Samy Thiébault
In Waves
Sortie le 11 octobre 2024
Label: Gaya Music Production
Que Samy Thiébault choisisse de prendre la mer ne surprendra personne. Lui qui a mûri sa vision du jazz à l’aune de la créolité, qu’il embrassa pleinement dans Caribbean Stories, a simplement tenu son cap : sous les tropiques exactement, là où les îles se fondent dans l’horizon. Prendre le large ou plus exactement « aller à l’océan », s’offrir dans un geste charnel autant que mystique, goûter la puissance de la nature, trouver au cœur de la vague de quoi étancher sa soif d’abandon.
Que Samy Thiébault choisisse de prendre la mer ne surprendra personne. Lui qui a mûri sa vision du jazz à l'aune de la créolité, qu'il embrassa pleinement dans Caribbean Stories, a simplement tenu son cap : sous les tropiques exactement, là où les îles se fondent dans l'horizon. Prendre le large ou plus exactement « aller à l'océan », s'offrir dans un geste charnel autant que mystique, goûter la puissance de la nature, trouver au cœur de la vague de quoi étancher sa soif d'abandon.
Samy Thiébault a l'océan chevillé au corps. Il l'a surfé sous toutes les latitudes et dans toutes ses couleurs. Il l'aime en ce qu'il est un catalyseur d'inspiration, un espace infini qu'il ressent de manière viscérale. Il y revient sans cesse, dès que sa vie de jazzman lui permet. Parmi les admirateurs de John Coltrane et Pharoah Sanders (qu'il honore d'ailleurs sur ce disque), Samy Thiébault est un cas à part. Ce n'est pas un son d'école qu'il a - européenne ou américaine - mais un lyrisme qu'il assume dans des phrases aux contours stupéfiants, trouvant d'autres chemins, ici sur la route des Indes, là dans l'arc Antillais. Musicalement et d'un point de vue philosophique, dit-il, « rien ne se passe sans altérité ». C'est sa quête personnelle, son goût de l'aventure, son Chant du très loin.
L'altérité de Samy Thiébault, c'est aussi d'être né en Côte d'Ivoire, d'avoir grandi en France sur la côte Atlantique et de compter parmi ses points d'ancrages le Maroc de sa mère, qui animait déjà le répertoire de Rebirth. C'est aussi s'être redécouvert surfeur lors d'une tournée à Bali en 2016. « Lorsque je suis entré dans la vague, confie t-il, ça m'a fait comme un shoot, c'est devenu nécessaire ». Qu'il l'ait conscientisé ou non, les prémices d'In Waves étaient là : trouver l'accord entre sa conception musicale et la pratique du surf, aller à la rencontre des peuples de l'eau en Guadeloupe, aux Fidji et dans le Pacifique Sud ; en faire un disque qui serait celui du retour à la mer. Cette idée, Thiébault la ferait germer bien plus tard : il travaillait alors sur Caribbean Stories, Symphonic Tales et Awé !.
« C'est la première fois que je mets autant de temps à sortir un projet » reconnaît Samy. Si, à l'écoute, In Waves forme un tout remarquable, on n'imagine pas que le ténor a littéralement traversé les Sept Mers et enregistré en une dizaine de points différents du globe, à Cayenne, Suva, Ventiane, Jakarta ou Manille. Un puzzle assemblé sur plus d'un an tel un voyage initiatique entre euphorie, trous d'air, remises en question, virages audacieux et rencontres inattendues. C'est Samy Thiébault l'aventurier-surfeur façon William Finnegan ou Erwan Simon, ouvrant son micro au joueur de khên du Laos (cet orgue à bouche traditionnel que l'on entend dans Theuykhong), à François Ladrezeau, gardien du Ka de Guadeloupe lançant son puissant vibrato (In Waves), ou encore aux enfants fidjiens qui chantent en pilant le kava, cette boisson ancestrale à base de racines.
« In Waves » tient autant du périple documentaire que de la saga mythologique. Une odyssée peuplée d'hommes et de femmes bien réels, de créatures marines et de dieux anciens à qui les navigateurs, jadis, demandèrent protection. « Na pua ri ki te va ka » chantaient les Polynésiens avant de lancer leur pirogue à l'eau. « Ceci est mon bateau, que l'Océan soit mon embarcation ». Parmi ces navigateurs, Cynthia Abraham, François Ladrezeau, Armelle Cippe et ses chœurs sont un lien entre la vague et le divin. Ils parlent la langue de l’océan. Ils chantent les premiers marins qui peuplèrent le Pacifique entre 4000 et 1500 avant Jésus Christ.
