The Original Sound of Mali
Double LP compilation
Sortie le 10 mars 2017
Label : Mr Bongo
La musique malienne est sans doute plus profonde, plus sophistiquée et lyrique que la majorité des musiques africaines. Elle repose en grande partie sur le rôle des griots, gardiens de la tradition orale et détenteurs du verbe, qui incarnent un lien entre le vieil empire du Mali et la Soudan Français qui devient un état indépendant le 22 septembre 1960.
1. Idrissa Soumaoro et L’Eclipse de L’Ija — Nissodia (Joie de l’optimisme)
2. Les Ambassadeurs du Motel de Bamako — Tiécolom-Ba
3. Super Tentemba Jazz — Mangan
4. Rail Band — Mouodilo
5. Les Ambassadeurs du Motel de Bamako — M’Bouram-Mousso
6. Sorry Bamba — Yayoroba
7. Super Djata Band — Worodara
8. Zani Diabaté et Le Super Djata Band — Fadingna Kouma
9. Les Ambassadeurs du Motel de Bamako — Fatema
10. Super Djata Band de Bamako — Mali Ni Woula
11. Salif Keita — Mandjou
12. Alou Fané & Daouda Sangaré — Komagni Bèla
13. Idrissa Soumaoro et L’Eclipse de L’Ija — Fama Allah
1. Idrissa Soumaoro et L’Eclipse de L’Ija — Nissodia (Joie de l’optimisme)
2. Les Ambassadeurs du Motel de Bamako — Tiécolom-Ba
3. Super Tentemba Jazz — Mangan
4. Rail Band — Mouodilo
5. Les Ambassadeurs du Motel de Bamako — M’Bouram-Mousso
6. Sorry Bamba — Yayoroba
7. Super Djata Band — Worodara
8. Zani Diabaté et Le Super Djata Band — Fadingna Kouma
9. Les Ambassadeurs du Motel de Bamako — Fatema
10. Super Djata Band de Bamako — Mali Ni Woula
11. Salif Keita — Mandjou
12. Alou Fané & Daouda Sangaré — Komagni Bèla
13. Idrissa Soumaoro et L’Eclipse de L’Ija — Fama Allah
La musique malienne est sans doute plus profonde, plus sophistiquée et lyrique que la majorité des musiques africaines. Elle repose en grande partie sur le rôle des griots, gardiens de la tradition orale et détenteurs du verbe, qui incarnent un lien entre le vieil empire du Mali et la Soudan Français qui devient un état indépendant le 22 septembre 1960.
Le coup d’Etat du 19 novembre 1968 renverse Modibo Keita, le père de l’indépendance et installe le régime du jeune capitaine Moussa Traoré. Celui-ci souhaite moderniser la société malienne remplace les Semaines Nationales de la Jeunesse annuelles par des Biennales Artistiques de la Jeunesse, de la Culture et des Sports qui débutent à partir de 1970. Tous les deux ans, musiciens, orchestres, danseurs et troupes de théâtre se rassemblent à Bamako pour ces grandes compétitions nationales.
Grâce à l’ORTM (Office de Radiodiffusion-Télévision du Mali), ces compétitions ont un echo durable. La plupart des productions maliennes des années 1970 sont enregistrées durant ces Biennales afin d’être diffusées sur les ondes à travers tout le pays, des capitales régionales comme Koulikoro, Ségou, Kayes, Sikasso, Tombouctou, Mopti ou Gao aux villages les plus reculés. Cette décennie représente une période faste pour la musique malienne, à une époque où le désenchantement politique et économique n’ont pas pris le pas sur le reste de la société. Comme la plupart de leurs camarades africains, notamment les formations guinéennes, les maliens électrifient leurs guitares et leurs orgues affutent leur section de cuivres et recrutent des chanteurs incroyables. Ils développent également des repertoires bambara et malinké, mais aussi peul ou songhaï, reflet de la diversité du Mali.
Jusqu’à la fin des années 1970, la competition artistique est intense à Bamako avec des disques comme ceux du Rail Band du Buffet Hôtel de la Gare de Bamako, du Super Biton de Ségou, du Kanaga de Mopti, du Sidi Yassa de Kayes, du Kéné-Star de Sikasso ou du Super Djata de Bamako. Certains de ces orchestres ont eu la chance d’enregistrer un album entier et souvent beaucoup plus sous l’égide de l’ingénieur du son de l’ORTM Boubacar Traoré. Personnage de l’ombre, il a enregistré certains des plus beaux morceaux de la musique africaine moderne, en combinant tradition et modernité, expression intense et enthousiasme evident.
En dépit de ces triomphes artistiques, l’atmosphère générale à Bamako se dégrade alors que la politique autoritaire du régime de Moussa Traoré commence à se ressentir sur la population. La situation politique et sociale devient tendue. Des grèves à repetition des professeurs et des étudiants ont lieu en 1976 et 1977. Moussa Traoré durcit son régime.
Originaire d’une famille de Mopti, au centre du pays, le chef d’orchestre et compositeur Sory Bamba est né à Mopti en 1938. Il grandit au contact des traditions locales, apprenant notamment à jouer de la flûte peule à six trous après le décès de son père. Il est impressionné durablement par les orchestres de highlife ghanéen qu’il aperçoit lors des campagnes de pêche de leurs compatriotes sur le Niger. Il apprend ainsi à jouer de la trompette afin de les imiter en secret.
En 1957, il monte sa première formation de musique goumbé, appelée ainsi en raison d’un style popularisé en Côte d’Ivoire. A partir de 1965, Sory Bamba séjourne plusieurs années en Côte d’Ivoire, aux côtés du guitariste guinéen et futur chef d’orchestre des Ambassadeurs Kanté Manfila. De retour au Mali, Bamba prend la direction de l’Orchestre Régional de Mopti en 1969, fort d’une solide expérience musicale et de la sortie de plusieurs disques à Abidjan, dans une veine afro-cubaine.
