Via Cotonou
Compilation 2CD
Sortie le 18 Juillet 2011
Label : Syllart / Discograph
Au cours de la première partie du vingtième siècle, le découpage au cordeau de la majorité de l’Afrique par les puissances européennes introduit une modernité forcée un peu partout sur le continent. Dans les villes et les ports, le continent bruisse d’une agitation nouvelle alors que l’électricité commence sa timide apparition. A la faveur de transports maritimes en plein essor, les 78 tours ramenés par les marins latino-américains, en particulier cubains, mais aussi par les soldats ou les colons européens, influencent durablement une nouvelle orientation musicale le long des côtes africaines.
A l’exception notable du Mali ou de l’Ethiopie, la plupart de ces pays littoraux connaissent un important développement musical alors que les pays enclavés à l’intérieur du continent, en raison soit d’un manque d’artistes emblématiques, d’une industrie du disque, même embryonnaire, digne de ce nom, d’une démographie réduite, d’influence culturelle moins forte ou la conjonction de plusieurs ou de la totalité de ces facteurs, privilégient souvent d’autres formes d’expressions.
A l’exception notable du Mali ou de l’Ethiopie, la plupart de ces pays littoraux connaissent un important développement musical alors que les pays enclavés à l’intérieur du continent, en raison soit d’un manque d’artistes emblématiques, d’une industrie du disque, même embryonnaire, digne de ce nom, d’une démographie réduite, d’influence culturelle moins forte ou la conjonction de plusieurs ou de la totalité de ces facteurs, privilégient souvent d’autres formes d’expressions.
Au cours de la première partie du vingtième siècle, le découpage au cordeau de la majorité de l’Afrique par les puissances européennes introduit une modernité forcée un peu partout sur le continent. Dans les villes et les ports, le continent bruisse d’une agitation nouvelle alors que l’électricité commence sa timide apparition. A la faveur de transports maritimes en plein essor, les 78 tours ramenés par les marins latino-américains, en particulier cubains, mais aussi par les soldats ou les colons européens, influencent durablement une nouvelle orientation musicale le long des côtes africaines.
A l’exception notable du Mali ou de l’Ethiopie, la plupart de ces pays littoraux connaissent un important développement musical alors que les pays enclavés à l’intérieur du continent, en raison soit d’un manque d’artistes emblématiques, d’une industrie du disque, même embryonnaire, digne de ce nom, d’une démographie réduite, d’influence culturelle moins forte ou la conjonction de plusieurs ou de la totalité de ces facteurs, privilégient souvent d’autres formes d’expressions.
Toute la façade de l’Afrique atlantique se transforme ainsi en un nouveau laboratoire de créations musicales largement influencées par le développement et la pénétration de la musique cubaine. A partir de la fin des années 1940, dans des villes côtières comme Saint-Louis, Dakar, Conakry, Abidjan, Cotonou, Porto Novo, Lagos, Douala ou Luanda, les orchestres locaux jouent à l’oreille les 78 tours que les marins cubains diffusent dans les estaminets avec leurs gramophones, moyennant quelques jetons. Sons, guajiras, boléros, pachangas et autres cha-cha-chas commencent à gagner le continent, les ports, les capitales comme les villes commerçantes.
L’apparition des phonographes, des premiers postes de radios à galène, les cuivres hérités des fanfares militaires coloniales, mais aussi la diffusion pionnière de la guitare dans des pays comme le Congo et la Guinée, posent les bases d’émergence d’une véritable musique moderne africaine. Celle-ci trouve dans la musique cubaine de nombreuses affinités électives, que ce soit dans l’emploi des percussions, dans les rythmes et les danses, mais aussi dans les modulations vocales. On assiste ainsi progressivement à une réinterprétation de ces musiques cubaines, mais aussi caribéennes, jazz ou rhythm’n’blues.
L’impact de la musique cubaine, une des premières musiques non occidentales à avoir été diffusée dans le monde entier sur disque, est essentiel dans l’émergence des musiques populaires africaines. En raison de l’exode des esclaves africains vers la Caraïbe et les Amériques, les liens unissant la population et la culture afro-cubaine et les pays de la façade atlantique africaine sont réels, surtout en Afrique de l’Ouest.
Afin de définir les échanges culturels et spirituels ayant lieu entre Salvador de Bahia et la côte béninoise, le grand ethnologue et photographe français Pierre Verger parlait de « flux et reflux ». Cette expression s’applique aisément aux mouvements musicaux en vigueur entre le littoral atlantique des « Amériques noires » chères à Roger Bastide et l’Afrique atlantique, pour gagner ensuite le reste du continent. Par le truchement d’échanges culturels forcés par le commerce triangulaire, on assiste à l’épanouissement de nouveaux courants musicaux dans des villes portuaires.
A La Havane, en 1860, le compositeur néo orléanais Louis Moreau Gottschalk organise La Nuit des Tropiques, où pour la première fois des tambourinaires africains partagent la vaste scène du Teatro Tacon avec des musiciens symphoniques et chanteurs lyriques d’origine européenne. Cet événement largement célébré à l’époque mais oublié depuis, scelle l’acte de naissance d’une musique de fusion, populaire et généreuse, qui va progressivement s’épanouir de part et d’autre de l’Atlantique.
Quelques années plus tard, elle prendra le nom de jazz aux Etats-Unis, avec son arrivée à La Nouvelle-Orléans. Cette fusion de rythmes noirs et blancs devient rock’n’roll à Memphis quelques décennies plus tard, avant de partir à la conquête du reste du monde. Un morceau afro-cubain enregistré à Conakry en 1968 trouve ainsi autant ses origines en Afrique que dans des villes comme La Havane ou La Nouvelle-Orléans, deux ports négriers du Nouveau Monde, décisifs dans le brassage des cultures africaines et européennes, de part et d’autre de l’océan Atlantique.
