Votia

Vie Kaz
Sortie le 30 mai 2025
Label: Ajabu!
Quelle voix ! Et quel concentré d’énergie et de partage !

Chez Marie-Claude Lambert-Philéas, la musique est une histoire de famille ; les rythmes Maloya de feu son papa – le célèbre Gramoun Lélé – coulent dans son cœur, dans ses veines.​ Entourée de son mari et de ses enfants, elle a créé son groupe de Maloya Traditionnel, où la musique est un mode de vie, simplement indissociable de leur être. Votia joue le maloya dans son expression la plus puissante et la plus rapide, celle de l’est de l’île. Elle compose et chante en malgache et en créole, un Maloya puissant, marqué par les polyphonies et les percussions, influencés par les musiques indiennes et africaines qui l’ont accompagnée au fil des années et des tournées avec son père. En ligne de mire, la transmission et le devoir de mémoire envers les plus jeunes générations. Son maloya est un cri et un blues, mais aussi et surtout une célébration de la joie d’être, de chanter, jouer et danser, et de partager, avec une authentique générosité.
Avant de jouer en concert, Votia allume toujours une bougie pour honorer ses ancêtres avec, sans doute, une pensée première pour son illustre père, le maloyèr et poète Gramoun Lélé. Car jamais la chanteuse réunionnaise ne saurait oublier son héritage. Et, à son tour, elle transmet sa flamme, son fil rouge, son quotidien : le maloya comme musique, philosophie et mode de vie. « Je respire maloya, je mange maloya, je bois maloya… », confie cette femme-trait d’union, cette femme-flambeau entre deux générations, née Marie-Claude Philéas, dont le parcours symbolise à lui seul une vie, une trajectoire réunionnaise.
La sienne commence à Bras-Fusil, à l’est de l’île, dans une famille de treize enfants – trois filles, dix garçons – dans une « kaz » en bois sous tôle sans électricité, où la tribu partage ses jeux entre la forêt d’eucalyptus, les arbres fruitiers, les champs de cannes et les « allées-coco » – un lieu façonné par l’histoire de l’esclavage.

Choriste et danseuse

Le soir, le charismatique paternel délivre aux marmailles des contes en créole, des histoires parfois effrayantes, toujours ponctuées, pour les apaiser, d’une chanson « maloya ». Car le « maloya », ici, enveloppe le quotidien jusque tard dans la nuit, jusqu’à l’obsession, et les chansons collent au cerveau et au cœur de chacun des membres de la famille. Haute comme trois pommes, à peine trois ans, un jour de concert, Marie-Claude échappe à la vigilance de sa mère pour danser sans relâche sur les planches aux côtés de son père. Dès lors, elle ne cessera plus de tournoyer…
L’apprentissage de la musique, lui, se fait naturellement, par mimétisme, pour les enfants plongés dans le grand bain du maloya. Une existence lontan que Votia décrit en détail dans son titre-phare et éponyme, Vié Kaz. Et bien vite, les enfants accompagnent le père en tournée. Le rôle de Marie-Claude, à l’image de celui traditionnellement réservé aux femmes ? Choriste et danseuse. « Julien Philéas était mon père. Gramoun Lélé, mon patron, d’une exigence sans faille. Je devais partager ma vie entre les cours à l’école et la scène, sans beaucoup d’autres distractions… », se remémore celle que le « maître » appelait affectueusement Ti Fanm (« petite femme »).
En parallèle des tournées, se tiennent à Bras-Fusil, des cérémonies d’origines hindou, malgache, avec des processions, des offrandes, des transes, des marches sur le feu, telles que Votia les décrit dans sa chanson Zour do Lan. Des racines, toujours vives, spirituelles, qui irriguent ses chansons.
À l’âge adulte, si ses frères – Willy et Urbain, notamment – s’émancipent pour voler de leurs propres ailes, autour de leurs répertoires particuliers, elle reste dans l’ombre : choriste. Pas simple, en effet, de creuser son sillon en tant que femme dans le monde très masculin, voire macho, du maloya…
Mais il suffira d’une série d’événements malheureux pour que Marie-Claude ose enfin empoigner son héritage à bras le corps. « Papa était décédé en 2004, suivi par maman en 2008, et ma fille la même année. Dévastée, j’avais consulté une psychologue, sans succès. Je me suis alors rappelé que la musique, toujours là, pouvait être la solution à mon immense chagrin, que j’y puiserais mes plus grandes ressources », se remémore-t-elle. Comme nom d’artiste, elle choisit Votia, le prénom de sa mère : l’affirmation de son inscription dans une lignée féminine.

« Maloya caillou »

Dès lors, elle forge son style, dans la pure tradition de l’est de l’île : un « maloya caillou », comme elle l’appelle. « Contrairement à celui du Sud ou de l’Ouest, plus rond, plus doux, plus chantant, plus lancinant, celui d’ici se révèle plus ancré, guerrier, révolté, reposant sur un mélange malgache, africain, hindou. Sans doute aussi parce qu’ici, sont passés davantage d’esclaves… », explique-t-elle.
Ainsi porte-t-elle ce maloya musclé dans le creux de ses poings, même si Votia peut aussi se révéler capable d’une extrême douceur, à vous provoquer des frissons et à vous arracher des larmes d’émotion. Mais il faudra attendre encore huit ans, en 2016 pour qu’elle sorte son premier disque, Ansoumak, qui dévoile à la face du monde sa poésie sensible et sa personnalité de feu.
En parallèle, Marie-Claude obtient des diplômes d’enseignement au conservatoire, pour transmettre la culture de ses ancêtres au sein de l’institution. Mais c’est bien parmi les siens, au creux de sa famille qu’elle diffuse et partage encore plus son précieux trésor. C’est avec sa propre tribu, sa garde rapprochée – son mari, Fabrice Lambert et ses cinq enfants, Yelena, Kezia, Jyothy, Ajaye et Saori – qu’elle forge désormais son chant, accompagnée de son chœur, qui s’élève au quotidien sans sa maison, comme un gospel, une prière, pour parler aux esprits. Et ce dernier disque, Vié Kaz, elle le crée ici, en famille, comme procédait, avant elle, son père. Sauf que maintenant, c’est elle qui est sur le devant de la scène.
Sur ce nouvel opus, elle reprend trois chansons de Gramoun Lélé (Dan Kér Lélé, Dinibé, Volkan…), pour célébrer, une fois encore ce legs et honorer, à sa façon, les 20 ans de la disparition du « maître ». Elle chante évidemment la tradition (Vezu, en hommage aux ancêtres malgache, composé par Jyothi et Kezia…) Elle y exprime ses douleurs intimes, comme la perte de son frère aîné d’une maladie de cœur dans Dada. Elle y célèbre la beauté, les patrimoines et l’identité si forte et si riche de son île (Volkan, Zoli péi, L’identité) ; et s’attaque aussi avec passion à des sujets d’actualité brûlants : les violences faites aux femmes (Doulèr lo kèr), ou l’épidémie du Covid 19 (L’épidémie)...
Car s’il s’ancre dans une tradition séculaire, l’art de Votia ne saurait se déconnecter du présent. Bien au contraire, il joue avec et tisse, généreux, un pont entre le passé et l’avenir. À travers ses chansons, les ancêtres s’expriment, tout comme l’enfant au large sourire qui n’en finit pas de danser et de chanter…