Avec le soutien du gouverneur de Mopti, l’orchestre de Mopti devient Kanaga de Mopti, simplifié en Kanaga, un nom connu par les auditeurs de Radio Mali. Représentant un vautour royal, patron de la guerre, de la chasse et de la prêtrise, le masque « kanaga » symbolise Amma, le dieu de la création dans la cosmogonie dogon.
Outre cette fascination pour la tradition, l’emploi de l’orgue électrique Korg par Mamadou ‘Zorro’ Soumaoro vaut au groupe le surnom de « Pink Floyd malien ». Au milieu des années 1970, le Kanaga est un des meilleurs orchestres maliens, deuxième derrière le Super Biton de Ségou lors des Biennales. Sory Bamba compose et interprète l’envoûtant « Ya yoroba » (« les femmes aux fesses girondes ») en 1974, un morceau célèbre qui remporte un grand succès à travers tout le Mali et qui augure des expérimentations afro-futuristes à venir. Ce titre sera enregistré en 1977 par le Tentemba Jazz, classique malien instantané.
Compositeur interprète, ldrissa Soumaoro est l’auteur d’une œuvre singulière au sein de la chanson malienne. Enfant, il fréquente les salles de cinéma où il s’entiche de la musique des films indiens, mais aussi de la musique des chasseurs du sud du pays. Adolescent, il apprend l’harmonica et la guitare. Il commence à chanter des morceaux écrits par ses soins, dans le style des troubadours folk, une manière de composer qui va le marquer à vie. Il rejoint Bamako pour suivre des cours à l’Institut National des Arts de Bamako, s’initiant à de nouvelles pratiques musicales comme le piano et le solfège.
Il est convié par l’ORTM à entrer en studio et à graver ses compositions. Il enregistre ainsi le classique Ancien Combattant. Ce morceau est chanté dans toute l’Afrique francophone, de la Guinée au Congo. Où il sera réenregistré en 1984 par le Congolais Zao. Après quelques années passées en tant qu’enseignant dans le nord et l’est du pays, il retourne à Bamako où il intègre l’orchestre des Ambassadeurs du Motel de Bamako dirigé par le guinéen Manfila Kanté.
Outre Salif Keita, il se lie d’amitié avec un jeune guitariste rythmique aveugle nommé Amadou Bagayoko, qui devient membre du groupe en 1975. Lorsque Salif et Manfila partent à Abidjan avec une grande partie des Ambassadeurs en 1978, l’orchestre se délite. Il demande alors une mutation à l’Institut des Jeunes Aveugles du Mali à Bamako afin d’y enseigner et de pratiquer la musique avec les jeunes musiciens aveugles. Avec Bagayoko, il se concentre à former un orchestre en rapport avec l’éducation qui prend le nom de l’Eclipse de l’IJA, où l’on retrouve comme chanteuse Mariam Doumbia, épouse d’Amadou.
Il compose ensemble plusieurs morceaux qui figurent sur Ampsa, un unique album vinyle qui paraît à la fin de l’année 1978, grâce à une coopération de la République Démocratique Allemande. Chef d’œuvre des années 1970 maliennes, ce disque contient des pépites comme « Nissodia » (Joie de l’optimisme) ou « Fama Allah », une ode à dieu, chantée par Mariam Doumbia, la voix la plus douce de l’IJA. Ce disque est l’un des sommets de la discographie malienne des années 1970, porté par l’orgue de Soumaoro et la voix perçante et juvénile de Mariam.
Le Super Djata Band de Bamako est l’un des plus grands orchestres africains, aux côtés de l’OK Jazz, du Bembeya Jazz, du Poly Rythmo, du Rail Band ou de l’Orchestra Baobab. Il possède un son unique et dévastateur, porté par la guitare électrique de Zani Diabaté, par ailleurs danseur et percussionniste de renom.
Né en 1947 dans la région de Sikasso, Zani appartient à la grande famille Diabaté, l’une des plus illustres familles de griots du Mali. Il s’essaye logiquement à la kora et au balafon, avant de jouer des percussions et de danser. Dès 1963, il intègre le Ballet National du Mali, qui représente le régime de Modibo Keita à l’étranger. Il y fait la connaissance des musiciens et danseurs Alou Fané et Daouda ‘Flani’ Sangaré, originaires comme lui du Kénédougou et porteurs des mêmes valeurs culturelles.
Ensemble, ils forment le Ganoua Band, un orchestre dans lequel Zani tient la guitare, Flani et Alou assurent le chant et joue du kamalen n’goni, un instrument qui signifie « la harpe des jeunes » alors que Maré officie au djembé et aux percussions. Ce petit orchestre local s’étoffe avec l’arrivée de trois musiciens supplémentaires issus du Ballet National. Ensemble, ils deviennent le Super Djata Band, l’un des premiers orchestres privés du Mali.
En parallèle de leur formation officielle, Flani et Alou Fané avaient commencé à enregistrer dès 1968 quelques morceaux joués au Flani chante alors qu’Alou joue de son instrument de manière intense et hypnotique. Pour la première fois, cette musique rurale est mise sur bande à Bamako. Trois volumes compilant ces sessions originelles paraîtront à la fin de la décennie 1970 en Côte d’Ivoire. Composé et chanté par Fané, avec Sangaré aux chœurs et au kamelen ngoni, Komagni Bela. Profondément hypnotique et envoûtant, ce morceau est profondément ancré dans les riches traditions culturelles du Wassoulou.
Grâce à l’expérience des musiciens, le Super Djata se hisse au rang des meilleures formations maliennes de la décennie, sans grand soutien des autorités. Le groupe enregistre toutefois ses compositions sous l’égide de Boubacar Traoré à Radio Mali. A la fin des années 1970, le répertoire du groupe combine parfaitement traditions du terroir et modernité électrique. Le génie du Super Djata réside dans sa capacité à absorber des influences plurielles afin d’en faire quelque chose de nouveau !
