Johan Farjot & Friends
Caravan Party
Sortie le 20 janvier 2023
Label: Klarthe Records
« Laissez-vous emporter par la magie de vos charmes.
Vous êtes à mes côtés, ici, sous le bleu,
Mon rêve d’amour devient réalité dans notre caravane du désert. »
La magnifique étymologie persane du mot « Caravan » remonte à la nuit des temps, faite de voyages et d’entraides nomades. Fort de cette poésie immémoriale et s’inspirant bien sûr du légendaire morceau du même nom de Juan Tizol et Duke Ellington, Caravan Party invoque l’amitié en musique, dont le miracle n’a de cesse de se renouveler au Bal Blomet, l’un des plus vieux clubs de jazz d’Europe.
Pensionnaire régulier de ce lieu historique créé en 1924, Johan Farjot a réuni bon nombre des camarades de la série qu’il y anime (aux côtés du saxophoniste Raphaël Imbert), les 1001 Nuits du jazz, avec des alliages inouïs et associations d’artistes inattendues : Ronald Baker – Felipe Cabrera – Hugh Coltman – Fidel Fourneyron – Aude Publes Garcia – Baptiste Herbin – Humayoun Ibrahimi – Raphaël Imbert – Vincent Lê-Quang – Hugo Lippi – Inès Matady – Jeanne Michard – Joe Quitzke – Marion Rampal – Laure Sanchez – Julie Saury – Ensemble Saxo Voce – Louis Sclavis – Rosemary Standley – Dan Tepfer – Arnaud Thorette.
Cette fête chorale, arrangée et dirigée du piano par Johan Farjot, convoque une playlist originale, donnant la part belle aux chefs-d’œuvre des grandes compositrices des 20ème et 21ème siècles. Mais aussi aux grands standards installés dans l’inconscient collectif qui regardent parfois du côté de la pop.
Embarquons pour un voyage déjanté en caravane !
Vous êtes à mes côtés, ici, sous le bleu,
Mon rêve d’amour devient réalité dans notre caravane du désert. »
Paroles d’Irving Mills sur Caravan
La magnifique étymologie persane du mot « Caravan » remonte à la nuit des temps, faite de voyages et d’entraides nomades. Fort de cette poésie immémoriale et s’inspirant bien sûr du légendaire morceau du même nom de Juan Tizol et Duke Ellington, Caravan Party invoque l’amitié en musique, dont le miracle n’a de cesse de se renouveler au Bal Blomet, l’un des plus vieux clubs de jazz d’Europe.
Pensionnaire régulier de ce lieu historique créé en 1924, Johan Farjot a réuni bon nombre des camarades de la série qu’il y anime (aux côtés du saxophoniste Raphaël Imbert), les 1001 Nuits du jazz, avec des alliages inouïs et associations d’artistes inattendues : Ronald Baker – Felipe Cabrera – Hugh Coltman – Fidel Fourneyron – Aude Publes Garcia – Baptiste Herbin – Humayoun Ibrahimi – Raphaël Imbert – Vincent Lê-Quang – Hugo Lippi – Inès Matady – Jeanne Michard – Joe Quitzke – Marion Rampal – Laure Sanchez – Julie Saury – Ensemble Saxo Voce – Louis Sclavis – Rosemary Standley – Dan Tepfer – Arnaud Thorette.
Cette fête chorale, arrangée et dirigée du piano par Johan Farjot, convoque une playlist originale, donnant la part belle aux chefs-d’œuvre des grandes compositrices des 20ème et 21ème siècles. Mais aussi aux grands standards installés dans l’inconscient collectif qui regardent parfois du côté de la pop.
Embarquons pour un voyage déjanté en caravane !
L’idée de voyage sous-tend naturellement tout le programme de Caravan Party.
Avec peut-être en tête, celle du voyage initiatique...
Ainsi, l’auteure-compositrice-interprète canadienne Joni Mitchell (née en 1943) imagine en 1970 un long poème en musique, pacifique et visionnaire, Woodstock (2.). Bien que n’ayant pas participé au Festival qui marqua l’année 1969, elle s’inspire des impressions puissantes que lui raconte son compagnon d’alors, le chanteur Graham Nash.