De nombreuses danses et rythmes issus des folklores africains évoluent ainsi au contact des villes mais aussi des instruments modernes, en particulier les cuivres, saxophones et trompettes en tête, mais aussi les guitares amplifiées, à partir de la fin des années 1940. Certains orchestres décident ainsi de « réafricaniser » ces musiques afro-cubaines et noires américaines écoutées sur dans les ports, sur la place publique ou diffusées sur les rares stations de radio, à commencer par celle de Brazzaville, qui émet en ondes courtes sur tout le continent selon la volonté du Général de Gaulle en 1943, comme médium de résistance en pleine Seconde Guerre Mondiale.
Amplifiés par l’émergence du trafic aérien, les voyages de plus en plus fréquents entre Afrique et Occident permettent une circulation plus rapide des disques et des dernières modes musicales. Ces allers-retours permanents le long des littoraux, puis dans les premiers aéroports sont l’une des clefs de l’émergence des musiques modernes africaines. Les bars dancings et les associations de jeunesse des villes africaines jouent également un rôle important dans la diffusion de ces musiques.
De villes en villes et de port en port, cette série Via vise à raconter les fusions musicales majestueuses ayant eu lieu entre musiques cubaines et musiques africaines. De Dakar à Kinshasa en passant par Conakry, Abidjan, Bamako, Ouagadougou, Cotonou ou Brazzaville, elles évoquent des scènes musicales en mouvement permanent, touchées par une candeur, une profondeur et une sincérité d’exécution jamais démenties. Port important, Cotonou brasse de nombreuses influences venues aussi bien des Amériques que d’Europe ou du continent noir.
Comme de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, le Bénin a été délimité selon un axe nord-sud, à l’image de son voisin togolais. Ces deux pays francophones sont coincés entre les anglophones Nigeria et le Ghana. Le Bénin possède de solides traditions musicales, notamment en ce qui concerne les cérémonies liées au culte des ancêtres et des esprits, des rites de transe merveilleusement décrits et photographiés par les ethnologues Pierre Verger et Gilbert Rouget. Ces cérémonies vaudou, dont le pays est le berceau, se distinguent notamment par leurs polyrythmies, qui mêlent cloches, hochets, incantations ou tambours.
L’euphorie des années d’indépendance est mise en musique par des orchestres en partie influencés par les formations de danse ghanéennes qui sillonnent alors toutes les grandes villes du Golfe du Bénin, du Nigeria jusqu’au Liberia. Les disques ghanéens et ceux de leurs collègues nigérians trouvent logiquement leur place sur les platines des bars, clubs et foyers des familles aisées du Sud du Bénin. L’écoute privée est encore embryonnaire, mais les yéyés français et la rumba congolaise sont également très prisés. On se retrouve alors plutôt pour danser dans des clubs en plein air.
A cela s’ajoutent les nécessaires influences cubaines, facilitées par le détachement d’attachés militaires castristes partout en Afrique. Rumbas, guaguancos, salsas et pachangas se dansent alors dans les paillotes de Porto-Novo et Cotonou, comme le Playboy Club de Théophile dit El Rego. Son orchestre, El Rego y sus Commandos, mais aussi Ignacio Blazio Osho & Orchestra Las Ondas ou Gnonnas Pedro y sus Panchos font partie des pionniers afro-cubains au Bénin.
Les Messagers de Porto-Novo, le Super Jheevs des Paillotes de Bohicon, le Discafric Band, le Black Santiago, le Super Borgou de Parakou, le National Jazz du Dahomey, le Renova Band, les Volcans de la Capitale, les Mongols, Les Astronautes, le Superstar de Ouidah, le Picoby Band d’Abomey, les Black Dragons de Porto Novo, l’Anassoua Jazz de Parakou ou les Perles Noires du Bénin occupent alors le haut de l’affiche. A la manière de ce qui se passe alors en Guinée ou au Mali, chaque ville ou préfecture possède au moins un orchestre moderne, que ce soit à Cotonou, Porto-Novo, Parakou, Abomey ou Bohicon.
Des chanteurs comme El Rego, Achille Johnny, Behanzin Paulin, Ambroise d’Almeida, Joseph Tao, Billedey Guissey connaissent également leur heure de gloire. Sagbohan Danialou, le batteur du Black Santiago, devient également un grand soliste, suivant l’exemple du chef d’orchestre Ignace de Souza qui crée le groupe en 1966 à Accra, au Ghana. La diva Edia Sophie est l’une des premières à diffuser la musique dahoméenne en dehors des frontières du pays, tout comme Gustave Gbénou ‘GG’ Vikey, « le chantre de la négritude et sa guitare africaine ».
Surnommé « le baobab de la musique béninoise », la plus grande vedette béninoise, toutes générations confondues, s’appelle Gnonnas Pedro. Inspiré par El Rego et Ignacio de Souza, il effectue ses grands débuts au sein des Panchos de Cotonou, dominant de son talent la scène béninoise jusqu’à son décès en 2004. A la croisée des années 1960 et 1970, il officie au Lido Club dans le quartier populaire du Jonquet. Bientôt, sa réputation dépasse les frontières de la ville et il entame de longues tournées régionales, riches en nouvelles influences culturelles. Il n’hésite pas à mélanger les trois grandes langues régionales fon, mina et yoruba en une seule chanson.
