Tiganá Santana
Vida-Código
Sortie le 17 juillet 2020
Label : Ajabu !
Diplômé de philosophie, originaire de Salvador de Bahia « La Noire », Tiganá Santana sort son 4ème album, intitulé « Vida-Código » à la douceur désarmante, véritable éloge de la lenteur et de l’art du murmure. L’auteur-compositeur, interprète, guitariste, producteur et chercheur nous présente 10 nouveaux titres pour la plupart chantés en portugais mais, polyglotte, il s’exprime également en espagnol, français, anglais et en kikongu (langue bantoue parlée en Angola, au Gabon et dans les deux Congos. Lui qui n’a de cesse d’explorer ses racines africaines, il est l’un des seuls artistes brésiliens, si ce n’est le seul à composer dans ces langues qui lui sont si chères.
« Tiganá Santana, voix gracile d’un folk afro-brésilien intimiste et baigné de spiritualité, est le chanteur philosophe qui a forgé sa conscience noire entre la ville de Salvador de Bahia, où il a grandi, et le continent de ses ancêtres. »
Télérama
Diplômé de philosophie, originaire de Salvador de Bahia « La Noire », Tiganá Santana sort son 4ème album, intitulé « Vida-Código » à la douceur désarmante, véritable éloge de la lenteur et de l’art du murmure. L’auteur-compositeur, interprète, guitariste, producteur et chercheur nous présente 10 nouveaux titres pour la plupart chantés en portugais mais, polyglotte, il s’exprime également en espagnol, français, anglais et en kikongu (langue bantoue parlée en Angola, au Gabon et dans les deux Congos. Lui qui n’a de cesse d’explorer ses racines africaines, il est l’un des seuls artistes brésiliens, si ce n’est le seul à composer dans ces langues qui lui sont si chères.
L’esthétique sonore de ce nouvel album est différente de ses précédentes propositions. Mis à part les percussions, Tiganá utilise d’avantage d’instruments électroniques. Il introduit les sons du piano et de l’accordéon joués par Aline Falcão, les guitares aux cordes d’acier de Leonardo Mendes et Jorge Solovera, et enfin la basse de Ldson Galter, complice de scène depuis plus de 10 ans.
Tiganá signe à nouveau la réalisation de l’album avec Sebastian Notini. Le touche à tout suédois exilé au Brésil a toujours été très important dans le son Santana Il nous présente ses nouvelles compositions, mais aussi une nouvelle version d’un titre de son premier album, « Macâlé ». Avec sa mère, il a également enregistré une vieille chanson afro-brésilienne de Ilê Aiyê, premier groupe de ce genre au Brésil, dont sa mère est une des fondatrices.
Tiganá Santana en langue étrangère
par Marc Blanchet
Comment parler d’une musique dont la voix chantée procède par des inflexions qui, quoiqu’envoûtantes par leur extrême douceur, prononcent une parole qui nous est étrangère, qui se voile dans le même mouvement d’étrangeté ? Cette langue brésilienne, je peux en percevoir les chuintements. Par un tel vocable, ne lui donné-je pas une direction qui la porte vers une sensualité inévitable, une intimité trop identifiable culturellement ?
Pourtant, à l’écoute de l’album Vida Código de Tiganá Santana, j’éprouve sincèrement ce lien entre ce que la voix chantée porte en elle d’attention, de délicatesse, et comment la musique s’y s’entrelace, dans un rituel où la syllabe a pour sœur la note, qui fait qu’à chaque mot, chaque son, nous marchons dans les pas des muses.
Je me refuse à traduire les textes des chansons dans un premier temps, préfère écrire mes impressions sans chercher à comprendre ces paroles étrangères. Cette herméneutique m’égarerait ; toute traduction multiplie les compréhensions, les interprétations. Aussi la voix sera musique ; quelques mots compris de ci de là les seuls passages.
D’emblée, je suis contredit : dès la première chanson, la langue brésilienne rencontre la française. Si je peux épingler ces mots sur la feuille d’un entendement, je persiste et goûte l’anamorphose. Cette première chanson, Flor Destinada (Effleurer Le Destin), nous entraîne, invite l’auditeur à entrer dans la forme revendiquée de la chanson propre à cet album. Elle a la fraîcheur de ces ouvertures qui donnent sur la scène du monde avec un cœur pur, une candeur assumée. Les musiciens qui s’y font entendre m’apparaissent autour du chanteur comme une sorte de communauté, et la voix de Tiganá comme un chemin retrouvé, autour duquel le paysage inscrit sa nouveauté.
