Sorry Bamba

Dogon Blues
Sortie le 8 Nov 2010
Label : Universal Jazz
Au Mali, tout le monde connaît sa haute silhouette, sa chevelure noire traversée d’un éclair d’argent. Depuis plus d’un demi-siècle, Sorry Bamba arpente les scènes, poussant la musique malienne hors des sentiers battus.
Sorry Bamba,

« le musicien à la mèche blanche »...


Musicien multi-instrumentiste, chanteur, auteur compositeur, arrangeur, chef d’orchestre, voyageur, découvreur de sonorités, marieur de cultures, ses formations ont collectionné les récompenses, et ses innovations ont marqué l’Afrique des Indépendances. Il fut le premier à faire monter sur scène un petit chauffeur de camion-violoniste qui allait devenir le guitar hero du Mali – Ali Farka Touré ; il fut le premier à introduire dans la musique moderne la calebasse-guitta (calebasse renversée servant de tambour basse). Il fut le premier, surtout, à sortir au grand jour la musique Dogon...

Depuis le mythique « Dieu d’eau » de Marcel Griaule, en 1948, les Dogons sont devenus l’une des ethnies les plus courtisées de l’Afrique. Leur culture puissante, retranchée dans les falaises de Bandiagara, près de Mopti, semble donner à l’Occident la clé de ses propres mythes. Mais les Dogons sont des gens secrets ; leur répertoire musical était resté jusqu’ici l’apanage des initiés. S’ils entr’ouvent à Sorry la porte du répertoire dogon, c’est qu’ils ont apprécié l’arrangement splendide réalisé par celui-ci d’un titre peul, Sékou Amadou - Hamdallaye (premier prix de la Biennale de la Jeunesse en 70). Au cours des ans, Sorry obtiendra toute la confiance des Anciens et l’autorisation d’interpréter les musiques les plus secrètes de leur société des masques. Sorry arrange d’abord Sigui, Manden Po, puis Ambendjélè, trois chants sacrés qui font découvrir au Mali la musique Dogon. Le rythme du masque Kanaga (symbolisant le Dieu Amma) fait un tel tabac que le groupe prend le nom « Kanaga Régional de Mopti », sous lequel il gagnera plusieurs Biennales. Il organisera même une sortie des masques sacrés en Europe, et jusqu’au Japon !

C’est cette exploration moderne de thèmes dogons, peuls et bambaras qui fait l’objet du présent Cd. Elaboré à Mopti, enregistré à Bamako et à Paris, il rassemble les musiciens les plus sophistiqués de la scène de fusion africaine : Jack Djeyim (guitare), Cheikh Tidiane Seck (clavier), Manu Dibango (sax), Boney Fields (trompette), Jean-Paul-Pierre Chabrelé (trombone), Hervé Lebongo (saxo alto), et toute une pléiade de virtuoses maliens issus de la tradition, mais nourris de jazz : des solistes et improvisateurs raffinés, qui mettent au service d’une musique dansante les belles sonorités acoustiques de leurs instruments.

Biogarphie

Sorry Bamba, l’un des arrangeurs les plus éclectiques de la musique malienne, est né en 1938 à Mopti. Grand port du fleuve Niger, Mopti est située à la jointure entre les deux « ailes » du Mali, qui s’étendent, l’une vers la forêt au Sud, l’autre, au Nord, vers le désert. Carrefour d’échanges commerciaux, Mopti est aussi un carrefour de cultures, où cohabitent de nombreuses ethnies : les Peuls s’occupent des troupeaux, les Bozos du poisson, les Bambaras du riz, les Dioulas et les Soninkés du commerce, les Touaregs du sel gemme et des dattes, les Dogons des oignons et... des touristes ! Elles se sont parfois fait la guerre - les dents, dit le proverbe, mordent parfois la langue... - mais en général elles vivent en paix, bercées par la profusion de sages maximes que porte le vent du désert.

Les parents de Sorry viennent de deux ethnies différentes - Dioula et Peule - et l’enfant, très tôt orphelin, doit s’adapter à la multiplicité des cultures qui composent la société de sa ville natale. Il développe le sens des relations humaines et du respect mutuel, qui scelle son destin de passeur de cultures. Très tôt il découvre les vertus de la musique ; il berce sa solitude en jouant de la flûte ou des percussions. Il apprécie particulièrement la musique moderne, comme celle des pêcheurs venus du Ghana, qui ont une fanfare et un groupe Hi life, l’un des tout premiers styles électrisés de l’Afrique. Sorry entend réunir la jeunesse par-delà les barrières de castes et d’ethnies : son premier groupe, c’est un « gumbé », un style de bal importé de Côte d’Ivoire - une formation encore acoustique, mais déjà détachée de la tradition.

