Titi Robin

Rebel Diwana
Sortie le 30 mars 2018
Label : Suraj / Molpé Music
Avec Rebel Diwana, la musique de Titi Robin change de peau et d’outils, sans rien abdiquer de son langage, son âme, sa vision. Flanqué de trois jeunes musiciens de la scène jazz parisienne, ainsi que d’un joueur de sarangi et d’un chanteur indien, son auteur intensifie sa matière, en usant pour la première fois d’une guitare électrique et en posant sa voix sur ses propres mots. Rebel Diwana est un recueil de poèmes acérés et sensuels, où se confondent les figures de la passion et de l’exil. Titi Robin y trace plus profondément encore le sillon d’une expression de l’intime à nulle autre pareille, les contours d’un univers intérieur abreuvé aux sources des musiques du bassin méditerranéen, d’Asie Centrale ou du Rajahstan.

- TITI ROBIN GUITARES, VOIX
- ARTHUR ALARD, BATTERIE
- NATALINO NETO, BASSE
- MURAD ALI KHAN, SARANGI
- NICHOLAS VELLA, CLAVIERS
- SHUHEB HASAN, CHANT
Avec Rebel Diwana, la musique de Titi Robin change de peau et d’outils, sans rien abdiquer de son langage, son âme, sa vision. Flanqué de trois jeunes musiciens de la scène jazz parisienne, ainsi que d’un joueur de sarangi et d’un chanteur indien, son auteur intensifie sa matière, en usant pour la première fois d’une guitare électrique et en posant sa voix sur ses propres mots. Rebel Diwana est un recueil de poèmes acérés et sensuels, où se confondent les figures de la passion et de l’exil. Titi Robin y trace plus profondément encore le sillon d’une expression de l’intime à nulle autre pareille, les contours d’un univers intérieur abreuvé aux sources des musiques du bassin méditerranéen, d’Asie Centrale ou du Rajahstan.

Cet album ne pourrait être qu’un pas de côté dans son parcours solitaire : c’est en vérité la réaffirmation d’un regard aigu sur le monde qui, dans un même mouvement, en saisit la violence et la beauté.

Les disques de Titi Robin ne valent pas seulement par leur qualité musicale. Ce qui les rend si intensément précieux, c’est que, depuis plus de trente ans maintenant, ils dessinent en profondeur le mouvement d’une expérience, le chemin d’une vie d’homme. Un chemin souvent venteux, parfois accidenté ; mais toujours librement suivi et assumé, envers et contre tout. En 2005, le guitariste, compositeur et improvisateur affirmait déjà : “Mon langage doit évoluer comme moi j’évolue dans l’existence. Si je trahis ce pacte entre ma vie et ma musique, l’une ou l’autre me le fera payer.”

Rebel Diwana ne fait pas exception à cette règle, qui relève moins d’un dogme esthétique que d’une éthique personnelle mise en actes. Pour Titi Robin, il s’agit encore une fois d’apporter la plus grande exigence, l’attention la plus soutenue à l’exercice du métier de vivre. À la musique, ensuite, d’en refléter poétiquement le labeur et d’en consigner les traces. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce nouvel album s’ouvre avec un prélude instrumental dont le titre, empreint d’une gravité pas totalement dénuée de malice, est Primum vivere. Oui, “il faut vivre d’abord”… Les anciens ajoutaient : “et ensuite philosopher”. Titi Robin, lui, ajoute : “et ensuite créer de la musique”.

En découvrant Rebel Diwana, certains auditeurs penseront peut-être que le mouvement s’imprime cette fois sous la forme d’une véritable rupture, d’un geste tranché et radical. Si l’on s’en tient à la surface des faits, oui. Après tout, c’est la première fois que Titi Robin construit un album en délaissant guitare acoustique, bouzouq et oud, au profit de la seule et exclusive guitare électrique – le genre de matériel et de son qu’on ne l’avait pas entendu manier depuis la fin des années 80 et d’endiablées parties de bouzouq amplifié au sein du groupe angevin Johnny Michto… Première fois, aussi, qu’il s’entoure d’un groupe dont le noyau instrumental se rattache à la musique occidentale dominante : basse, batterie et claviers, respectivement tenus par Natallino Neto, Arthur Alard et Nicholas Vella, trois nouveaux et jeunes équipiers issus de la scène jazz/world parisienne. Première fois, enfin, que Titi décide de donner littéralement de la voix, de poser sur les trames musicales d’un album certains des textes poétiques qu’il écrit depuis toujours ; un pas décisif pour lui, qu’il n’avait franchi jusque alors que par le truchement du comédien Michael Lonsdale, en 2014, dans L’Ombre d’une source.