Un basculement se fait, qui n’est peut-être pas surprenant, et raconte une tension palpable dans la musique de Tiganá Santana, telle que je la connais d’autres enregistrements : ces compositions disent la vie, une vie prise dans la notion si complexe de destin. Cette deuxième chanson, Palavra de Honra, est portée par un piano orgue (je l’appellerai ainsi) riche d’échos qui témoignent combien la pensée même de l’existence peut se traduire au-delà des paroles par la possibilité de ces résonances, qui sont la mise en espace, en perspective, d’une méditation.
La pensée musicale de Tiganá Santana, paroles ou musique, est toujours cette manière de faire entendre le poème comme forme atteinte (ici des chansons) et forme cherchant à apparaître. Comme si nous assistions au processus d’écriture du poème et l’entendions, achevé, de suite. Nous pouvons voir sa structure interne émerger, voire surgir, par l’évidence des instruments choisis, et le visage de la mélodie.
Si mélodie il y a, elle se propose également dans ce qui la retient : à la fois berceuse et offrande, intimité et partage. Aussi le rythme devient-il souffle ; la voix un instrument à même de s’étendre, quoique cette voix semble suspendue, comme un fil à suivre dans une histoire.
Il y a de même à l’œuvre dans les chansons de cet album une pudeur de l’expression, la nécessité d’une retenue, qui portent tout accompagnement musical vers un minimalisme serein, non pas dans une épure qui irait jusqu’à l’os, plutôt parce que l’humain qui chante ici, ou croise une autre voix (Ilê, Se Não Gostasse de Você), ne connaît d’autres vérités que cette quintessence.
Quelle douceur dans ces voix ! Et quel éloignement aussi, pour nous, qui ne pouvons chanter pareil ! Nous nous retrouverons à voyager dans des chants d’une tenue noble, d’une intelligence intègre. Sans cesse, de manière fine, infime, la chanson se confond au cœur de ce qui l’énonce.
Que raconte ce chanteur, que disent ces chansons ? Aucune idée, en l’absence totale de compréhension du texte... Je sais que ce n’est pas L’Iliade, que si une épopée existe, elle a sûrement comme territoire meurtri le Brésil d’aujourd’hui. En tout cas, j’entends clairement en ces chansons que toute entreprise de narcissisme est éconduite.
Ce que je perçois si précisément vient de l’expérience qui m’est proposé, et qui trouve racines dans ces « visages-chansons » : le poids libérateur d’une altérité. Aussi je deviens frère de chacune d’elles ; j’entre dans une empathie singulière avec cette voix. La musique, par exemple cette guitare dans la sixième chanson (Vida- Código), me parle dans ses moindres nuances. J’entends qu’elle prononce, elle aussi, mot à mot, le poème.
Pour peu que la chanson suivante (Aclarate) gagne en ampleur, chaque mot, chaque note, dessinent un paysage. Ce paysage ne se donne pas d’emblée ; il écoule devant moi son existence, donne à voir ses couleurs, les peuplent ici et là de surprises. Toutefois, la voix déploie dans la chanson une fidélité à cette chose si difficile à définir qu’est la vie, et cette conscience de la vie si difficile à dire qu’est le destin. Rien ne peut corrompre une telle voix. Ce qu’elle chante répond à une vérité intérieure dans une forme qui vient à moi en ne perdant jamais rien du sang qui la parcourt.
Mon corps devient silencieux ; il respire à travers les veines de cette musique. Parfois, j’entends des mots qui pourraient être des rires, des paroles incompréhensibles qui laissent transpirer une ironie. À la huitième chanson (Do Fundo), j’éprouve combien ces chansons créent par leur écoute une sorte de mesure en moi, à la fois mémoire et apaisement, une idée sûrement de la condition humaine.
Ces chansons offrent un lendemain à ma propre vie (qui peut venir dans la seconde qui suit) : aller dans le monde et ne point y mentir. Comme le mot destin est en français dans la première chanson, je pense à ce poète qui écrivait au sujet de la vie d’un individu que sa vie en était devenue douloureuse car elle avait dépassé la durée de son destin. C’est souvent une vérité, une souffrance pour beaucoup d’êtres humains, c’est également ainsi que la nostalgie vient à nous : donner à ressentir la vie quand elle peut fuir, le temps quand il peut trahir.
Toutefois, je suis chanceux ; Tiganá Santana ne m’abandonne pas. À chaque chanson, il semble m’enjoindre de me recueillir, sans que je sois religieux, de méditer sans que je sois mystique. Dès lors, mes sens reviennent à moi ; la bonté possible du monde réapparaît sous mes yeux.
Cet album est Un livre des amis. À la fois viatique et perception du monde, l’ensemble de ces chansons cherche à ouvrir notre conscience, y parvient et nous demande sans cesse de vivre ainsi : ouvrir toujours plus.
Je peux reprendre l’expérience, en réécoutant ces chansons. Je le fais. Il m’importe à nouveau ne pas chercher à traduire (je comprenais autrement en temps voulu), de laisser toute intellection, ou plutôt considérer que la vraie intellection est celle du sensible : pareille musique crée une ronde de sens qui une manière d’habiter le monde.
