Criolo

Espiral de Ilusão
Sortie le 9 mars 2018
Label : Sterns Music
Figure du hip-hop underground pauliste depuis plus de vingt ans, CRIOLO est LA révélation brésilienne de ces dernières années et « sans doute la plus importante figure de la musique actuelle au Brésil » selon Caetano Veloso. Toujours là où on ne l’attend pas, il décide de nous surprendre avec un album 100% SAMBA.
Figure du hip-hop underground pauliste depuis plus de vingt ans, CRIOLO est LA révélation brésilienne de ces dernières années et « sans doute la plus importante figure de la musique actuelle au Brésil » selon Caetano Veloso. Toujours là où on ne l’attend pas, il décide de nous surprendre avec un album 100% SAMBA.

Quand et comment est née l’envie d’enregistrer “Espiral de Ilusão” ? Pourquoi la samba ? Et quelle était la trajectoire de cet album ?

CRIOLO :

J’ai toujours eu une très grande affection pour la samba et le très grand désir, d’un jour, enregistrer un disque de samba. Évidemment, je partageais ce rêve avec différentes personnes de mon entourage, mais je n’ai jamais fait avancer ce projet. Je me disais « qui suis-je pour faire un disque de samba ? ». Bien sûr, je suis Brésilien, et si j’aime la samba, si je le fais de manière respectable, il n’y a aucun problème. Mais en même temps, je crois que je devais sentir en moi le moment opportun pour me permettre de vivre cette expérience. Parce que c’est très sérieux et très fort, ce n’est pas n’importe quoi, tu sais. La musique c’est quelque chose de très fort et la samba, très particulier, très spécial pour nous, pour tout notre peuple, pour notre ville, pour ma famille. On ne peut pas parler de ce moment, du « maintenant » et ignorer ceux qui l’ont précédé. Les moments où j’étais là au « barraco » (2), à la Vila São José, au Jardim das Imbuias et où ma mère chantait... Et je voulais chanter, je voulais copier sa voix, copier sa manière de chanter. Alors voilà, c’est là que tout a commencé.

Qu’est ce qu’elle chantait ?

CRIOLO :

Elle chantait « serestas », « modas de viola », de la samba, du forró... Elle aimait beaucoup de choses, et par-dessus tout des musiques de l’époque de sa propre mère, qui emportaient mon esprit à d’autres ailleurs. En 1982, alors que je voulais imiter ma mère en train de chanter, ma mère imitait sa mère à elle. Et ma mère est née en 1950, alors j’imagine que ce qu’elle me chantonnait en 1985, étaient des chansons qu’elle-même avait entendues en 1960. Tout commence de là. Mais on ne peut pas désolidariser une chose d’une autre. En 2006, j’ai reçu un cadeau de l’univers : j’ai lancé l’album « Ainda hà tempo ». Puis, j’ai reçu un autre cadeau de cette vie, de ce monde : quand j’ai enregistré les albums Nó na Orelha, Convoque sua Buda, puis la réédition de Ainda há Tempo, pour fêter les 10 ans du premier.« Mais je ne vois pas comment parler d’un album comme si c’était un objet, comme si c’était une petite pièce d’un meuble. Quand je cite ces marqueurs de ma vie, ce qui me vient sont toutes les personnes qui étaient avec moi, toutes les énergies et les choses qui ont permis que tout cela réalise. Un disque c’est un cadre, un petit bout de beaucoup de choses vécues, de beaucoup de choses pensées, de beaucoup de chocs. Après “Convoque Seu Buda”, je crois que quelque chose s’est passé en moi, et je crois que c’est venu avec le fait de me considérer comme quelqu’un qui vieillit. J’étais aussi dans une transition de quelqu’un qui allait atteindre ses 40 ans.