Il est accompagné au cours des années 1970 par le Dadjès Band avec lequel il enregistre une quinzaine d’albums publiés au Bénin, au Nigeria, en France ou au Ghana. Reprise d’un titre de Silvestre Mendez, le classique Yiri yiri boum s’impose aisément comme un véritable succès panafricain du début des années 1980. Dans le même registre et sur le même album, El cochechivo s’inscrit parmi ses meilleures productions afro-latines. Enregistré en 1980, ce morceau illustre un raffinement vocal assumé ici à la perfection.
Sur Ngbahanou O (« N’y pense pas trop »), un morceau qu’il enregistre à plusieurs reprises, il chante en mina en empruntant allègrement au standard Guantanamera : « Quelle tristesse ! Mon ami, ne te lamente pas. Celui qui est parti, a fini sa vie. Le tout-puissant se charge de le mettre à une bonne place. N’oublie pas que nous y passerons tous ». Etro coco Masawouinné (« La révolution ») est une autre de ses productions sur sa propre marque et studio Gnoinsope. Il chante ainsi une remise en cause permanente : « Certains dirigeants ont vendu l’Afrique. Toi, mon frère, ma sœur, prends conscience et demande-toi tous les jours ce que tu as fait pour la révolution ».
Accompagné par l’orchestre Black Santiago auprès duquel il effectue son apprentissage, Honoré Avolonto évolue dans le même registre que son collègue Pedro sur Bonne année, un morceau prosélyte qui fait danser tout en souhaitant des vœux sincères : « Chers parents, chers amis, l’année qui s’ouvre vous apportera tout le bonheur du monde. Avec la santé, l’argent s’ajoutera à l’argent et les pagnes s’ajouteront aux pagnes ».
Autre légende et pilier de la musique béninoise moderne, Pierre Avohou rend hommage à sa mère sur Naye tché (« chère maman »). Encore plus cubain dans son accompagnement, Zoum ma ve mà sé bénéficie de la présence de l’orchestre Black Santiago avec lequel il enregistre un album impeccable en 1979. Sur Ma koba houi deo, il chante : « Tu as perdu ta mère et tu dis vouloir te jeter dans le feu ou dans le fleuve. Je te conseille de ne pas aller chercher des problèmes là où il n’y en a pas dans la mesure où la mort fait partie de notre vie ».
Dirigé par le trompettiste Ignace de Souza, qui a gagné ses galons en se formant auprès des orchestres de high-life ghanéen dès 1955, le Black Santiago appartient à la légende de la musique moderne béninoise. A l’image de leurs collègues du Poly-Rythmo, le Black Santiago a accompagné de nombreux artistes béninois. Prolifique dans ses enregistrements, le groupe est aussi à l’aise dans le répertoire afro-cubain que dans l’afro-beat qu’Ignace de Souza a contribué à inventer à la fin des années 1960 alors qu’il jouait régulièrement avec Fela à Accra. Noun ma do minsi wë évoque une histoire d’amour contrite, sans moyen et sans dignité, où l’amoureux laisse filer sa dulcinée en raison de son impécuniosité.
« Prions pour nos frères et sœurs qui sont partis. La mort ne prévient pas. Je viens sécher vos larmes car le coupable et l’ennemi, c’est la mort. N’oublions jamais ceux qui nous quittés » telle est la substance de Babadé né mi. La trompette alanguie et les percussions au ralenti évoquent une eulogie tropicale bercée par les embruns océaniques. Dans un registre plus optimiste, les paroles de Bonne guérison disent : « Chérie, c’est la maladie qui nous offre à la mort. Je ne savais pas que j’allais te revoir. Beaucoup te voyaient déjà morte. A présent que tu t’en es sortie, je te dis « bonne guérison et robuste santé chérie ». Composé et chanté par Sébastien ‘Pacheco’ Houédanou, ce titre fait partie des standards afro-cubains du Black Santiago.
Standard parmi les standards, El manisero a bâti les fortunes de nombreux orchestres de l’Afrique atlantique et bien au-delà. Composé en 1928 par Moïsé Simons, ce titre a fait le tour du monde. Il existe plusieurs versions enregistrées au Bénin dont celle de Black Santiago, chantée par la voix inimitable de Danielou Sagbohan. Aérienne et subtile, celle-ci est aussi convaincante que celle de Pablo Medetadji. Enregistrée en 1980, cette version va à l’essentiel, portée par la voix sobre et grave de Medetadji dont le phrasé impeccable traduit les années passées à développer ce répertoire dans les paillotes du Golfe du Bénin.
Le long de cette côte qui va du Nigeria à la Côte d’Ivoire, de nombreux orchestres animent les hôtels ou les dancings chics. A Lomé, au Togo, les As du Bénin, sous la houlette de Roger Damawuzan, se sont affimés en l’espace de deux albums comme l’une des grandes formations de danse de la région. Hotel Tropicana s’impose d’emblée comme la meilleure publicité possible pour l’orchestre et son hôtel, « un lieu de tout repos, loin du vacarme ». Afin sans doute de célébrer le tout-puissant, face à l’atlantique : « Tous ensemble, louons le Seigneur. Christ, ayez pitié de nous sur la terre des hommes » dit l’orchestre sur Afeto kpo nublanui nam.
Pionniers de l’afro-cubain au Bénin en ayant accompagné El Rego, les Commandos de Cotonou ont eux aussi développé un répertoire constitué de reprises de classiques caribéens, notamment cubains, au cours des années 1960. Particulièrement réussie, cette version d’Errante y bohemio rend un très bel hommage à une perle signée Arsenio Rodriguez. Maracas, clave, trompette et chant incarné font de ce titre un classique assuré, à savourer sans modération. Sans le moindre artifice, ce morceau évoque une forme de classicisme d’exécution à l’éloquence malheureusement révolue.