Comme eux, ils invoquent l’esprit du vent et des astres (à Samoa, on dit que ce sont les larmes de Dieu qui créèrent l’océan). Ils n’oublient pas que de l’autre côté du globe la mer sera des siècles plus tard le tombeau de milliers d’esclaves. Ils savent ce qui, au fond, relie tous ces peuples de l'eau : l’Océan comme entité, nourriture et horizon. C’est là qu’In Waves prend des atours de manifeste écologique autant que spirituel. Aujourd'hui, face à la montée des eaux, ce sont ces hommes et femmes qui constituent bien malgré eux notre premier rempart. « Le dérèglement climatique, il est pour eux en premier » déplore Samy Thiébault, qui reversera un pourcentage de ses concerts et ventes de disques à SeaTrees, un programme dont l'une des missions est de restaurer le récif corallien à Bali. Parmi les villages que le saxophoniste a visité dans le Pacifique, certains ont déjà les pieds dans l'eau.
Pour ce dixième album en forme de fable initiatique, Samy Thiébault tenait à franchir un cap. Soliste et leader reconnu, il enfilerait cette fois l'habit de metteur en scène, couchant ses maquettes sur ordinateur, un peu comme un cinéaste prépare son story-board avant de filmer en décors naturel. De retour de « tournage », il trouverait dans ces sonores de l'autre bout du monde – voix, chants, bruit du sable et des vagues capturés dans un sampler – de quoi nourrir le travail en studio.
Intervient alors Marine Thibault. Transfuge de l'électronique, cette flûtiste, productrice et DJ a grandi au Château d'Hérouville, studio mythique et haut lieu de l'histoire du rock. Elle y « joua au vaisseau spatial » sur des synthés et machines iconiques. Hasard ou coïncidence, elle fréquenta la même école de musique que Samy, dans ce village niché entre les Landes et la Gironde, les pieds dans l'eau et l'océan comme boussole. Dans In Waves, son rôle est primordial : à l'aide de pads, de séquenceurs et de ses flûtes qu'elle dit « nomades », elle reconstitue les décors et joue le mouvement continu de l'eau, sous les tropiques exactement. Elle apporte à l'orchestre un surplus de rêve et d'entité organique.
Enfin, une fois la musique enregistrée, ne restait plus qu'à s'en remettre à un chef-monteur d'exception en la personne d'Eric Legnini qui, d'un bouillonnement créatif, tire la substantifique moelle et sculpte le disque que vous tenez entre les mains, certainement le plus ambitieux – et paradoxalement le plus intime et authentique – de Samy Thiébault. Un travail colossal que le ténor compare, on l'a dit, à celui d'un réalisateur de cinéma, fédérant des dizaines d'énergies partout dans le monde avec comme seul objectif que sa vision personnelle soit transcendée par le collectif. Pour ce dixième album, au ténor ou sur la planche, in situ ou en studio, ce « coltranien au meilleur sens du terme » comme la presse le décrivit à ses débuts, serait sûr de son art et pleinement engagé.
« En surf comme en montagne, explique Samy, on parle d’engagement quand tu vas dans des zones qui commencent à devenir hostiles, du moins non compatible avec la sécurité humaine. Des zones au-delà desquelles autre chose de plus grand et de plus fort se joue. Trouver ces limites, jouer avec en force de proposition mais aussi de contemplation, ouvrir un dialogue créatif avec elles, c’est tout l’objet du surf... et de la musique ! Et c’est fondamental ».
Voilà ce qui a poussé Samy Thiébault à se jeter à l’eau, lui qui pourrait vous raconter pendant des heures sa dernière session dans les vagues de la Baie d’Imsouane au Maroc, qui lui a inspiré Devenirs. Ténor et micro en bandoulière, il a capté les chants et les chœurs, le bouillonnement tranquille et continu des vagues, le sable fin blanchi par le soleil et la nature sauvage d'un vert profond, l’eau turquoise et les traits d'écume. Il a créée un disque « grand-large », maniant l’élévation, le fantastique et l’allégorie. Il a réussi à peindre la vague en trois dimensions, et donner à l’auditeur cette sensation d’immersion, de liberté et de lâcher prise, celle que lui-même cherche depuis toujours.