Ainsi je peux voir dans cette musique ce qui me retient prisonnier de moi- même, et par son écoute me défaire de mes croyances, ne pas exercer sur autrui ma domination, fût-elle infime ou maladroite. Ce n’est pas nécessairement en étant assis au milieu d’une pièce. Ce peut être parmi les hommes, ces frères humains comme les appelait le poète François Villon, c’est-à-dire debout, un sourire bienveillant sur les lèvres.
Télérama
Diplômé de philosophie, originaire de Salvador de Bahia « La Noire », Tiganá Santana sort son 4ème album, intitulé « Vida-Código » à la douceur désarmante, véritable éloge de la lenteur et de l’art du murmure. L’auteur-compositeur, interprète, guitariste, producteur et chercheur nous présente 10 nouveaux titres pour la plupart chantés en portugais mais, polyglotte, il s’exprime également en espagnol, français, anglais et en kikongu (langue bantoue parlée en Angola, au Gabon et dans les deux Congos. Lui qui n’a de cesse d’explorer ses racines africaines, il est l’un des seuls artistes brésiliens, si ce n’est le seul à composer dans ces langues qui lui sont si chères.
L’esthétique sonore de ce nouvel album est différente de ses précédentes propositions. Mis à part les percussions, Tiganá utilise d’avantage d’instruments électroniques. Il introduit les sons du piano et de l’accordéon joués par Aline Falcão, les guitares aux cordes d’acier de Leonardo Mendes et Jorge Solovera, et enfin la basse de Ldson Galter, complice de scène depuis plus de 10 ans.
Tiganá signe à nouveau la réalisation de l’album avec Sebastian Notini. Le touche à tout suédois exilé au Brésil a toujours été très important dans le son Santana Il nous présente ses nouvelles compositions, mais aussi une nouvelle version d’un titre de son premier album, « Macâlé ». Avec sa mère, il a également enregistré une vieille chanson afro-brésilienne de Ilê Aiyê, premier groupe de ce genre au Brésil, dont sa mère est une des fondatrices.
Tiganá Santana en langue étrangère
par Marc Blanchet
Comment parler d’une musique dont la voix chantée procède par des inflexions qui, quoiqu’envoûtantes par leur extrême douceur, prononcent une parole qui nous est étrangère, qui se voile dans le même mouvement d’étrangeté ? Cette langue brésilienne, je peux en percevoir les chuintements. Par un tel vocable, ne lui donné-je pas une direction qui la porte vers une sensualité inévitable, une intimité trop identifiable culturellement ?
Pourtant, à l’écoute de l’album Vida Código de Tiganá Santana, j’éprouve sincèrement ce lien entre ce que la voix chantée porte en elle d’attention, de délicatesse, et comment la musique s’y s’entrelace, dans un rituel où la syllabe a pour sœur la note, qui fait qu’à chaque mot, chaque son, nous marchons dans les pas des muses.
Je me refuse à traduire les textes des chansons dans un premier temps, préfère écrire mes impressions sans chercher à comprendre ces paroles étrangères. Cette herméneutique m’égarerait ; toute traduction multiplie les compréhensions, les interprétations. Aussi la voix sera musique ; quelques mots compris de ci de là les seuls passages.
D’emblée, je suis contredit : dès la première chanson, la langue brésilienne rencontre la française. Si je peux épingler ces mots sur la feuille d’un entendement, je persiste et goûte l’anamorphose. Cette première chanson, Flor Destinada (Effleurer Le Destin), nous entraîne, invite l’auditeur à entrer dans la forme revendiquée de la chanson propre à cet album. Elle a la fraîcheur de ces ouvertures qui donnent sur la scène du monde avec un cœur pur, une candeur assumée. Les musiciens qui s’y font entendre m’apparaissent autour du chanteur comme une sorte de communauté, et la voix de Tiganá comme un chemin retrouvé, autour duquel le paysage inscrit sa nouveauté.
Un basculement se fait, qui n’est peut-être pas surprenant, et raconte une tension palpable dans la musique de Tiganá Santana, telle que je la connais d’autres enregistrements : ces compositions disent la vie, une vie prise dans la notion si complexe de destin. Cette deuxième chanson, Palavra de Honra, est portée par un piano orgue (je l’appellerai ainsi) riche d’échos qui témoignent combien la pensée même de l’existence peut se traduire au-delà des paroles par la possibilité de ces résonances, qui sont la mise en espace, en perspective, d’une méditation.
La pensée musicale de Tiganá Santana, paroles ou musique, est toujours cette manière de faire entendre le poème comme forme atteinte (ici des chansons) et forme cherchant à apparaître. Comme si nous assistions au processus d’écriture du poème et l’entendions, achevé, de suite. Nous pouvons voir sa structure interne émerger, voire surgir, par l’évidence des instruments choisis, et le visage de la mélodie.