Gnon nou de agnin wan na (« la femme que tu aimes ») affirme la Dynharmonie, un des nombreux orchestres issus des premières années d’indépendance. « Fais lever la femme que tu aimes pour danser le kara-kara et admirer la souplesse de ses hanches » chante ici l’orchestre emmené par HC Assogba Sonoras avec une retenue certaine. Ce titre a été enregistré au studio Phillips de Lagos, comme la plupart des morceaux modernes béninois, avant que le pays ne se dote à son tour de studios d’enregistrement au début des années 1970.
Issus de la même génération, les Supermen de Cotonou supplient : « Cécilia, écoute-moi, rapproche-toi de moi ! Quand je te vois, mon esprit se disperse. Viens ! Ne me rends pas malade ». Porté par la guitare alerte de leur chef d’orchestre Migan Célestin, Madazon mio (« ne me rends pas malade ») demeure l’un de leurs grands faits de gloire, un titre trop longtemps oublié. Il en est de même pour les pionniers méconnus du Negro Jazz de Cotonou, emmené par Mathias Malaya. Ancré dans le passé, Vi vo incite à la patience que doit apprendre la jeunesse alors que Gninou invite à prendre soin des enfants et à bien les éduquer.
Le Nérose Rhythm de Michel Kougbab appartient aussi à cette ancienne école qui écoutait autant la musique cubaine que les grands orchestres de la rumba congolaise, venus très tôt jouer dans la région. Amia yaco est chanté en baoulé avec un accompagnement de musiciens béninois. « Venez ! Venez les amis, mes frères, mes sœurs, venez danser ! » exhortent Les Volcans du Bénin sur Oya ka jojo, un des sommets de cette compilation. Paru en 1980, ce titre est interprété par Joseph Lawani, l’un des meilleurs salseros béninois. Trompette, trombone caisse claire et orgue s’en donnent ici à cœur joie. Orchestre National de la Gendarmerie du Bénin basé à Porto Novo, Les Volcans sont l’un des groupes les plus actifs de la fin des années 1970, formé dès 1962.
Artisan d’un son unique et fascinant, le Tout Puissant Orchestre Poly Rythmo de Cotonou est l’un des plus grands ensembles africains, pour lequel la polyrythmie n’est pas un vain mot. Cette formation est l’une des plus prolixes de tout le continent, au même titre que l’OK Jazz congolais, seul rival possible en nombre de disques publiés et des nombreux interprètes qu’il a accompagné tout au long de sa carrière.
La première mouture de l’orchestre voit le jour en 1966 sous la houlette du guitariste Mélomé Clément, des chanteurs Lohento Eskill et Joseph ‘Vicky’ Amenoudji, du batteur François Hoessou et du percussionniste Nestor Soumassou. Ils gravitent alors au sein du Sunny Black’s Band emmené par l’entrepreneur Wallace Creppy. Cette formation versatile œuvre dans les reprises de standards occidentaux et latinos dans différents dancings de Cotonou, plus particulièrement à la Canne à Sucre.
En 1969, après le départ de Creppy en France, les membres du Sunny’s Black Band décident de voler de leurs propres ailes en montant une nouvelle formation. Ils sont alors rejoints par le guitariste et organiste Bernard ‘Papillon’ Zoundegnon et le guitariste rythmique Maximus Adjadohoun. Le batteur Léopold Yehouessi, le bassiste Gustave Bentho, le saxophoniste ténor Loko Pierre, le chanteur Vincent Ahehehinnou, le percussionniste Mathurin D’Almeida, le trompettiste Cosme Cakpo et une poignée d’autres musiciens complètent la formation.
Celle-ci se structure autour d’influences comme le rhythm’n’blues, l’afrobeat, la rumba et le highlife, mais aussi de la variété et de l’afro-cubain. André Kentosou dit Cuicui, le propriétaire du magasin de disques Poly-Disco leur achète alors quelques instruments. Il souhaite que le groupe se rebaptise Poly-Orchestra ou El Ritmo afin de faire de la publicité à sa boutique. Mélomé Clément choisit finalement le terme Poly-Rythmo, en hommage à la grande variété de rythmes maîtrisés et joués.
En dépit d’une concurrence sévère et amicale avec certaines des formations présentes sur ce volume, le Poly Rythmo se hisse rapidement au rang des meilleurs orchestres modernes béninois. Ses productions sont tellement importantes qu’il doit multiplier les sorties. Cette activité musicale pléthorique voit essentiellement le jour sur des dizaines de 45 tours, avant la publication d’albums très prisés par les mélomanes, sans parler de concerts innombrables.
Le répertoire afro-cubain s’étoffe avec des morceaux comme Ten é ten : « On finira par le savoir. Celui qui a tué son voisin a enfreint la loi. C’est ton époux ou ton épouse, c’est quelqu’un que tu veux voler…Qu’importe, l’âme du défunt se vengera ! ». Dans le même registre, sur Kissi noumi (« embrasse-moi »), les paroles sont les suivantes : « Mon amour, mon mari, viens m’embrasser. Ce n’est pas parce qu’on n’a rien qu’on ne doit pas s’aimer. Sache que ce que le ver mangera ne manquera jamais sur la feuille ». Plus moraliste Wloui bonu houide (« prends soin de toi ») met en garde contre les méfaits de l’alcool et de la confusion liée à la boisson, méfaits aisément repérables dans les dancings, paillotes et autres débits de boisson.