Conjuguant rythmes des chasseurs bambara et danses des bozos, les pêcheurs du fleuve, mélodies mandingues et répertoire peul, associés à sa guitare, épicée et vive, parfois psychédélique, le Super Djata Band s’affirme au mitan des années 1980 comme la plus solide formation malienne alors que les autres grands orchestres comme le Rail Band ou Les Ambassadeurs sont sur le déclin.
« Bonsoir le Mali ! » chante Flani Sangaré sur le redoutable Mali Ni Woula, qui ouvre l’album jaune du Super Djata Band Feu Vert 81-82 Vol 2. D’une voix claire et puissante, Sangaré chante ce titre alors que la guitare intrépide de Zani Diabaté l’entoure de rythmes circulaires. Sa guitare souligne la mélodie, nuancée par la guitare rythmique d’Adama Konaté et d’Alpha Ndjaye. Zani exulte et fait gronder l’instrument alors que les voix de Flani, d’Alou et de Sidi Touré marquent une pause, pour mieux reprendre leur tour de piste circulaire. Flani nomme tous les musiciens de l’orchestre à la fin de cette performance hypnotique. Ce titre impose aisément le style dansant du Super Djata Band.
Tout aussi profond et mémorable, Fongnana Kouma illustre la douceur de la voix de Sangaré. Ce titre ouvre l’album vert du Super Djata, « En Super Forme ». Les percussions serrées et la guitare aérienne de Zani Diabaté apportent à ce titre une vision à la fois panoramique et polyrythmique. Plus rugueux et inédit à ce jour, Worodara est un pur titre de rock garage malien, illustrant le jeu de guitare prométhéen de Zani Diabaté, dans un tourbillon d’énergie rythmique.
Emprunt de blues mandingue, le jeu Zani Diabaté évoque parfois Magic Sam, Jimi Hendrix ou Freddie King mais son jeu demeure unique, influencé par ses expériences passées et notamment sa carrière de danseur. Acrobatique, impétueux, parfois imprévisible, il reproduit les mouvements de son corps qui semble chevaucher sa guitare. Tout autant que Djélimady Tounkara et Mama Sissoko du Super Biton, il élève la guitare malienne au rang de véritable forme d’art, grâce à un style influencé par ses expériences de danseur et de percussionniste.
Après dix années passées à jouer ensemble, l’orchestre manifeste une cohésion d’ensemble impressionnante. Les cuivres, hormis un saxophone anémique, ne sont guère de la partie. L’accent est mis sur la guitare électrique, le chant et les percussions. Jamais démonstratifs, les soli de Zani indiquent la marche à suivre, fière et résolue. Sur scène, il explose souvent de joie et fait gronder sa guitare électrique comme peu d’autres avant dans l’histoire de la musique malienne.
Au même titre que le Bembeya Jazz guinéen ou l’Orchestra Baobab sénégalais, le Rail Band de Bamako est l’un des orchestres les plus prolixes de toute l’Afrique de l’Ouest. Cet orchestre légendaire a lancé les carrières de Salif Keita, de Mory Kanté ou de Djélimady Tounkara, pour ne citer que ses membres les plus illustres. Situé au centre de Bamako, non loin de l’Assemblée Nationale, le Buffet Hôtel de la Gare de Bamako est un rendez-vous prisé des hommes d’affaires africains, européens, arabes, russes ou asiatiques de passage à Bamako.
Depuis 1925, il existe une seule ligne de chemin de fer reliant Dakar à Bamako. L’hôtel et le buffet sont situés légèrement en retrait de l’impassible et imposante gare de Bamako aux réminiscences Arts Déco. Depuis l’indépendance du Mali en 1960, la bonne société bamakoise s’y retrouve sous les palmiers, les bougainvilliers et les hibiscus, pour se rafraîchir et prendre un verre. Lieu cosmopolite de croisements et de rencontres, le Buffet Hôtel de la Gare de Bamako devient l’épicentre de la musique malienne moderne, de la fin des années 1960 au début des années 1980, grâce à la formation qui s’y épanouit.
La formation voit officiellement le jour au mois d’octobre 1969 sous la houlette du chef d’orchestre, saxophoniste et trompettiste Tidiani Koné. Surnommé le « Miles Davis malien », Tidiani Koné incarne à lui seul la formidable modernité et adaptabilité de la musique malienne des années d’indépendance. Tidiani Koné découvre le jeune Salif Keita alors que celui-ci chante en s’accompagnant à la guitare à l’Istanbul Bar. Il est immédiatement fasciné par cette voix et veut lui donner sa chance. Baptisée Rail Band, cette nouvelle formation a pour but initial d’« explorer et de diffuser le répertoire mandingue », tout en visant au « néo-classicisme de la chanson africaine » et devenir un « orchestre d’avant-garde dans l’épanouissement de la culture négro-africaine ».
Pour la première fois de l’histoire du Mali indépendant, un orchestre se donne pour but de jouer et de moderniser ce répertoire inscrit dans la tradition. L’ascension du Rail Band est fulgurante. La voix de Salif séduit et bouleverse tous ceux qui l’entendent. Le groupe mélange harmonieusement folklore malinké et bambara, variété française, rythmes afro-cubains, rumba congolaise, rhythm’n’blues américain et calypso. Au cœur de Bamako, le Rail Band prépare la voie pour tous les orchestres modernes du pays et de la région. Le Rail Band répète cinq jours par semaine, de deux heures à six heures. Les musiciens se changent, dînent et remonter sur scène à partir de 21 heures jusqu’à ce que le dernier mélomane quitte les lieux. Au petit matin, une fois les derniers clients partis le Rail Band se livre à des improvisations jazz sous l’impulsion de Tidiani Koné.
