en fonction de la dynamique.”

Et l’auditeur de rentrer dans ce jeu fascinant, au fil de morceaux à la fois immédiatement accrocheurs et toujours mystérieux, où l’on se demande régulièrement comment sont produits ces sons. Sur Prelude in A minor, on croit entendre des synthétiseurs quand c’est en réalité la dynamique du Disklavier qui est poussée à fond et les cordes frappées à une vitesse... inhumaine. Inspirée par Bach, la pièce est un hommage à Moondog et à cette idée de transmission et de passe- muraille des genres qu’incarnait le compositeur américain. Une idée portée aujourd’hui très haut par Édouard Ferlet.

Vincent Theval