In Waves enfin – mais nous aurions dû commencer par là – est un roman graphique d'AJ Dungo paru chez Casterman en 2019. Une histoire de deuil et de résilience dans le sillage d'une jeune surfeuse. Un magnifique ouvrage qui, lorsque Samy Thiébault le pris en main, lui donna instantanément la preuve qu’il était possible de « mettre en art » son attachement à l’océan, ainsi qu’à tous ces peuples qui, encore de nos jours, entretiennent avec lui un rapport presque magique.
Samy Thiébault a l'océan chevillé au corps. Il l'a surfé sous toutes les latitudes et dans toutes ses couleurs. Il l'aime en ce qu'il est un catalyseur d'inspiration, un espace infini qu'il ressent de manière viscérale. Il y revient sans cesse, dès que sa vie de jazzman lui permet. Parmi les admirateurs de John Coltrane et Pharoah Sanders (qu'il honore d'ailleurs sur ce disque), Samy Thiébault est un cas à part. Ce n'est pas un son d'école qu'il a - européenne ou américaine - mais un lyrisme qu'il assume dans des phrases aux contours stupéfiants, trouvant d'autres chemins, ici sur la route des Indes, là dans l'arc Antillais. Musicalement et d'un point de vue philosophique, dit-il, « rien ne se passe sans altérité ». C'est sa quête personnelle, son goût de l'aventure, son Chant du très loin.
L'altérité de Samy Thiébault, c'est aussi d'être né en Côte d'Ivoire, d'avoir grandi en France sur la côte Atlantique et de compter parmi ses points d'ancrages le Maroc de sa mère, qui animait déjà le répertoire de Rebirth. C'est aussi s'être redécouvert surfeur lors d'une tournée à Bali en 2016. « Lorsque je suis entré dans la vague, confie t-il, ça m'a fait comme un shoot, c'est devenu nécessaire ». Qu'il l'ait conscientisé ou non, les prémices d'In Waves étaient là : trouver l'accord entre sa conception musicale et la pratique du surf, aller à la rencontre des peuples de l'eau en Guadeloupe, aux Fidji et dans le Pacifique Sud ; en faire un disque qui serait celui du retour à la mer. Cette idée, Thiébault la ferait germer bien plus tard : il travaillait alors sur Caribbean Stories, Symphonic Tales et Awé !.
« C'est la première fois que je mets autant de temps à sortir un projet » reconnaît Samy. Si, à l'écoute, In Waves forme un tout remarquable, on n'imagine pas que le ténor a littéralement traversé les Sept Mers et enregistré en une dizaine de points différents du globe, à Cayenne, Suva, Ventiane, Jakarta ou Manille. Un puzzle assemblé sur plus d'un an tel un voyage initiatique entre euphorie, trous d'air, remises en question, virages audacieux et rencontres inattendues. C'est Samy Thiébault l'aventurier-surfeur façon William Finnegan ou Erwan Simon, ouvrant son micro au joueur de khên du Laos (cet orgue à bouche traditionnel que l'on entend dans Theuykhong), à François Ladrezeau, gardien du Ka de Guadeloupe lançant son puissant vibrato (In Waves), ou encore aux enfants fidjiens qui chantent en pilant le kava, cette boisson ancestrale à base de racines.
« In Waves » tient autant du périple documentaire que de la saga mythologique. Une odyssée peuplée d'hommes et de femmes bien réels, de créatures marines et de dieux anciens à qui les navigateurs, jadis, demandèrent protection. « Na pua ri ki te va ka » chantaient les Polynésiens avant de lancer leur pirogue à l'eau. « Ceci est mon bateau, que l'Océan soit mon embarcation ». Parmi ces navigateurs, Cynthia Abraham, François Ladrezeau, Armelle Cippe et ses chœurs sont un lien entre la vague et le divin. Ils parlent la langue de l’océan. Ils chantent les premiers marins qui peuplèrent le Pacifique entre 4000 et 1500 avant Jésus Christ.