Griot originaire de Kita, passé par l’Orchestre National A comme Tidiani Koné, le guitariste Djélimady Tounkara est recruté par Koné en 1971, amenant avec lui un style incantatoire, qui va influencer durablement les chanteurs du groupe. Le balafoniste et joueur de kora guinéen Mory Kanté rejoint à son tour le Rail Band. Griot forgeron, Mory Kanté adopte rapidement la guitare, avant de devenir le second chanteur de la formation. La musique jouée par le Rail Band séduit les noctambules et les noceurs, les jolies filles, mais aussi les hommes d’affaires, les policiers, les prostituées ou les politiciens qui se pressent au Buffet Hôtel de la Gare. Grâce aux voyageurs qui transitent par la gare de Bamako, le Rail Band se fait rapidement un nom dans l’ensemble de la région, de la Guinée au Bénin.
Koné, Keita, Tounkara, Kanté et Ganessy partagent la vedette sur le deuxième album du groupe qui paraît en 1973 sous l’égide du gouvernement nigérian et sous le label Rail Culture Authentique Malienne. Délaissant quelque peu la tradition mandingue, cet album contient certains des morceaux les plus intenses jamais enregistrés, à commencer par le classique instantané Moko Jolo, l’un des plus grands titres afro-funk. La section rythmique formée par la batterie de Mamadou Bagayoko et la basse robuste de Cheick Traoré est l’une des plus grandes réussites de Boubacar Traoré comme ingénieur du son chez Radio Mali.
Souvent, après les concerts du Rail Band, Salif va rejoindre ses amis musiciens au Motel de Bamako. Ils jouent un répertoire cosmopolite, à l’image de leurs différentes nationalités, malienne, ivoirienne, guinéenne ou sénégalaise. L’orchestre est baptisé Ambassadeurs, en raison de la nationalité de musiciens. Salif est en très bons termes avec leur chanteur sénégalais Ousmane Dia. En dépit du succès du Rail Band, Salif passe à la concurrence.
Alors que le Rail Band jette des ponts entre tradition et modernité, les Ambassadeurs se concentrent exclusivement sur la musique moderne, combinant de nombreuses influences. Le groupe est fondé en 1969 avec le soutien de Tiekoro Bagayoko, un proche de Moussa Traoré, qui aime la vie nocturne. Ancien leader des Eléphants Noirs de Bouaké, Moussa Vieux Cissokho cède sa place au chef d’orchestre guinéen Manfila Kanté sait parfaitement fédérer les énergies et va donner une orientation résolument moderne aux Ambassadeurs. Il est secondé par les guitaristes Issa Gnaré et Ousmane Kouyaté. Le balafoniste Kaka Kanté ainsi que l’organiste malien Idrissa Soumaoro complètent la formation.
Comme le Rail Band, ces musiciens sont extrêmement versatiles. Ils jouent de l’afro-cubain, du jazz, de la pop, du rhythm’n’blues, du rock, parfois de la musette et même des chansons russes, chinoises ou arabes à l’attention des visiteurs étrangers du Motel. Au cours de l’année 1975, les Ambassadeurs publient cinq 45 tours. Idrissa Soumaoro chante sur les superbes M’bouram Mousso et Tiecolom Ba, deux titres composés par Kanté Manfila, qui font partie des meilleurs morceaux de danse maliens. Combinant orgue capiteux et musique des chasseurs du Wassoulou, Tiecolom Ba est frais et novateur, tout comme l’hypnotique M’bouram Mousso, une musique d’afro-fusion impeccable qui parle des liens qui se défont dans la société moderne malienne.
Au début de l’année 1976, le groupe enregistre finalement son premier album intitulé « Les Ambassadeurs du Motel » dans l’enceinte même du Motel. Ils sortent deux autres volumes qui rassemblent ces 45 tours et des inédits. Sur le premier volume, Fatema est une charanga cubaine avec violon et flûte sur laquelle chante le sénégalais Ousmane Dia. En 1977, les Ambassadeurs tournent la Haute-Volta et la Guinée, où ils rencontrent le président Sékou Touré. Au mois de février 1977, Les Ambassadeurs et le Super Biton au légendaire FESTAC de Lagos.
En 1978, la plupart des Ambassadeurs ont quitté Bamako pour Abidjan, où ils deviennent Les Ambassadeurs Internationaux. En tant que capitale économique de l’Afrique de l’Ouest, Abidjan attirent de nombreux musiciens, qui ne réalisent pas tous pour autant leur ambitions. En dépit d’une compétition intense, Les Ambassadeurs Internationaux réussissent le tour de force d’enregistrer l’une des plus grandes chansons de la décennie.
Composé à Bamako, développé à Abidjan et enregistré en catimini à la Radio Télévision Ivoirienne (RTI) en pleine nuit, Mandjou est l’un des plus grands morceaux de l’histoire de la musique africaine. Ce titre est dédié à Sékou Touré, le président Guinéen, fervent admirateur de la voix de Salif Keita. Kanté Manfila voyage jusqu’à Cotonou, au Bénin, afin de faire des test-pressings et de commencer à les faire circuler à une époque où le piratage commence à s’imposer en Afrique.
Mandjou fait chavirer la sous-région lorsque le disque paraît à la fin de l’année 1978. Conçu comme un son montuno dans son motif rythmique, cette ode de Salif Keita à Sékou Touré fait parler de lui et pas seulement parce qu’un membre de la noble famille Keita n’est pas censé chanter les louanges des puissants. La voix de Salif est irrésistible, capable de véhiculer toutes les nuances du désespoir le plus profond à l’espoir de trouver enfin le succès après une année difficile passée à Abidjan.
On y entend une urgence profonde comme si ce message puissant était chanté avec une conviction encore plus puissante. On y entend un vrai sentiment d’urgence, délivré avec une conviction encore plus puissante. Kaba Kanté au balafon, Ousmane Kouyaté à la guitare, Kabine ‘Tagus’ Traoré à la trompette et le sorcier des claviers Cheick Mohammed Smith sont au sommet de leur art, faisant de cet enregistrement un grand moment d’histoire et l’une des plus grandes chansons africaines.
