Maria Berasarte

Agua en la boca
Sortie le 11 février 2014
Label : Accords Croisés
María Berasarte nous rappelle que le chant est d’abord un désir et qu’aucune identité n’est jamais close. Espagnole, elle a ouvert une voie inédite en chantant le fado en castillan. À l’écoute, la surprise est immédiate, tant est ancrée chez chacun la mémoire sonore de la rocailleuse langue portugaise dans le fado, tant on avait ignoré que ses mélodies pouvaient être si suaves, tant on « flamencise » mentalement l’espagnol… María a quelque chose de la faconde dramatique des grandes fadistas, mais également la rigueur marmoréenne de l’expression des sentiments chez les divas espagnoles. En elle se croisent des traditions, des tempéraments, des couleurs – la houle du fado, la noble limpidité de la voix lyrique…

DISTRIBUTION :

María Berasarte : Voix / José Peixoto : Guitare / Carlos Bica : Contrebasse / Filipe Raposo : Accordéon / Guillermo McGill : Batterie et percussions / Jose Luis Montón : Guitare flamenco / Fernando Júdice : Basse acoustique José Salgueiro : Percussions / Gorka Hermosa : Accordéon (Txoria txori) Pedro Santos : Accordéon (La fiesta) / Filipe Dias : Clarinette
María Berasarte nous rappelle que le chant est d’abord un désir et qu’aucune identité n’est jamais close. Espagnole, elle a ouvert une voie inédite en chantant le fado en castillan. À l’écoute, la surprise est immédiate, tant est ancrée chez chacun la mémoire sonore de la rocailleuse langue portugaise dans le fado, tant on avait ignoré que ses mélodies pouvaient être si suaves, tant on « flamencise » mentalement l’espagnol… María a quelque chose de la faconde dramatique des grandes fadistas, mais également la rigueur marmoréenne de l’expression des sentiments chez les divas espagnoles. En elle se croisent des traditions, des tempéraments, des couleurs – la houle du fado, la noble limpidité de la voix lyrique…

Aguaenlaboca est un album à la fois révolutionnaire et familier, simple et fou d’audace. « Nos émotions n’ont pas de frontières », dit María Berasarte. Elle sait pourtant que sa démarche est beaucoup plus surprenante que celle d’un Français chantant le rock’n’roll américain ou d’un Italien jouant du tango argentin : « Géographiquement, l’Espagne caresse le Portugal mais, pendant de nombreuses années, nous nous sommes tourné le dos. Je suppose qu’étant fille d’une Galicienne, je me suis reconnue dans la mélancolie atlantique qu’incarne le fado. Il y a beaucoup de fado en moi mais je ne suis pas entièrement fado. Et c’est cette nuance que je montre dans ce disque. »

Aguaenlaboca reprend en effet huit titres de son premier album, Todas las horas son viejas, qui n’était pas paru en France, et huit titres nouveaux, réalisés entre San Sebastián, Porto et Paris. Çà et là, l’axe implicite semble s’être déplacé de quelques degrés, comme pour entendre un peu d’esprit méditerranéen. « J’ai dépassé le stade de prouver aux fadistes que mon travail est sérieux. Je crois que le meilleur de moi-même apparaît lorsque j’oublie tout et que je ressens profondément ce que je chante. Lorsque chanter me fait mal. Lorsque je ne suis plus maîtresse de mon chant… »

Cet abandon se joue à la confluence de deux langues, de deux cultures, de deux êthos : « La langue espagnole inspire force, courage, amertume. Mais ce qui est le plus typique du fado – la saudade, cette singulière manière de se lamenter – est toujours présent, se mélange avec mes couleurs personnelles. »

Il a fallu une singulière trajectoire personnelle pour que María Berasarte s’aventure dans le fado. Née à San Sebastián, au Pays basque, elle a obéi aux recommandations des médecins qui préconisaient la danse classique et le chant pour l’aider à régler quelques problèmes pédiatriques. Elle est adolescente et élève de conservatoire quand elle découvre le fado – « Je ne savais pas que c’était du fado, ni du portugais ».

Le chemin sera patient, entre hésitations et enthousiasme, pudeur et ferveur. Pour son premier album, Todas las horas son viejas, enregistré en 2008, elle travaille avec deux guitaristes, José Luis Montón à la guitare flamenca et José Peixoto, ancien membre du groupe portugais Madredeus, à la guitare classique et à la direction musicale. Elle puise parmi les deux cents mélodies environ du répertoire du fado traditionnel. La plupart des textes de ce disque ont été écrits par un auteur, poète et dramaturge portugais hispanophone, Tiago Torres de Silva. Ami d’Amalia Rodrigues (sur qui il a écrit un spectacle à succès), il a écrit pour des artistes des deux rives lusophones de l’Atlantique : Chico César, Daniela Mercury, Maria Bethania, Mafalda Arnauth, Né Ladeiras…

Adoubée par l’immense chanteur de fado Carlos do Carmo, elle conquiert le respect des puristes portugais autant que l’écoute des amoureux d’une musique forte et libre, partout dans la péninsule ibérique. Tout naturellement, son répertoire s’élargit, aborde d’autres territoires et d’autres envies. María Berasarte s’arrache peu à peu à l’image de « l’artiste lyrique qui chante du fado en espagnol ». Pour Aguaenlaboca, elle reprend le grand classique hispanique Piensa en mi ou le traditionnel basque Txoria txori, comme des fragments d’un autoportrait en femme d’aujourd’hui, assumant et dépassant la complexité d’un parcours. Comme d’autres preuves d’une maturité artistique éclatante, bien au-delà des questions d’appartenance et de technique, c’est une étape décisive dont cet album témoigne : « Au cours de mes treize ans d’immersion dans la musique classique, j’ai appris à prendre en compte beaucoup de choses, et pas seulement la technique. Il faut être conscient du personnage qu’on incarne, interpréter chaque mot et chaque répétition de chaque mot. La technique me permet d’aller au-delà de mes fragilités mais il faut rompre avec la technique pour pouvoir chanter. Oublier de chanter, pour chanter. »