Dandan dit toujours que l’art permet de rester jeune. Notre art nous conserve physiquement plus jeune, et plus encore quand on y pense au quotidien. Parce que vous êtes entier, tout le monde est un être entier, personne n’est juste ce que les yeux de l’autre voient. Si une personne est professeur, elle est mille autres choses aussi. À partir des choses qui me transperçaient, des sentiments qui me transperçaient, tant de poésies, des vers de ma vie, il y a eu un autre type de construction en moi, ou un manque de construction, qui s’est aussi reflété dans d’autres situations. J’ai une chance très grande d’avoir des personnes très sensibles à mes côtés, qui, en s’apercevant de ça, ont rassemblé ces extraits et ont composé avec mon profond désir de célébrer les 10 ans de mon disque de rap, “Ainda Há Tempo”. Ça a apporté une grande énergie à tout le monde, un immense bonheur dans nos cœurs, mais aussi des doutes, des douleurs, et puis des senteurs et des saveurs de ce que nous avions vécu il y a quinze ans. Tout cela m’a apporté à nouveau l’opportunité de continuer à respirer, à penser et à vivre 24 heures sur 24 avec ce que j’aime le plus : la musique .Maintenant je suis en train de démêler ce nouveau moment, ou ce moment, je ne sais pas si je peux parler de « nouveau moment » parce que nous sommes en construction et déconstruction tous les jours, même s’il n’existe pas de règle pour mesurer ou une ponctuation à faire. J’avais envie de faire plus de samba, et en fait, de faire un album entier seulement de samba, mais c’est la vie qui se charge de ces désirs. Je me souviens que pour “Nó na Orelha” je voulais déjà enregistrer un album de samba aussi. Beaucoup de choses m’ont traversé et ça a donné de la samba, sans même que je ne le demande. Les musiques sont des outils qui aident, sauvent, la chair et le cœur. Tout est venu pour moi, en samba, sans que je le demande. Les personnes ont senti une fois de plus cette force, ont compris et m’ont aidé aussi à comprendre que le moment était venu de laisser à la vie ces émotions. Ça n’a pas été organisé, monté de toutes pièces, ça a simplement embarqué tout le monde, et les personnes l’ont grandement respecté, ont « saigné » ensemble et m’accompagnent aujourd’hui. Cet album c’est ça et encore tellement de choses, que je n’arrive pas à verbaliser. Et dans la samba, quelle est ton histoire ? Peux-tu nous raconter celle du « Pagode da 27 »(3) par exemple ?

Y a-t-il eu d’autres moments ou la samba a été marquante pour toi ?

CRIOLO :

J’ai toujours été très timide. Et depuis mes 11 ans, ma vie c’était rap, rap, rap. Le rap, un peu de rock n’ roll, les groupes brésiliens, les groupes de Brasília qui ont conquis tout le monde – et moi aussi, mon dieu c’était vraiment génial. Mais la samba était toujours présente : à travers les amis, mes parents, les personnes des « barracos »(2) voisins...

La samba qui décrivait notre quotidien, notre « malandragem »(4). C’est une relation qui s’est installée. La samba est là pour tout le monde et accompagne les moments de chacun. Et moi, petit à petit, je m’en suis rapproché, à ma manière. Quand je réalisais ce qu’il m’arrivait, j’avais déjà été adopté par le groupe « Pagode da 27 », qui pour moi fait partie des plusgrandes rencontres de compositeurs de notre pays. Ils m’ont accueilli et peut-être parce qu’on a grandi dans les mêmes quartiers, parce qu’on a vécu les mêmes choses, il suffit d’un regard pour qu’on se comprenne quand on construit un texte. Cependant, la samba vient aussi de toutes les réunions familiales, de toutes les rencontres que les « rodadas de samba » apportent. T’as le « Samba da Vela, o Samba da Lage, o samba na Cidade Adhemar, o Samba da Kombi » ...Tous les endroits ont toujours eu leur samba et, depuis quelques temps je me suis permis ce flirt plus intime. La samba c’est pas quand tu le veux, pas à l’heure où tu le veux. C’est quand ton cœur y est préparé.

Quelles sont les principales relations entre la samba et le rap selon toi ?

CRIOLO :

La force de la musique, la force des instruments, la force du texte... tout ça est lié. Je ne sais pas ce que serait ma vie sans le rap, je n’existerais pas, je ne respirerais pas, je ne saurais parler avec personne, je ne serais rien. Parce qu’une musique, ce n’est pas juste une musique. C’est toute une énergie que les gens mettent dans ce qu’ils aiment. La samba fonctionne aussi comme ça. Je peux ne pas parler mais partager ce que je ressens. Quand on s’émeut, on s’émeut, il n’y a rien à faire. Il n’y a pas de moyen de inventer l’émotion, elle s’étend et va jusqu’au coin d’une rue.

Que représente pour toi « Menino Mimado », le premier single du disque ?

CRIOLO :