Etabli à Abidjan mais fondé à Bamako, le Tentemba Jazz est l’un des grands orchestres méconnus de la fin des années 1970. Le groupe enregistre trois rares albums entre 1977 et 1984. Dirigé à ses débuts par Ousmane Diabaté, la direction de l’orchestre échoie rapidement à Mohamed ‘Kalifa’ Koné. Aidé par Sékou ‘Sadjona’ Kanté, il compose la plupart des morceaux du groupe. Formé de musiciens maliens, guinéens dont le chanteur Mamadi Diabaté, libériens et ivoiriens, le Tentemba Jazz prospère à Abidjan autour d’influences mandingue, psychédéliques, jazz et afro-cubaines.
En 1984, la formation publie son ultime opus. Ce disque prône la reprise des relations entre la Guinée de Sékou Touré et la Côte d’Ivoire d’Houphouët. Avec ses envolées vocales et ses cuivres fiévreux, Mangan possède la grâce des grandes chansons mandingue. Ce morceau œuvre comme un testament de l’éloquence des musiques mandingues. En dépit de ses qualités musicales, le Tentemba Jazz se dissout progressivement dans les nuits d’Abidjan alors que la capitale économique ivoirienne devient l’épicentre des cultures maliennes. La dernière Biennale a lieu en 1988, marquant la fin d’un âge d’or inouï pour la musique malienne.
Le coup d’Etat du 19 novembre 1968 renverse Modibo Keita, le père de l’indépendance et installe le régime du jeune capitaine Moussa Traoré. Celui-ci souhaite moderniser la société malienne remplace les Semaines Nationales de la Jeunesse annuelles par des Biennales Artistiques de la Jeunesse, de la Culture et des Sports qui débutent à partir de 1970. Tous les deux ans, musiciens, orchestres, danseurs et troupes de théâtre se rassemblent à Bamako pour ces grandes compétitions nationales.
Grâce à l’ORTM (Office de Radiodiffusion-Télévision du Mali), ces compétitions ont un echo durable. La plupart des productions maliennes des années 1970 sont enregistrées durant ces Biennales afin d’être diffusées sur les ondes à travers tout le pays, des capitales régionales comme Koulikoro, Ségou, Kayes, Sikasso, Tombouctou, Mopti ou Gao aux villages les plus reculés. Cette décennie représente une période faste pour la musique malienne, à une époque où le désenchantement politique et économique n’ont pas pris le pas sur le reste de la société. Comme la plupart de leurs camarades africains, notamment les formations guinéennes, les maliens électrifient leurs guitares et leurs orgues affutent leur section de cuivres et recrutent des chanteurs incroyables. Ils développent également des repertoires bambara et malinké, mais aussi peul ou songhaï, reflet de la diversité du Mali.
Jusqu’à la fin des années 1970, la competition artistique est intense à Bamako avec des disques comme ceux du Rail Band du Buffet Hôtel de la Gare de Bamako, du Super Biton de Ségou, du Kanaga de Mopti, du Sidi Yassa de Kayes, du Kéné-Star de Sikasso ou du Super Djata de Bamako. Certains de ces orchestres ont eu la chance d’enregistrer un album entier et souvent beaucoup plus sous l’égide de l’ingénieur du son de l’ORTM Boubacar Traoré. Personnage de l’ombre, il a enregistré certains des plus beaux morceaux de la musique africaine moderne, en combinant tradition et modernité, expression intense et enthousiasme evident.
En dépit de ces triomphes artistiques, l’atmosphère générale à Bamako se dégrade alors que la politique autoritaire du régime de Moussa Traoré commence à se ressentir sur la population. La situation politique et sociale devient tendue. Des grèves à repetition des professeurs et des étudiants ont lieu en 1976 et 1977. Moussa Traoré durcit son régime.
Originaire d’une famille de Mopti, au centre du pays, le chef d’orchestre et compositeur Sory Bamba est né à Mopti en 1938. Il grandit au contact des traditions locales, apprenant notamment à jouer de la flûte peule à six trous après le décès de son père. Il est impressionné durablement par les orchestres de highlife ghanéen qu’il aperçoit lors des campagnes de pêche de leurs compatriotes sur le Niger. Il apprend ainsi à jouer de la trompette afin de les imiter en secret.
En 1957, il monte sa première formation de musique goumbé, appelée ainsi en raison d’un style popularisé en Côte d’Ivoire. A partir de 1965, Sory Bamba séjourne plusieurs années en Côte d’Ivoire, aux côtés du guitariste guinéen et futur chef d’orchestre des Ambassadeurs Kanté Manfila. De retour au Mali, Bamba prend la direction de l’Orchestre Régional de Mopti en 1969, fort d’une solide expérience musicale et de la sortie de plusieurs disques à Abidjan, dans une veine afro-cubaine.
Avec le soutien du gouverneur de Mopti, l’orchestre de Mopti devient Kanaga de Mopti, simplifié en Kanaga, un nom connu par les auditeurs de Radio Mali. Représentant un vautour royal, patron de la guerre, de la chasse et de la prêtrise, le masque « kanaga » symbolise Amma, le dieu de la création dans la cosmogonie dogon.
Outre cette fascination pour la tradition, l’emploi de l’orgue électrique Korg par Mamadou ‘Zorro’ Soumaoro vaut au groupe le surnom de « Pink Floyd malien ». Au milieu des années 1970, le Kanaga est un des meilleurs orchestres maliens, deuxième derrière le Super Biton de Ségou lors des Biennales. Sory Bamba compose et interprète l’envoûtant « Ya yoroba » (« les femmes aux fesses girondes ») en 1974, un morceau célèbre qui remporte un grand succès à travers tout le Mali et qui augure des expérimentations afro-futuristes à venir. Ce titre sera enregistré en 1977 par le Tentemba Jazz, classique malien instantané.