Si mélodie il y a, elle se propose également dans ce qui la retient : à la fois berceuse et offrande, intimité et partage. Aussi le rythme devient-il souffle ; la voix un instrument à même de s’étendre, quoique cette voix semble suspendue, comme un fil à suivre dans une histoire.
Il y a de même à l’œuvre dans les chansons de cet album une pudeur de l’expression, la nécessité d’une retenue, qui portent tout accompagnement musical vers un minimalisme serein, non pas dans une épure qui irait jusqu’à l’os, plutôt parce que l’humain qui chante ici, ou croise une autre voix (Ilê, Se Não Gostasse de Você), ne connaît d’autres vérités que cette quintessence.
Quelle douceur dans ces voix ! Et quel éloignement aussi, pour nous, qui ne pouvons chanter pareil ! Nous nous retrouverons à voyager dans des chants d’une tenue noble, d’une intelligence intègre. Sans cesse, de manière fine, infime, la chanson se confond au cœur de ce qui l’énonce.
Que raconte ce chanteur, que disent ces chansons ? Aucune idée, en l’absence totale de compréhension du texte... Je sais que ce n’est pas L’Iliade, que si une épopée existe, elle a sûrement comme territoire meurtri le Brésil d’aujourd’hui. En tout cas, j’entends clairement en ces chansons que toute entreprise de narcissisme est éconduite.
Ce que je perçois si précisément vient de l’expérience qui m’est proposé, et qui trouve racines dans ces « visages-chansons » : le poids libérateur d’une altérité. Aussi je deviens frère de chacune d’elles ; j’entre dans une empathie singulière avec cette voix. La musique, par exemple cette guitare dans la sixième chanson (Vida- Código), me parle dans ses moindres nuances. J’entends qu’elle prononce, elle aussi, mot à mot, le poème.
Pour peu que la chanson suivante (Aclarate) gagne en ampleur, chaque mot, chaque note, dessinent un paysage. Ce paysage ne se donne pas d’emblée ; il écoule devant moi son existence, donne à voir ses couleurs, les peuplent ici et là de surprises. Toutefois, la voix déploie dans la chanson une fidélité à cette chose si difficile à définir qu’est la vie, et cette conscience de la vie si difficile à dire qu’est le destin. Rien ne peut corrompre une telle voix. Ce qu’elle chante répond à une vérité intérieure dans une forme qui vient à moi en ne perdant jamais rien du sang qui la parcourt.
Mon corps devient silencieux ; il respire à travers les veines de cette musique. Parfois, j’entends des mots qui pourraient être des rires, des paroles incompréhensibles qui laissent transpirer une ironie. À la huitième chanson (Do Fundo), j’éprouve combien ces chansons créent par leur écoute une sorte de mesure en moi, à la fois mémoire et apaisement, une idée sûrement de la condition humaine.
Ces chansons offrent un lendemain à ma propre vie (qui peut venir dans la seconde qui suit) : aller dans le monde et ne point y mentir. Comme le mot destin est en français dans la première chanson, je pense à ce poète qui écrivait au sujet de la vie d’un individu que sa vie en était devenue douloureuse car elle avait dépassé la durée de son destin. C’est souvent une vérité, une souffrance pour beaucoup d’êtres humains, c’est également ainsi que la nostalgie vient à nous : donner à ressentir la vie quand elle peut fuir, le temps quand il peut trahir.
Toutefois, je suis chanceux ; Tiganá Santana ne m’abandonne pas. À chaque chanson, il semble m’enjoindre de me recueillir, sans que je sois religieux, de méditer sans que je sois mystique. Dès lors, mes sens reviennent à moi ; la bonté possible du monde réapparaît sous mes yeux.
Cet album est Un livre des amis. À la fois viatique et perception du monde, l’ensemble de ces chansons cherche à ouvrir notre conscience, y parvient et nous demande sans cesse de vivre ainsi : ouvrir toujours plus.
Je peux reprendre l’expérience, en réécoutant ces chansons. Je le fais. Il m’importe à nouveau ne pas chercher à traduire (je comprenais autrement en temps voulu), de laisser toute intellection, ou plutôt considérer que la vraie intellection est celle du sensible : pareille musique crée une ronde de sens qui une manière d’habiter le monde.
Ainsi je peux voir dans cette musique ce qui me retient prisonnier de moi- même, et par son écoute me défaire de mes croyances, ne pas exercer sur autrui ma domination, fût-elle infime ou maladroite. Ce n’est pas nécessairement en étant assis au milieu d’une pièce. Ce peut être parmi les hommes, ces frères humains comme les appelait le poète François Villon, c’est-à-dire debout, un sourire bienveillant sur les lèvres.