Sorry y joue la trompette, un instrument qu’il a découvert au concert de Louis Armstrong à Bamako en 1956. Comme tous les jeunes musiciens africains de l’époque, il est fasciné par la musique noire américaine. Son premier groupe électrique portera le nom de « Bani Jazz »...

Lorsque le Mali obtient son indépendance en 1960, le Ministère de la Culture crée une série d’orchestres régionaux chargés de mettre en valeur les musiques locales et de chanter l’avenir radieux des Indépendances. Sorry Bamba est choisi pour créer l’Orchestre Régional de Mopti, une formation électrique, avec des cuivres, pour lequel il arrangera tour à tour thèmes peuls, bambaras, songhaïs, dogons... L’Orchestre, rebaptisé « Kanaga » du nom d’un masque dogon représentant le Dieu Amma, obtiendra deux fois le premier prix de la Biennale culturelle. Sorry est aussi chargé de l’Ensemble Instrumental Traditionnel, une large formation où se côtoient des musiciens de toutes origines, pour laquelle il invente des méthodes d’arrangement inédites conciliant des modes musicaux et des instruments apparemment inconciliables.

Ce travail le place à l’avant-garde des « musiques du monde », aux côtés des grands groupes guinéens financés par Sékou Touré, Horaya Band, Bembeya Jazz, les précurseurs de la musique mandingue électrique.

Mais il y a un domaine où Sorry Bamba n’a pas de rival, c’est dans son travail avec les Dogons. Pourquoi cette attirance vers le peuple des falaises, cette merveilleuse culture qui, depuis le début du XXème siècle, passionne les ethnologues ? Et comment a-t-il pu pénétrer le répertoire de ce peuple secret ?

L’histoire se compte en décennies. Enfant, il accompagnait son vieux maître marabout dans les petits villages dogons pour rencontrer les sages, et déjà, la musique de la région le fascinait : il rêvait de reproduire sur scène l’ambiance envoûtante des sorties de masques, le son magique du rhombe, la pulsion des tambours... Mais on ne pénètre pas impunément un répertoire sacré.

Ce sont les Dogons, qui, en 1970, sortent de leur réserve. Sorry vient d’arranger un titre Peul mythique, le grandiose Sékou Amadou-Hamdallaye , où il déclame les louanges du héros peul Sékou Amadou, le marabout qui fonda l’empire du Macina. Aujourd’hui encore, ce titre garde toute sa puissance : entre imam et rapper, Sorry y incarne la Parole Africaine éternelle, le Verbe prophétique dans toute sa splendeur.

Lorsqu’ils entendent Sékou Amadou-Hamdallaye, les Dogons sont conquis : traduire n’est pas toujours trahir. Avec leur permission, Sorry commence par arranger les morceaux sacrés Sigui, Manden Po, puis Ambendjélè. Fort des succès de ces premiers titres, il arrangera au cours des ans plusieurs thèmes dogons dont les titres du présent Cd : Yagana, hommage à l’Ancêtre, Lawanayé, la mère des masques, Sayouwé, Indjeliyama, et Boyélélé. Adopté par les Dogons, Sorry Bamba est aujourd’hui le seul à avoir pu organiser des sorties de masques sacrés en Europe, et jusqu’au Japon.

Pour Dogon Blues, l’enregistrement des rythmiques s’est fait au Mali, avec les musiciens originaux et leurs instruments acoustiques, et la participation d’Ogodana Dolo de Sangha. Une fois la base rythmique posée, la scène africaine internationale a pris le relais à Paris. La plupart des participants sont ces musiciens sophistiqués grâce auxquels le jazz , depuis quelques années, trouve un nouveau souffle : de Manu Dibango ( sur « Lawanayé ») au maître de la kora Toumani Diabaté, du clavier malin de Cheik Tidiane Seck aux guitares de Jack Djeyim,, du ngoni de Mama Sissoko au synthé « africain » de JP Rykiel, en passant par la batterie de l’Ivoirien Paco Sery et toute une pléiade de nouveaux talents de l’Afrique internationale… C’est toute la scène qui se presse aux côtés de l’« orphelin à la mèche blanche », comme pour un hommage à l’Aîné, l’un des visionnaires des Musiques du Monde.

Il était temps.