Cette musique c’est tant de choses. Certaines personnes parlent mal du petit garçon qui est dans le besoin, certaines parlent mal de ceux qui souffrent au « Cracolândia »(5), certaines personnes – et certaines personnes douteuses - pensent réellement, ou se montrent fières de penser qu’une personne est dans la tristesse ou dans la souffrance, parce qu’elle le veut et cela fait très mal. Quand je dis « non je n’accepte pas cette indiscipline / je crois que tu ne m’as pas compris / mes garçons sont devenus ce que vous en avez fait / en résistance au monde que Dieu nous a donné », cela représente beaucoup de choses, c’est beaucoup de choses qui m’ont traversé l’esprit à ce moment là. Parce que c’est très facile de critiquer l’autre, c’est très facile de dire que l’autre n’est pas méritant. C’est là qu’on commence à entendre des tas de noms et que sont devenus à la mode ces « mots clés ». Je ne veux pas croire qu’un être humain n’est pas capable de se préoccuper un minimum d’un autre être humain, c’est pas possible... ça ne peut pas fonctionner comme ça. On ne peut plus continuer à donner de l’audience à la rancœur, la rage, la haine...ça n’est pas possible. Cette musique parle de ça, de ce que je n’accepte pas. Je n’accepte pas qu’on puisse regarder un enfant dans le besoin et qu’on dise : « bien fait, c’est un vaurien et son père est un vaurien ». Je n’accepte pas qu’on passe devant la « Cracolândia » (5) et qu’on en dise que c’est une bande de vauriens qui ne veulent rien apprendre ». On ne peut pas accepter ça, on ne peut pas. Je sais qu’il existe plusieurs mondes, je sais que personne n’a l’obligation de penser la même chose qu’une autre personne. Mais il y a beaucoup de gens qui souffrent tu vois ? Et ça, ça fait vraiment mal. Et c’est plus ou moins le sujet de cette chanson. Il y a tant de personnes qui sont si distantes de tant de réalités qui existent dans notre pays. Et nombre de ces personnes ont un pouvoir très grand, mais on dirait qu’elles ne font pas le moindre effort. Courir dans la rue pour voir comment est la rue, pour voir ce qu’on fait de tant de choses qui ont été construites de manière complètement équivoques et ce qui est aimer dans notre pays. On dirait que certaines de ces personnes agissent avec obstination, mais en réalité ça saute aux yeux de tout le monde. Elles tapent du pied en disant « non », par égoïsme ou du fait d’être des personnes vraiment gâtées. « Non, je ne peux pas être contrarié, ça doit se passer de ma manière à moi et voilà ». « Menino Mimado » c’est un peu ça, et un peu de beaucoup d’autres choses aussi.

Qu’est ce qui, dans la samba,a le plus impacté ta vie ? Artistes, compositeurs, musiques, moments...

CRIOLO :

C’est difficile à dire, je crois que parfois les sambistes, ou la samba, viennent à toi à travers un ami qui t’a montré une chanson. Tu ne te souviens alors pas forcément du nom de la chanson, et tu ne sais même pas qui en est le chanteur, mais tu te souviens de ton ami qui t’avais fait écouté la samba. Alors cet ami fait partie de la samba aussi, parce que je vois ce processus comme un geste. J’ai récemment participé au disque de Martinho da Vila, qui est merveilleux. C’est tellement distant, loin, d’imaginer rencontrer ce type de personne... Je suis arrivé et il m’a pris dans ses bras, m’a embrassé sur le visage, et on est devenu collègues, mais c’est Martinho da Vila. C’est le geste qui nous a rapprochés, tu vois ? Ou savoir que Paulinho da Viola a écouté une de tes chansons et a dit « vas y gamin, sois tranquille ton cœur est pur, ta chanson est belle, sois heureux »... C’est Paulinho da Viola ! Maître des maîtres, mais c’est un être humain sensible, merveilleux, attentionné, qui a eu cette affection pour moi et a été respectueux comme l’a été Martinho. C’est le geste. Je crois que ces personnes ont un don si merveilleux, qui est de toucher autant de personnes au Brésil et dans le monde entier, parce qu’ils sont comme ça, parce qu’ils sont totalement amour. C’est le geste d’arriver chez soi, en ayant un certain âge, et regarder un disque et voir que sur la couverture de ce disque il y a un gars dans un restaurant qui lit un journal, et ce gars là c’était Moreira da Silva. Mon père a acheté ce disque, alors pour moi mon père c’est Moreira da Silva, en amenant ce disque, mon père a amené Moreira da Silva dans notre maison, Moreira da Silva est un peu mon père aussi, parce que ce disque est chez nous, dans notre maison. C’est toute

la beauté, la grandeur du geste. Je ne suis pas quelqu’un de studieux, je ne me rappelle pas des noms, ni des époques. Mais je garde dans mon cœur des moments d’émotions et je crois que c’est ça qui reste, finalement.

Qu’est ce que tu attends du futur, après le lancement du disque et le début de la tournée ?

CRIOLO :

Je ne sais pas ce que c’est d’attendre. L’opportunité de sentir la musique. Ça c’est déjà tout. Je suis réellement en train de voir un rêve se réaliser : un album de samba fait avec l’énergie et les expériences de ces musiciens merveilleux qui ont déjà tant vu, vécu et créé, c’est un grand honneur.

(1) Criolo est originaire de São Paulo (ndlr)

(2) Un barraco est une maison construite sans plan, à l’origine construite contre une paroi rocheuse au pied d’une colline avec des murs en planches de bois et un toit en zinc.

(3) Le Pagode da 27 est un groupe d’artistes qui se rassemble régulièrement pour des « rodas de samba » et dont Criolo a fait partier.

(4) Le malandragem est une expression bien Brésilienne qui désigne une action faite par une personne maline, futée pour se sortir d’une situation délicate.

(5) Cracolândia est le nom populaire donné à une région du centre de la ville de São Paulo dans laquelle, historiquement, s’est développé un intense trafic de drogues et de prostitution.