Comme eux, ils invoquent l’esprit du vent et des astres (à Samoa, on dit que ce sont les larmes de Dieu qui créèrent l’océan). Ils n’oublient pas que de l’autre côté du globe la mer sera des siècles plus tard le tombeau de milliers d’esclaves. Ils savent ce qui, au fond, relie tous ces peuples de l'eau : l’Océan comme entité, nourriture et horizon. C’est là qu’In Waves prend des atours de manifeste écologique autant que spirituel. Aujourd'hui, face à la montée des eaux, ce sont ces hommes et femmes qui constituent bien malgré eux notre premier rempart. « Le dérèglement climatique, il est pour eux en premier » déplore Samy Thiébault, qui reversera un pourcentage de ses concerts et ventes de disques à SeaTrees, un programme dont l'une des missions est de restaurer le récif corallien à Bali. Parmi les villages que le saxophoniste a visité dans le Pacifique, certains ont déjà les pieds dans l'eau.
Pour ce dixième album en forme de fable initiatique, Samy Thiébault tenait à franchir un cap. Soliste et leader reconnu, il enfilerait cette fois l'habit de metteur en scène, couchant ses maquettes sur ordinateur, un peu comme un cinéaste prépare son story-board avant de filmer en décors naturel. De retour de « tournage », il trouverait dans ces sonores de l'autre bout du monde – voix, chants, bruit du sable et des vagues capturés dans un sampler – de quoi nourrir le travail en studio.
Intervient alors Marine Thibault. Transfuge de l'électronique, cette flûtiste, productrice et DJ a grandi au Château d'Hérouville, studio mythique et haut lieu de l'histoire du rock. Elle y « joua au vaisseau spatial » sur des synthés et machines iconiques. Hasard ou coïncidence, elle fréquenta la même école de musique que Samy, dans ce village niché entre les Landes et la Gironde, les pieds dans l'eau et l'océan comme boussole. Dans In Waves, son rôle est primordial : à l'aide de pads, de séquenceurs et de ses flûtes qu'elle dit « nomades », elle reconstitue les décors et joue le mouvement continu de l'eau, sous les tropiques exactement. Elle apporte à l'orchestre un surplus de rêve et d'entité organique.
Enfin, une fois la musique enregistrée, ne restait plus qu'à s'en remettre à un chef-monteur d'exception en la personne d'Eric Legnini qui, d'un bouillonnement créatif, tire la substantifique moelle et sculpte le disque que vous tenez entre les mains, certainement le plus ambitieux – et paradoxalement le plus intime et authentique – de Samy Thiébault. Un travail colossal que le ténor compare, on l'a dit, à celui d'un réalisateur de cinéma, fédérant des dizaines d'énergies partout dans le monde avec comme seul objectif que sa vision personnelle soit transcendée par le collectif. Pour ce dixième album, au ténor ou sur la planche, in situ ou en studio, ce « coltranien au meilleur sens du terme » comme la presse le décrivit à ses débuts, serait sûr de son art et pleinement engagé.
« En surf comme en montagne, explique Samy, on parle d’engagement quand tu vas dans des zones qui commencent à devenir hostiles, du moins non compatible avec la sécurité humaine. Des zones au-delà desquelles autre chose de plus grand et de plus fort se joue. Trouver ces limites, jouer avec en force de proposition mais aussi de contemplation, ouvrir un dialogue créatif avec elles, c’est tout l’objet du surf... et de la musique ! Et c’est fondamental ».
Voilà ce qui a poussé Samy Thiébault à se jeter à l’eau, lui qui pourrait vous raconter pendant des heures sa dernière session dans les vagues de la Baie d’Imsouane au Maroc, qui lui a inspiré Devenirs. Ténor et micro en bandoulière, il a capté les chants et les chœurs, le bouillonnement tranquille et continu des vagues, le sable fin blanchi par le soleil et la nature sauvage d'un vert profond, l’eau turquoise et les traits d'écume. Il a créée un disque « grand-large », maniant l’élévation, le fantastique et l’allégorie. Il a réussi à peindre la vague en trois dimensions, et donner à l’auditeur cette sensation d’immersion, de liberté et de lâcher prise, celle que lui-même cherche depuis toujours.
In Waves enfin – mais nous aurions dû commencer par là – est un roman graphique d'AJ Dungo paru chez Casterman en 2019. Une histoire de deuil et de résilience dans le sillage d'une jeune surfeuse. Un magnifique ouvrage qui, lorsque Samy Thiébault le pris en main, lui donna instantanément la preuve qu’il était possible de « mettre en art » son attachement à l’océan, ainsi qu’à tous ces peuples qui, encore de nos jours, entretiennent avec lui un rapport presque magique.