Compositeur interprète, ldrissa Soumaoro est l’auteur d’une œuvre singulière au sein de la chanson malienne. Enfant, il fréquente les salles de cinéma où il s’entiche de la musique des films indiens, mais aussi de la musique des chasseurs du sud du pays. Adolescent, il apprend l’harmonica et la guitare. Il commence à chanter des morceaux écrits par ses soins, dans le style des troubadours folk, une manière de composer qui va le marquer à vie. Il rejoint Bamako pour suivre des cours à l’Institut National des Arts de Bamako, s’initiant à de nouvelles pratiques musicales comme le piano et le solfège.
Il est convié par l’ORTM à entrer en studio et à graver ses compositions. Il enregistre ainsi le classique Ancien Combattant. Ce morceau est chanté dans toute l’Afrique francophone, de la Guinée au Congo. Où il sera réenregistré en 1984 par le Congolais Zao. Après quelques années passées en tant qu’enseignant dans le nord et l’est du pays, il retourne à Bamako où il intègre l’orchestre des Ambassadeurs du Motel de Bamako dirigé par le guinéen Manfila Kanté.
Outre Salif Keita, il se lie d’amitié avec un jeune guitariste rythmique aveugle nommé Amadou Bagayoko, qui devient membre du groupe en 1975. Lorsque Salif et Manfila partent à Abidjan avec une grande partie des Ambassadeurs en 1978, l’orchestre se délite. Il demande alors une mutation à l’Institut des Jeunes Aveugles du Mali à Bamako afin d’y enseigner et de pratiquer la musique avec les jeunes musiciens aveugles. Avec Bagayoko, il se concentre à former un orchestre en rapport avec l’éducation qui prend le nom de l’Eclipse de l’IJA, où l’on retrouve comme chanteuse Mariam Doumbia, épouse d’Amadou.
Il compose ensemble plusieurs morceaux qui figurent sur Ampsa, un unique album vinyle qui paraît à la fin de l’année 1978, grâce à une coopération de la République Démocratique Allemande. Chef d’œuvre des années 1970 maliennes, ce disque contient des pépites comme « Nissodia » (Joie de l’optimisme) ou « Fama Allah », une ode à dieu, chantée par Mariam Doumbia, la voix la plus douce de l’IJA. Ce disque est l’un des sommets de la discographie malienne des années 1970, porté par l’orgue de Soumaoro et la voix perçante et juvénile de Mariam.
Le Super Djata Band de Bamako est l’un des plus grands orchestres africains, aux côtés de l’OK Jazz, du Bembeya Jazz, du Poly Rythmo, du Rail Band ou de l’Orchestra Baobab. Il possède un son unique et dévastateur, porté par la guitare électrique de Zani Diabaté, par ailleurs danseur et percussionniste de renom.
Né en 1947 dans la région de Sikasso, Zani appartient à la grande famille Diabaté, l’une des plus illustres familles de griots du Mali. Il s’essaye logiquement à la kora et au balafon, avant de jouer des percussions et de danser. Dès 1963, il intègre le Ballet National du Mali, qui représente le régime de Modibo Keita à l’étranger. Il y fait la connaissance des musiciens et danseurs Alou Fané et Daouda ‘Flani’ Sangaré, originaires comme lui du Kénédougou et porteurs des mêmes valeurs culturelles.
Ensemble, ils forment le Ganoua Band, un orchestre dans lequel Zani tient la guitare, Flani et Alou assurent le chant et joue du kamalen n’goni, un instrument qui signifie « la harpe des jeunes » alors que Maré officie au djembé et aux percussions. Ce petit orchestre local s’étoffe avec l’arrivée de trois musiciens supplémentaires issus du Ballet National. Ensemble, ils deviennent le Super Djata Band, l’un des premiers orchestres privés du Mali.
En parallèle de leur formation officielle, Flani et Alou Fané avaient commencé à enregistrer dès 1968 quelques morceaux joués au Flani chante alors qu’Alou joue de son instrument de manière intense et hypnotique. Pour la première fois, cette musique rurale est mise sur bande à Bamako. Trois volumes compilant ces sessions originelles paraîtront à la fin de la décennie 1970 en Côte d’Ivoire. Composé et chanté par Fané, avec Sangaré aux chœurs et au kamelen ngoni, Komagni Bela. Profondément hypnotique et envoûtant, ce morceau est profondément ancré dans les riches traditions culturelles du Wassoulou.
Grâce à l’expérience des musiciens, le Super Djata se hisse au rang des meilleures formations maliennes de la décennie, sans grand soutien des autorités. Le groupe enregistre toutefois ses compositions sous l’égide de Boubacar Traoré à Radio Mali. A la fin des années 1970, le répertoire du groupe combine parfaitement traditions du terroir et modernité électrique. Le génie du Super Djata réside dans sa capacité à absorber des influences plurielles afin d’en faire quelque chose de nouveau !
Conjuguant rythmes des chasseurs bambara et danses des bozos, les pêcheurs du fleuve, mélodies mandingues et répertoire peul, associés à sa guitare, épicée et vive, parfois psychédélique, le Super Djata Band s’affirme au mitan des années 1980 comme la plus solide formation malienne alors que les autres grands orchestres comme le Rail Band ou Les Ambassadeurs sont sur le déclin.
« Bonsoir le Mali ! » chante Flani Sangaré sur le redoutable Mali Ni Woula, qui ouvre l’album jaune du Super Djata Band Feu Vert 81-82 Vol 2. D’une voix claire et puissante, Sangaré chante ce titre alors que la guitare intrépide de Zani Diabaté l’entoure de rythmes circulaires. Sa guitare souligne la mélodie, nuancée par la guitare rythmique d’Adama Konaté et d’Alpha Ndjaye. Zani exulte et fait gronder l’instrument alors que les voix de Flani, d’Alou et de Sidi Touré marquent une pause, pour mieux reprendre leur tour de piste circulaire. Flani nomme tous les musiciens de l’orchestre à la fin de cette performance hypnotique. Ce titre impose aisément le style dansant du Super Djata Band.