En 1980, le groupe publie Yao Yao (« la mariée »), un des classiques de son vaste répertoire. « C’est le grand jour, mais la famille a en vain attendu la mariée jusqu’au matin. Toi la mariée, tu m’as fait la honte, mais jamais je n’accepterai de te quitter ». Paru sur le même album, Le silence n’est pas un oubli réconforte l’être aimé : « Les difficultés à vivre sont responsables de mon silence, mais, ne t’en fais pas, le silence n’est pas un oubli… Je pense à toi. Tant qu’on est vivant, on se reverra ». Sur le classique Semassa (Zéro + Zéro), l’orchestre philosophe une nouvelle fois : « Si ton âme ne se vend pas, l’ennemi ne l’achètera pas. Laissez tomber les rancunes et les chicaneries, car nul d’entre nous ne restera à vie ici-bas ».
Florent Mazzoleni
Remerciement particulier à Dave Wilson pour les traductions des paroles.
A l’exception notable du Mali ou de l’Ethiopie, la plupart de ces pays littoraux connaissent un important développement musical alors que les pays enclavés à l’intérieur du continent, en raison soit d’un manque d’artistes emblématiques, d’une industrie du disque, même embryonnaire, digne de ce nom, d’une démographie réduite, d’influence culturelle moins forte ou la conjonction de plusieurs ou de la totalité de ces facteurs, privilégient souvent d’autres formes d’expressions.
Toute la façade de l’Afrique atlantique se transforme ainsi en un nouveau laboratoire de créations musicales largement influencées par le développement et la pénétration de la musique cubaine. A partir de la fin des années 1940, dans des villes côtières comme Saint-Louis, Dakar, Conakry, Abidjan, Cotonou, Porto Novo, Lagos, Douala ou Luanda, les orchestres locaux jouent à l’oreille les 78 tours que les marins cubains diffusent dans les estaminets avec leurs gramophones, moyennant quelques jetons. Sons, guajiras, boléros, pachangas et autres cha-cha-chas commencent à gagner le continent, les ports, les capitales comme les villes commerçantes.
L’apparition des phonographes, des premiers postes de radios à galène, les cuivres hérités des fanfares militaires coloniales, mais aussi la diffusion pionnière de la guitare dans des pays comme le Congo et la Guinée, posent les bases d’émergence d’une véritable musique moderne africaine. Celle-ci trouve dans la musique cubaine de nombreuses affinités électives, que ce soit dans l’emploi des percussions, dans les rythmes et les danses, mais aussi dans les modulations vocales. On assiste ainsi progressivement à une réinterprétation de ces musiques cubaines, mais aussi caribéennes, jazz ou rhythm’n’blues.
L’impact de la musique cubaine, une des premières musiques non occidentales à avoir été diffusée dans le monde entier sur disque, est essentiel dans l’émergence des musiques populaires africaines. En raison de l’exode des esclaves africains vers la Caraïbe et les Amériques, les liens unissant la population et la culture afro-cubaine et les pays de la façade atlantique africaine sont réels, surtout en Afrique de l’Ouest.
Afin de définir les échanges culturels et spirituels ayant lieu entre Salvador de Bahia et la côte béninoise, le grand ethnologue et photographe français Pierre Verger parlait de « flux et reflux ». Cette expression s’applique aisément aux mouvements musicaux en vigueur entre le littoral atlantique des « Amériques noires » chères à Roger Bastide et l’Afrique atlantique, pour gagner ensuite le reste du continent. Par le truchement d’échanges culturels forcés par le commerce triangulaire, on assiste à l’épanouissement de nouveaux courants musicaux dans des villes portuaires.
A La Havane, en 1860, le compositeur néo orléanais Louis Moreau Gottschalk organise La Nuit des Tropiques, où pour la première fois des tambourinaires africains partagent la vaste scène du Teatro Tacon avec des musiciens symphoniques et chanteurs lyriques d’origine européenne. Cet événement largement célébré à l’époque mais oublié depuis, scelle l’acte de naissance d’une musique de fusion, populaire et généreuse, qui va progressivement s’épanouir de part et d’autre de l’Atlantique.
Quelques années plus tard, elle prendra le nom de jazz aux Etats-Unis, avec son arrivée à La Nouvelle-Orléans. Cette fusion de rythmes noirs et blancs devient rock’n’roll à Memphis quelques décennies plus tard, avant de partir à la conquête du reste du monde. Un morceau afro-cubain enregistré à Conakry en 1968 trouve ainsi autant ses origines en Afrique que dans des villes comme La Havane ou La Nouvelle-Orléans, deux ports négriers du Nouveau Monde, décisifs dans le brassage des cultures africaines et européennes, de part et d’autre de l’océan Atlantique.
De nombreuses danses et rythmes issus des folklores africains évoluent ainsi au contact des villes mais aussi des instruments modernes, en particulier les cuivres, saxophones et trompettes en tête, mais aussi les guitares amplifiées, à partir de la fin des années 1940. Certains orchestres décident ainsi de « réafricaniser » ces musiques afro-cubaines et noires américaines écoutées sur dans les ports, sur la place publique ou diffusées sur les rares stations de radio, à commencer par celle de Brazzaville, qui émet en ondes courtes sur tout le continent selon la volonté du Général de Gaulle en 1943, comme médium de résistance en pleine Seconde Guerre Mondiale.
