De Kaboul à Bamako

Sowal Diabi
Sortie le 4 février 2022
Label: Accords Croisés
« Sowal » signifie « question » en persan, « diabi » « réponse » en bambara. Sowal Diabi veut dire ainsi « question- réponse » dans deux langues étrangères entre elles. Ce télescopage relèverait au mieux du jargon babélien s’il ne coiffait un projet ambitieux né il y a deux ans et demi dans les méandres d’une réflexion sur les réfugiés, leur contribution malgré le regard souvent peu amène que nous leur portons. Dans un premier temps cela a donné lieu à un événement pluridisciplinaire et transculturel intitulé De Kaboul à Bamako réunissant au Bozar de Bruxelles des musiciens, des comédiens, des stylistes, chacun doté de cette part d’altérité qui enrichit nos sociétés.
« Sowal » signifie « question » en persan, « diabi » « réponse » en bambara. Sowal Diabi veut dire ainsi « question- réponse » dans deux langues étrangères entre elles. Ce télescopage relèverait au mieux du jargon babélien s’il ne coiffait un projet ambitieux né il y a deux ans et demi dans les méandres d’une réflexion sur les réfugiés, leur contribution malgré le regard souvent peu amène que nous leur portons. Dans un premier temps cela a donné lieu à un événement pluridisciplinaire et transculturel intitulé De Kaboul à Bamako réunissant au Bozar de Bruxelles des musiciens, des comédiens, des stylistes, chacun doté de cette part d’altérité qui enrichit nos sociétés.

Organisé en clôture du colloque international Culture For The Future sous l’égide de la Commission Européenne, ce spectacle mis en scène par Clara Bauer avec le soutien d’Ethical Fashion Intitiative fut suivi en Septembre 2020 d’un concert organisé dans le cadre du Festival de Venise. Mettant en évidence une complicité immédiate entre artistes issus d’horizons et de cultures différents, il réunira sur une même scène la chanteuse malienne Mamani Keita, son homologue iranienne Aïda Nosrat, sa compatriote la joueuse du luth târ Sogol Mirzaei, le tablaïste afghan Siar Hashimi, le stranbej(chanteur et virtuose) kurde Ruşan Filiztek, le groupe d’éthio-jazz français Arat Kilo. De ce préalable à un rapprochement entre des traditions et des pratiques musicales dissemblables découle ce recueil de 13 pièces composant une chatoyante autant que fascinante tapisserie sonore où la diversité des timbres, des tempéraments de chants, les écarts de modes n’ont pu empêcher cette étrange diaspora disparate de s’effleurer, de se séduire et pour finir, de se mélanger dans un rapport quasi amoureux.

Bien qu’il n’existe en musique aucun équivalent à la maïeutique socratique, nous assistons bel et bien ici à un accouchement où aucun des problèmes posés par l’hétérogénéité des expressions ne reste sans solution, aucune des questions relatives à la tonalité, à la tessiture, n’est laissée sans réponse. Représentatif d’un travail accompli à force de tâtonnements, d’échanges, d’ajustements, et finalement de certitudes, Solila nous éclaire sur un process fondé sur l’écoute de l’autre et une quête permanente d’affinité. Avec pour résultat un enchantement mutuel qui scelle ce titre en particulier mais surtout documente et éclaire l’ensemble. Parti d’une ébauche soumise par Gérald Bonnegrace, compositeur et percussionniste au sein d’Arat Kilo, ce thème, le premier à avoir été élaboré, a voyagé sous la forme de fichiers échangés par téléphone avec Sogol qui l’a adapté selon des critères qui lui sont propres, ceux d’une musicienne iranienne issue du conservatoire. Ce mélange entre des ingrédients de la musique urbaine africaine et des fondements de musique savante perse, équation au secours de laquelle aucune expertise musicologique n’est nécessaire, aurait pu virer à l’amalgame un peu vain s’il n’avait offert à Mamani Keita et Aïda Nosrat le bonheur d’y joindre leurs voix. Cette complicité entre deux interprètes aux techniques de chant et aux langues si lointaines sera révélatrice du bien fondé du projet selon Saïd Assadi, son concepteur, et va constituer son premier point d’ancrage.

Le principe étant d’aller le plus loin possible dans la musique de l’autre, le chemin le plus évident pour y parvenir ne pouvait être que l’émotion. Comme une « chute brutale de la conscience dans le magique »* elle traverse l’euphorique Kera Kera, le poignant Râhé Nour, le nomade Snow In Addis, efface ce travail d’empiècement digne d’un atelier de haute couture pour ne laisser entendre que l’essentiel.  Master Gui, Désert, cette dernière composée par Ruşan Filiztek dans deux déserts différents, marocain et iranien, relient à nouveau Aïda et Mamani, aux vécus et backgrounds dissemblables, aux voix pareillement bouleversantes : la griotte autodidacte de Bamako, la chanteuse et concertiste classique de Téhéran. Ainsi les frontières ne sont elles plus les seules à s’effacer sous les mélismes, les rythmes, les souffles, les accords de cette smala hétéroclite : les hiérarchies disparaissent elles aussi. Tous habitués à sortir de leurs registres de prédilection, à naviguer de collaborations inédites en créations transversales, à explorer d’autres mondes que le leur, flamenco, musique bretonne ou jazz pour les uns, électro, hip-hop ou dub pour les autres, tous les artistes ici à l’œuvre n’ont que faire des barrières, ignorent les crispations identitaires, convaincus qu’on ne peut vraiment être soi-même qu’en étant un peu autre. Tous ont connu l’exil, physique ou culturel. Dans Ecoute le Ney, tiré d’un poème de Rûmî, Aïda et Ruşan expriment ce déchirement propre au déracinement et à la nostalgie des origines. Un proverbe arabe dit que la question des origines est à l’origine de toutes les questions. Il ne dit pas que la musique apporte souvent les meilleures réponses.

Francis Dordor

*Jean Paul Sartre Esquisse d’Une Théorie des Emotions