Tout aussi profond et mémorable, Fongnana Kouma illustre la douceur de la voix de Sangaré. Ce titre ouvre l’album vert du Super Djata, « En Super Forme ». Les percussions serrées et la guitare aérienne de Zani Diabaté apportent à ce titre une vision à la fois panoramique et polyrythmique. Plus rugueux et inédit à ce jour, Worodara est un pur titre de rock garage malien, illustrant le jeu de guitare prométhéen de Zani Diabaté, dans un tourbillon d’énergie rythmique.
Emprunt de blues mandingue, le jeu Zani Diabaté évoque parfois Magic Sam, Jimi Hendrix ou Freddie King mais son jeu demeure unique, influencé par ses expériences passées et notamment sa carrière de danseur. Acrobatique, impétueux, parfois imprévisible, il reproduit les mouvements de son corps qui semble chevaucher sa guitare. Tout autant que Djélimady Tounkara et Mama Sissoko du Super Biton, il élève la guitare malienne au rang de véritable forme d’art, grâce à un style influencé par ses expériences de danseur et de percussionniste.
Après dix années passées à jouer ensemble, l’orchestre manifeste une cohésion d’ensemble impressionnante. Les cuivres, hormis un saxophone anémique, ne sont guère de la partie. L’accent est mis sur la guitare électrique, le chant et les percussions. Jamais démonstratifs, les soli de Zani indiquent la marche à suivre, fière et résolue. Sur scène, il explose souvent de joie et fait gronder sa guitare électrique comme peu d’autres avant dans l’histoire de la musique malienne.
Au même titre que le Bembeya Jazz guinéen ou l’Orchestra Baobab sénégalais, le Rail Band de Bamako est l’un des orchestres les plus prolixes de toute l’Afrique de l’Ouest. Cet orchestre légendaire a lancé les carrières de Salif Keita, de Mory Kanté ou de Djélimady Tounkara, pour ne citer que ses membres les plus illustres. Situé au centre de Bamako, non loin de l’Assemblée Nationale, le Buffet Hôtel de la Gare de Bamako est un rendez-vous prisé des hommes d’affaires africains, européens, arabes, russes ou asiatiques de passage à Bamako.
Depuis 1925, il existe une seule ligne de chemin de fer reliant Dakar à Bamako. L’hôtel et le buffet sont situés légèrement en retrait de l’impassible et imposante gare de Bamako aux réminiscences Arts Déco. Depuis l’indépendance du Mali en 1960, la bonne société bamakoise s’y retrouve sous les palmiers, les bougainvilliers et les hibiscus, pour se rafraîchir et prendre un verre. Lieu cosmopolite de croisements et de rencontres, le Buffet Hôtel de la Gare de Bamako devient l’épicentre de la musique malienne moderne, de la fin des années 1960 au début des années 1980, grâce à la formation qui s’y épanouit.
La formation voit officiellement le jour au mois d’octobre 1969 sous la houlette du chef d’orchestre, saxophoniste et trompettiste Tidiani Koné. Surnommé le « Miles Davis malien », Tidiani Koné incarne à lui seul la formidable modernité et adaptabilité de la musique malienne des années d’indépendance. Tidiani Koné découvre le jeune Salif Keita alors que celui-ci chante en s’accompagnant à la guitare à l’Istanbul Bar. Il est immédiatement fasciné par cette voix et veut lui donner sa chance. Baptisée Rail Band, cette nouvelle formation a pour but initial d’« explorer et de diffuser le répertoire mandingue », tout en visant au « néo-classicisme de la chanson africaine » et devenir un « orchestre d’avant-garde dans l’épanouissement de la culture négro-africaine ».
Pour la première fois de l’histoire du Mali indépendant, un orchestre se donne pour but de jouer et de moderniser ce répertoire inscrit dans la tradition. L’ascension du Rail Band est fulgurante. La voix de Salif séduit et bouleverse tous ceux qui l’entendent. Le groupe mélange harmonieusement folklore malinké et bambara, variété française, rythmes afro-cubains, rumba congolaise, rhythm’n’blues américain et calypso. Au cœur de Bamako, le Rail Band prépare la voie pour tous les orchestres modernes du pays et de la région. Le Rail Band répète cinq jours par semaine, de deux heures à six heures. Les musiciens se changent, dînent et remonter sur scène à partir de 21 heures jusqu’à ce que le dernier mélomane quitte les lieux. Au petit matin, une fois les derniers clients partis le Rail Band se livre à des improvisations jazz sous l’impulsion de Tidiani Koné.
Griot originaire de Kita, passé par l’Orchestre National A comme Tidiani Koné, le guitariste Djélimady Tounkara est recruté par Koné en 1971, amenant avec lui un style incantatoire, qui va influencer durablement les chanteurs du groupe. Le balafoniste et joueur de kora guinéen Mory Kanté rejoint à son tour le Rail Band. Griot forgeron, Mory Kanté adopte rapidement la guitare, avant de devenir le second chanteur de la formation. La musique jouée par le Rail Band séduit les noctambules et les noceurs, les jolies filles, mais aussi les hommes d’affaires, les policiers, les prostituées ou les politiciens qui se pressent au Buffet Hôtel de la Gare. Grâce aux voyageurs qui transitent par la gare de Bamako, le Rail Band se fait rapidement un nom dans l’ensemble de la région, de la Guinée au Bénin.
Koné, Keita, Tounkara, Kanté et Ganessy partagent la vedette sur le deuxième album du groupe qui paraît en 1973 sous l’égide du gouvernement nigérian et sous le label Rail Culture Authentique Malienne. Délaissant quelque peu la tradition mandingue, cet album contient certains des morceaux les plus intenses jamais enregistrés, à commencer par le classique instantané Moko Jolo, l’un des plus grands titres afro-funk. La section rythmique formée par la batterie de Mamadou Bagayoko et la basse robuste de Cheick Traoré est l’une des plus grandes réussites de Boubacar Traoré comme ingénieur du son chez Radio Mali.