Amplifiés par l’émergence du trafic aérien, les voyages de plus en plus fréquents entre Afrique et Occident permettent une circulation plus rapide des disques et des dernières modes musicales. Ces allers-retours permanents le long des littoraux, puis dans les premiers aéroports sont l’une des clefs de l’émergence des musiques modernes africaines. Les bars dancings et les associations de jeunesse des villes africaines jouent également un rôle important dans la diffusion de ces musiques.
De villes en villes et de port en port, cette série Via vise à raconter les fusions musicales majestueuses ayant eu lieu entre musiques cubaines et musiques africaines. De Dakar à Kinshasa en passant par Conakry, Abidjan, Bamako, Ouagadougou, Cotonou ou Brazzaville, elles évoquent des scènes musicales en mouvement permanent, touchées par une candeur, une profondeur et une sincérité d’exécution jamais démenties. Port important, Cotonou brasse de nombreuses influences venues aussi bien des Amériques que d’Europe ou du continent noir.
Comme de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, le Bénin a été délimité selon un axe nord-sud, à l’image de son voisin togolais. Ces deux pays francophones sont coincés entre les anglophones Nigeria et le Ghana. Le Bénin possède de solides traditions musicales, notamment en ce qui concerne les cérémonies liées au culte des ancêtres et des esprits, des rites de transe merveilleusement décrits et photographiés par les ethnologues Pierre Verger et Gilbert Rouget. Ces cérémonies vaudou, dont le pays est le berceau, se distinguent notamment par leurs polyrythmies, qui mêlent cloches, hochets, incantations ou tambours.
L’euphorie des années d’indépendance est mise en musique par des orchestres en partie influencés par les formations de danse ghanéennes qui sillonnent alors toutes les grandes villes du Golfe du Bénin, du Nigeria jusqu’au Liberia. Les disques ghanéens et ceux de leurs collègues nigérians trouvent logiquement leur place sur les platines des bars, clubs et foyers des familles aisées du Sud du Bénin. L’écoute privée est encore embryonnaire, mais les yéyés français et la rumba congolaise sont également très prisés. On se retrouve alors plutôt pour danser dans des clubs en plein air.
A cela s’ajoutent les nécessaires influences cubaines, facilitées par le détachement d’attachés militaires castristes partout en Afrique. Rumbas, guaguancos, salsas et pachangas se dansent alors dans les paillotes de Porto-Novo et Cotonou, comme le Playboy Club de Théophile dit El Rego. Son orchestre, El Rego y sus Commandos, mais aussi Ignacio Blazio Osho & Orchestra Las Ondas ou Gnonnas Pedro y sus Panchos font partie des pionniers afro-cubains au Bénin.
Les Messagers de Porto-Novo, le Super Jheevs des Paillotes de Bohicon, le Discafric Band, le Black Santiago, le Super Borgou de Parakou, le National Jazz du Dahomey, le Renova Band, les Volcans de la Capitale, les Mongols, Les Astronautes, le Superstar de Ouidah, le Picoby Band d’Abomey, les Black Dragons de Porto Novo, l’Anassoua Jazz de Parakou ou les Perles Noires du Bénin occupent alors le haut de l’affiche. A la manière de ce qui se passe alors en Guinée ou au Mali, chaque ville ou préfecture possède au moins un orchestre moderne, que ce soit à Cotonou, Porto-Novo, Parakou, Abomey ou Bohicon.
Des chanteurs comme El Rego, Achille Johnny, Behanzin Paulin, Ambroise d’Almeida, Joseph Tao, Billedey Guissey connaissent également leur heure de gloire. Sagbohan Danialou, le batteur du Black Santiago, devient également un grand soliste, suivant l’exemple du chef d’orchestre Ignace de Souza qui crée le groupe en 1966 à Accra, au Ghana. La diva Edia Sophie est l’une des premières à diffuser la musique dahoméenne en dehors des frontières du pays, tout comme Gustave Gbénou ‘GG’ Vikey, « le chantre de la négritude et sa guitare africaine ».
Surnommé « le baobab de la musique béninoise », la plus grande vedette béninoise, toutes générations confondues, s’appelle Gnonnas Pedro. Inspiré par El Rego et Ignacio de Souza, il effectue ses grands débuts au sein des Panchos de Cotonou, dominant de son talent la scène béninoise jusqu’à son décès en 2004. A la croisée des années 1960 et 1970, il officie au Lido Club dans le quartier populaire du Jonquet. Bientôt, sa réputation dépasse les frontières de la ville et il entame de longues tournées régionales, riches en nouvelles influences culturelles. Il n’hésite pas à mélanger les trois grandes langues régionales fon, mina et yoruba en une seule chanson.
Il est accompagné au cours des années 1970 par le Dadjès Band avec lequel il enregistre une quinzaine d’albums publiés au Bénin, au Nigeria, en France ou au Ghana. Reprise d’un titre de Silvestre Mendez, le classique Yiri yiri boum s’impose aisément comme un véritable succès panafricain du début des années 1980. Dans le même registre et sur le même album, El cochechivo s’inscrit parmi ses meilleures productions afro-latines. Enregistré en 1980, ce morceau illustre un raffinement vocal assumé ici à la perfection.
Sur Ngbahanou O (« N’y pense pas trop »), un morceau qu’il enregistre à plusieurs reprises, il chante en mina en empruntant allègrement au standard Guantanamera : « Quelle tristesse ! Mon ami, ne te lamente pas. Celui qui est parti, a fini sa vie. Le tout-puissant se charge de le mettre à une bonne place. N’oublie pas que nous y passerons tous ». Etro coco Masawouinné (« La révolution ») est une autre de ses productions sur sa propre marque et studio Gnoinsope. Il chante ainsi une remise en cause permanente : « Certains dirigeants ont vendu l’Afrique. Toi, mon frère, ma sœur, prends conscience et demande-toi tous les jours ce que tu as fait pour la révolution ».