Alors oui, dans Rebel Diwana, la musique de Titi Robin change radicalement d’enveloppe et d’outils. Mais elle n’abdique et ne travestit rien de son langage, de son âme ni de sa vision. En 1974, Leonard Cohen, qui maîtrisait plutôt bien l’idée de morale poétique et les diverses façons de s’y tenir, intitula son quatrième album New Skin for the Old Ceremony. Une “nouvelle peau pour une ancienne cérémonie” : voilà exactement ce qu’est Rebel Diwana. Pour Titi Robin, pas question de céder soudainement à la tentation convenue du rock’n’roll ni aux assommantes sirènes de la fusion. Fidèle à son écriture, le musicien se réaffirme comme l’enfant d’une culture “souterraine” et “insoumise” : celle qui, abreuvée depuis sa prime jeunesse aux sources des traditions du bassin méditerranéen, d’Asie Centrale ou du Rajasthan, lui a permis de se forger une expression de l’intime à nulle autre pareille, de faire de son art un miroir de son “ciel intérieur”. C’est en reconnaissance de cela que, dans le cercle de Rebel Diwana, il a réservé un rôle crucial à deux musiciens indiens, qui complètent donc le line-up : le joueur de sarangi Murad Ali Khan (déjà présent dans Les Rives), virtuose dont chaque trait mélodique se pare d’une confondante justesse ; et le jeune chanteur Shuheb Hasan, dont la pure puissance vocale accompagne, comme si elles étaient siennes, les forces telluriques à l’œuvre dans le disque.

Car quelque chose tremble fort au cœur de cet “amour fou”, de cette “passion rebelle” dont l’album porte le titre. Si, dans sa forme, la musique de Titi Robin change, se densifie, se hérisse, voire se durcit par moments, c’est pour coller plus que jamais au fond qu’elle vient servir. Et le fond est tendu, remué et secoué de toutes parts, même lorsque lui est prêtée l’apparence de la tranquillité. En musique comme en mots, Rebel Diwana est un recueil de poèmes acérés et sensuels, où se confondent les figures de la passion (Tabac brun) et de l’exil (Ce pays sombre au bord du fleuve), où l’âpreté de la vie intime (Tisse intimement le voile que tu déchireras demain) résonne avec la brutalité du monde (Balles perdues), où le goût amer du regret perle déjà à la naissance du désir (Gorgé de sève), où beautés et violences voisinent et s’épousent souvent dans le même tableau. Dans ces équilibres instables où se décèle la promesse fragile d’une harmonie, Titi Robin est bien là, tout entier. On reconnaît sa signature dans l’oscillation entre les compositions à 7 temps, plus amples et extraverties, et celles à 5 temps, plus propices au murmure, à la parole secrète ou érotique – ces blues bancals, danses boitillantes qui, selon leur auteur, expriment dans leur métrique même “la fatigue de vivre et l’espèce d’amertume jouissive qui en naît, ce plaisir qu’on peut éprouver à s’y abandonner”. On entend sa voix de poète, plus riche que jamais, dans le double jeu entre ses récits en français, psalmodiés ou déclamés, et ses textes traduits en hindi fiévreusement interprétés par Shuheb Hasan, dans ces va-et-vient revendiqués, et presque ludiques, entre les deux faces de son identité. On retrouve sa patte, encore, dans cette manière de convoquer le plaisir du jeu, de l’impro et de la danse lorsque le climat menace d’être trop lourd – ainsi Ali Farka danse et se souvient, qui démontre au passage que la mémoire des grands maîtres peut aussi être une fête de l’âme, et Raqs Karoo, Meri Khushboo, détonation finale qui semble libérer toute la tension comprimée dans l’album. Rebel Diwana fourmille ainsi d’échos avec ce que Titi Robin, par le passé, a su accomplir. A chaque nouvelle foulée, ce disque semble entraîner et transformer ceux qui l’ont précédé.

En exergue de son livret, on trouve ces mots du grand poète Muhammad Iqbâl : “La rive a dit : “Ça fait longtemps que je vis / mais finalement, je ne sais pas clairement qui je suis. / Une vague abandonnée, en mouvement, lui a dit : “Je suis si je vais. Si je ne vais pas, je ne suis pas.” Ils sont mis en miroir avec les paroles d’un autre poète, l’Irlandais Seamus Heaney : “Est-ce la mer qui a délimité la terre, ou la terre qui a délimité la mer ? / Chacun a tiré un sens nouveau du choc des vagues. / La mer s’est brisée sur la terre pour se définir pleinement.” Tout est dit : Titi Robin est cette vague qui accepte non seulement de s’abandonner à son propre mouvement, mais qui en tire même sa raison d’être. Avec Rebel Diwana, il démontre que son identité ne saurait être réduite à une photo figée ni comparée à une eau stagnante. C’est à la lumière vive de cette conviction qu’il faut l’écouter. Cet album n’aurait pu être qu’un pas de côté dans le parcours solitaire de son auteur : c’est en vérité la réaffirmation d’un regard aigu sur le monde et sur sa condition d’être humain.