Souvent, après les concerts du Rail Band, Salif va rejoindre ses amis musiciens au Motel de Bamako. Ils jouent un répertoire cosmopolite, à l’image de leurs différentes nationalités, malienne, ivoirienne, guinéenne ou sénégalaise. L’orchestre est baptisé Ambassadeurs, en raison de la nationalité de musiciens. Salif est en très bons termes avec leur chanteur sénégalais Ousmane Dia. En dépit du succès du Rail Band, Salif passe à la concurrence.
Alors que le Rail Band jette des ponts entre tradition et modernité, les Ambassadeurs se concentrent exclusivement sur la musique moderne, combinant de nombreuses influences. Le groupe est fondé en 1969 avec le soutien de Tiekoro Bagayoko, un proche de Moussa Traoré, qui aime la vie nocturne. Ancien leader des Eléphants Noirs de Bouaké, Moussa Vieux Cissokho cède sa place au chef d’orchestre guinéen Manfila Kanté sait parfaitement fédérer les énergies et va donner une orientation résolument moderne aux Ambassadeurs. Il est secondé par les guitaristes Issa Gnaré et Ousmane Kouyaté. Le balafoniste Kaka Kanté ainsi que l’organiste malien Idrissa Soumaoro complètent la formation.
Comme le Rail Band, ces musiciens sont extrêmement versatiles. Ils jouent de l’afro-cubain, du jazz, de la pop, du rhythm’n’blues, du rock, parfois de la musette et même des chansons russes, chinoises ou arabes à l’attention des visiteurs étrangers du Motel. Au cours de l’année 1975, les Ambassadeurs publient cinq 45 tours. Idrissa Soumaoro chante sur les superbes M’bouram Mousso et Tiecolom Ba, deux titres composés par Kanté Manfila, qui font partie des meilleurs morceaux de danse maliens. Combinant orgue capiteux et musique des chasseurs du Wassoulou, Tiecolom Ba est frais et novateur, tout comme l’hypnotique M’bouram Mousso, une musique d’afro-fusion impeccable qui parle des liens qui se défont dans la société moderne malienne.
Au début de l’année 1976, le groupe enregistre finalement son premier album intitulé « Les Ambassadeurs du Motel » dans l’enceinte même du Motel. Ils sortent deux autres volumes qui rassemblent ces 45 tours et des inédits. Sur le premier volume, Fatema est une charanga cubaine avec violon et flûte sur laquelle chante le sénégalais Ousmane Dia. En 1977, les Ambassadeurs tournent la Haute-Volta et la Guinée, où ils rencontrent le président Sékou Touré. Au mois de février 1977, Les Ambassadeurs et le Super Biton au légendaire FESTAC de Lagos.
En 1978, la plupart des Ambassadeurs ont quitté Bamako pour Abidjan, où ils deviennent Les Ambassadeurs Internationaux. En tant que capitale économique de l’Afrique de l’Ouest, Abidjan attirent de nombreux musiciens, qui ne réalisent pas tous pour autant leur ambitions. En dépit d’une compétition intense, Les Ambassadeurs Internationaux réussissent le tour de force d’enregistrer l’une des plus grandes chansons de la décennie.
Composé à Bamako, développé à Abidjan et enregistré en catimini à la Radio Télévision Ivoirienne (RTI) en pleine nuit, Mandjou est l’un des plus grands morceaux de l’histoire de la musique africaine. Ce titre est dédié à Sékou Touré, le président Guinéen, fervent admirateur de la voix de Salif Keita. Kanté Manfila voyage jusqu’à Cotonou, au Bénin, afin de faire des test-pressings et de commencer à les faire circuler à une époque où le piratage commence à s’imposer en Afrique.
Mandjou fait chavirer la sous-région lorsque le disque paraît à la fin de l’année 1978. Conçu comme un son montuno dans son motif rythmique, cette ode de Salif Keita à Sékou Touré fait parler de lui et pas seulement parce qu’un membre de la noble famille Keita n’est pas censé chanter les louanges des puissants. La voix de Salif est irrésistible, capable de véhiculer toutes les nuances du désespoir le plus profond à l’espoir de trouver enfin le succès après une année difficile passée à Abidjan.
On y entend une urgence profonde comme si ce message puissant était chanté avec une conviction encore plus puissante. On y entend un vrai sentiment d’urgence, délivré avec une conviction encore plus puissante. Kaba Kanté au balafon, Ousmane Kouyaté à la guitare, Kabine ‘Tagus’ Traoré à la trompette et le sorcier des claviers Cheick Mohammed Smith sont au sommet de leur art, faisant de cet enregistrement un grand moment d’histoire et l’une des plus grandes chansons africaines.
Etabli à Abidjan mais fondé à Bamako, le Tentemba Jazz est l’un des grands orchestres méconnus de la fin des années 1970. Le groupe enregistre trois rares albums entre 1977 et 1984. Dirigé à ses débuts par Ousmane Diabaté, la direction de l’orchestre échoie rapidement à Mohamed ‘Kalifa’ Koné. Aidé par Sékou ‘Sadjona’ Kanté, il compose la plupart des morceaux du groupe. Formé de musiciens maliens, guinéens dont le chanteur Mamadi Diabaté, libériens et ivoiriens, le Tentemba Jazz prospère à Abidjan autour d’influences mandingue, psychédéliques, jazz et afro-cubaines.
En 1984, la formation publie son ultime opus. Ce disque prône la reprise des relations entre la Guinée de Sékou Touré et la Côte d’Ivoire d’Houphouët. Avec ses envolées vocales et ses cuivres fiévreux, Mangan possède la grâce des grandes chansons mandingue. Ce morceau œuvre comme un testament de l’éloquence des musiques mandingues. En dépit de ses qualités musicales, le Tentemba Jazz se dissout progressivement dans les nuits d’Abidjan alors que la capitale économique ivoirienne devient l’épicentre des cultures maliennes. La dernière Biennale a lieu en 1988, marquant la fin d’un âge d’or inouï pour la musique malienne.