Accompagné par l’orchestre Black Santiago auprès duquel il effectue son apprentissage, Honoré Avolonto évolue dans le même registre que son collègue Pedro sur Bonne année, un morceau prosélyte qui fait danser tout en souhaitant des vœux sincères : « Chers parents, chers amis, l’année qui s’ouvre vous apportera tout le bonheur du monde. Avec la santé, l’argent s’ajoutera à l’argent et les pagnes s’ajouteront aux pagnes ».
Autre légende et pilier de la musique béninoise moderne, Pierre Avohou rend hommage à sa mère sur Naye tché (« chère maman »). Encore plus cubain dans son accompagnement, Zoum ma ve mà sé bénéficie de la présence de l’orchestre Black Santiago avec lequel il enregistre un album impeccable en 1979. Sur Ma koba houi deo, il chante : « Tu as perdu ta mère et tu dis vouloir te jeter dans le feu ou dans le fleuve. Je te conseille de ne pas aller chercher des problèmes là où il n’y en a pas dans la mesure où la mort fait partie de notre vie ».
Dirigé par le trompettiste Ignace de Souza, qui a gagné ses galons en se formant auprès des orchestres de high-life ghanéen dès 1955, le Black Santiago appartient à la légende de la musique moderne béninoise. A l’image de leurs collègues du Poly-Rythmo, le Black Santiago a accompagné de nombreux artistes béninois. Prolifique dans ses enregistrements, le groupe est aussi à l’aise dans le répertoire afro-cubain que dans l’afro-beat qu’Ignace de Souza a contribué à inventer à la fin des années 1960 alors qu’il jouait régulièrement avec Fela à Accra. Noun ma do minsi wë évoque une histoire d’amour contrite, sans moyen et sans dignité, où l’amoureux laisse filer sa dulcinée en raison de son impécuniosité.
« Prions pour nos frères et sœurs qui sont partis. La mort ne prévient pas. Je viens sécher vos larmes car le coupable et l’ennemi, c’est la mort. N’oublions jamais ceux qui nous quittés » telle est la substance de Babadé né mi. La trompette alanguie et les percussions au ralenti évoquent une eulogie tropicale bercée par les embruns océaniques. Dans un registre plus optimiste, les paroles de Bonne guérison disent : « Chérie, c’est la maladie qui nous offre à la mort. Je ne savais pas que j’allais te revoir. Beaucoup te voyaient déjà morte. A présent que tu t’en es sortie, je te dis « bonne guérison et robuste santé chérie ». Composé et chanté par Sébastien ‘Pacheco’ Houédanou, ce titre fait partie des standards afro-cubains du Black Santiago.
Standard parmi les standards, El manisero a bâti les fortunes de nombreux orchestres de l’Afrique atlantique et bien au-delà. Composé en 1928 par Moïsé Simons, ce titre a fait le tour du monde. Il existe plusieurs versions enregistrées au Bénin dont celle de Black Santiago, chantée par la voix inimitable de Danielou Sagbohan. Aérienne et subtile, celle-ci est aussi convaincante que celle de Pablo Medetadji. Enregistrée en 1980, cette version va à l’essentiel, portée par la voix sobre et grave de Medetadji dont le phrasé impeccable traduit les années passées à développer ce répertoire dans les paillotes du Golfe du Bénin.
Le long de cette côte qui va du Nigeria à la Côte d’Ivoire, de nombreux orchestres animent les hôtels ou les dancings chics. A Lomé, au Togo, les As du Bénin, sous la houlette de Roger Damawuzan, se sont affimés en l’espace de deux albums comme l’une des grandes formations de danse de la région. Hotel Tropicana s’impose d’emblée comme la meilleure publicité possible pour l’orchestre et son hôtel, « un lieu de tout repos, loin du vacarme ». Afin sans doute de célébrer le tout-puissant, face à l’atlantique : « Tous ensemble, louons le Seigneur. Christ, ayez pitié de nous sur la terre des hommes » dit l’orchestre sur Afeto kpo nublanui nam.
Pionniers de l’afro-cubain au Bénin en ayant accompagné El Rego, les Commandos de Cotonou ont eux aussi développé un répertoire constitué de reprises de classiques caribéens, notamment cubains, au cours des années 1960. Particulièrement réussie, cette version d’Errante y bohemio rend un très bel hommage à une perle signée Arsenio Rodriguez. Maracas, clave, trompette et chant incarné font de ce titre un classique assuré, à savourer sans modération. Sans le moindre artifice, ce morceau évoque une forme de classicisme d’exécution à l’éloquence malheureusement révolue.
Gnon nou de agnin wan na (« la femme que tu aimes ») affirme la Dynharmonie, un des nombreux orchestres issus des premières années d’indépendance. « Fais lever la femme que tu aimes pour danser le kara-kara et admirer la souplesse de ses hanches » chante ici l’orchestre emmené par HC Assogba Sonoras avec une retenue certaine. Ce titre a été enregistré au studio Phillips de Lagos, comme la plupart des morceaux modernes béninois, avant que le pays ne se dote à son tour de studios d’enregistrement au début des années 1970.
Issus de la même génération, les Supermen de Cotonou supplient : « Cécilia, écoute-moi, rapproche-toi de moi ! Quand je te vois, mon esprit se disperse. Viens ! Ne me rends pas malade ». Porté par la guitare alerte de leur chef d’orchestre Migan Célestin, Madazon mio (« ne me rends pas malade ») demeure l’un de leurs grands faits de gloire, un titre trop longtemps oublié. Il en est de même pour les pionniers méconnus du Negro Jazz de Cotonou, emmené par Mathias Malaya. Ancré dans le passé, Vi vo incite à la patience que doit apprendre la jeunesse alors que Gninou invite à prendre soin des enfants et à bien les éduquer.
Le Nérose Rhythm de Michel Kougbab appartient aussi à cette ancienne école qui écoutait autant la musique cubaine que les grands orchestres de la rumba congolaise, venus très tôt jouer dans la région. Amia yaco est chanté en baoulé avec un accompagnement de musiciens béninois. « Venez ! Venez les amis, mes frères, mes sœurs, venez danser ! » exhortent Les Volcans du Bénin sur Oya ka jojo, un des sommets de cette compilation. Paru en 1980, ce titre est interprété par Joseph Lawani, l’un des meilleurs salseros béninois. Trompette, trombone caisse claire et orgue s’en donnent ici à cœur joie. Orchestre National de la Gendarmerie du Bénin basé à Porto Novo, Les Volcans sont l’un des groupes les plus actifs de la fin des années 1970, formé dès 1962.
Artisan d’un son unique et fascinant, le Tout Puissant Orchestre Poly Rythmo de Cotonou est l’un des plus grands ensembles africains, pour lequel la polyrythmie n’est pas un vain mot. Cette formation est l’une des plus prolixes de tout le continent, au même titre que l’OK Jazz congolais, seul rival possible en nombre de disques publiés et des nombreux interprètes qu’il a accompagné tout au long de sa carrière.
La première mouture de l’orchestre voit le jour en 1966 sous la houlette du guitariste Mélomé Clément, des chanteurs Lohento Eskill et Joseph ‘Vicky’ Amenoudji, du batteur François Hoessou et du percussionniste Nestor Soumassou. Ils gravitent alors au sein du Sunny Black’s Band emmené par l’entrepreneur Wallace Creppy. Cette formation versatile œuvre dans les reprises de standards occidentaux et latinos dans différents dancings de Cotonou, plus particulièrement à la Canne à Sucre.
En 1969, après le départ de Creppy en France, les membres du Sunny’s Black Band décident de voler de leurs propres ailes en montant une nouvelle formation. Ils sont alors rejoints par le guitariste et organiste Bernard ‘Papillon’ Zoundegnon et le guitariste rythmique Maximus Adjadohoun. Le batteur Léopold Yehouessi, le bassiste Gustave Bentho, le saxophoniste ténor Loko Pierre, le chanteur Vincent Ahehehinnou, le percussionniste Mathurin D’Almeida, le trompettiste Cosme Cakpo et une poignée d’autres musiciens complètent la formation.
Celle-ci se structure autour d’influences comme le rhythm’n’blues, l’afrobeat, la rumba et le highlife, mais aussi de la variété et de l’afro-cubain. André Kentosou dit Cuicui, le propriétaire du magasin de disques Poly-Disco leur achète alors quelques instruments. Il souhaite que le groupe se rebaptise Poly-Orchestra ou El Ritmo afin de faire de la publicité à sa boutique. Mélomé Clément choisit finalement le terme Poly-Rythmo, en hommage à la grande variété de rythmes maîtrisés et joués.
En dépit d’une concurrence sévère et amicale avec certaines des formations présentes sur ce volume, le Poly Rythmo se hisse rapidement au rang des meilleurs orchestres modernes béninois. Ses productions sont tellement importantes qu’il doit multiplier les sorties. Cette activité musicale pléthorique voit essentiellement le jour sur des dizaines de 45 tours, avant la publication d’albums très prisés par les mélomanes, sans parler de concerts innombrables.
Le répertoire afro-cubain s’étoffe avec des morceaux comme Ten é ten : « On finira par le savoir. Celui qui a tué son voisin a enfreint la loi. C’est ton époux ou ton épouse, c’est quelqu’un que tu veux voler…Qu’importe, l’âme du défunt se vengera ! ». Dans le même registre, sur Kissi noumi (« embrasse-moi »), les paroles sont les suivantes : « Mon amour, mon mari, viens m’embrasser. Ce n’est pas parce qu’on n’a rien qu’on ne doit pas s’aimer. Sache que ce que le ver mangera ne manquera jamais sur la feuille ». Plus moraliste Wloui bonu houide (« prends soin de toi ») met en garde contre les méfaits de l’alcool et de la confusion liée à la boisson, méfaits aisément repérables dans les dancings, paillotes et autres débits de boisson.
En 1980, le groupe publie Yao Yao (« la mariée »), un des classiques de son vaste répertoire. « C’est le grand jour, mais la famille a en vain attendu la mariée jusqu’au matin. Toi la mariée, tu m’as fait la honte, mais jamais je n’accepterai de te quitter ». Paru sur le même album, Le silence n’est pas un oubli réconforte l’être aimé : « Les difficultés à vivre sont responsables de mon silence, mais, ne t’en fais pas, le silence n’est pas un oubli… Je pense à toi. Tant qu’on est vivant, on se reverra ». Sur le classique Semassa (Zéro + Zéro), l’orchestre philosophe une nouvelle fois : « Si ton âme ne se vend pas, l’ennemi ne l’achètera pas. Laissez tomber les rancunes et les chicaneries, car nul d’entre nous ne restera à vie ici-bas ».
Florent Mazzoleni
Remerciement particulier à Dave Wilson pour les traductions des paroles.