Cette même année 1970 voit Alice Coltrane (1937-2007), multi-instrumentiste de génie, revenir de son voyage rituel en Inde, marquée à jamais par la magnificence extatique de la culture qui en émane. Nourrie de sensations durables, elle compose pour son maître religieux, Swami Satchidananda, que le public de Woodstock avait entendu psalmodier en 1969, un témoignage hypnotique (10. Journey in Satchidananda). Abandonnant alors le nom de son défunt mari, John Coltrane disparu prématurément en 1967, elle officialise sa conversion à l’Hindouisme pour adopter celui, sanscrit, de Turiyasangitananda, puis quelques années plus tard, Swamini.
Ce courant de liberté venue d’un « ailleurs » imaginaire ou réel, permet à la pianiste pionnière Mary Lou Williams (1910-1981 ), dans ses dernières années créatrices, de réévaluer les courants musicaux auxquels elle a pourtant historiquement contribué. Ainsi dans son album intitulé Free Spirits qu’elle grave en 1975, on peut y entendre un blues revisité, déstructuré, teinté d’une douce tristesse, inventé par le saxophoniste John Stubblefield (1945-2005), Baby Man (11 .). Ce Blues est ici interprété par le pianiste franco-américain Dan Tefper (né en 1982), qui écrit aujourd’hui les pages importantes du jazz new-yorkais et international. Sur l’album Free Spirits, figure aussi cette Ode to Saint Cecile (3/), composée par Mary Lou Williams elle-même, et fabriquée comme chez Alice Coltrane sur un motif obstiné de contrebasse, jusqu’à la transe.
Peu de temps après, en 1979, la compositrice et chanteuse new-yorkaise Meredith Monk (née en 1942) se souvient certes de cette structuration par fragments obsessionnels et répétés. Mais elle les pare de l’univers paisiblement onirique de Gotham Lullaby (13.), qui connecte le dolmen de la Roche-aux-Fées récemment visité en Bretagne, à la ville de New York.
Et c’est évidemment dans le sillage reconnaissant de liberté, guidée par ces compositrices intransigeantes, qu’a éclos en live la Free Ballad (9.), née d’une 1 001 Nuit(s) du Jazz de décembre 2021 au Bal Blomet, improvisation totale dans l’instant, emmenée par Louis Sclavis à la clarinette (né en 1953), chercheur infatigable de la création contemporaine.
Le voyage peut se faire à travers le temps et les âges qui ont fait l’histoire du jazz...
Notamment dans les USA de l’après 1929, où l’on chante inlassablement la chance ou la malchance d’être du bon ou mauvais côté des possessions matérielles.
Ainsi en 1930, au lendemain du séisme mondial boursier, Jay Gorney (1896-1990) compose Brother, can you spare a dime? (1 .) qu’on pourrait traduire par « Mon frère, tu peux me donner un centime ? ». Jay Gorney, qui lui-même a connu la misère de l’exil d’une famille juive contrainte de fuir les pogroms de l’Empire russe, s’associe au parolier, Yip Harburg (1896-1981 ), dont la famille a connu la même destinée, pour créer ce qui deviendra l’un des hymnes de la Grande Dépression.
Juste avant, en 1929 justement, le très beau standard, Gee Baby, ain't I good to you (12.), raconte l’amour qu’ « une grosse Cadillac, et tout le reste » ne suffisent à acheter. Don Redman (1900-1964), multi-instrumentiste prodige encensé par un certain Boris Vian, collabora pour cela avec le poète Andy Razaf (1895-1973), qui fut l’un des premiers contributeurs au journal Voice, écho du bouillonnement intellectuel d’entre-deux-guerres que certains appellent « renaissance de Harlem ». Mais cette époque a besoin aussi d’évasion, notamment en direction du Moyen-Orient imaginaire vers où Caravan (8.) nous emmène avec frénésie en 1936.
Le tromboniste portoricain Juan Tizol (1900-1984) y ajoutera aussi une pincée d’influence latino qui épousera parfaitement les couleurs chatoyantes de l’orchestre de Duke Ellington (1899-1974), avec des paroles très vite rajoutées par Irving Mills (1894-1985), autre exilé de l’Empire russe, né dans ce qui deviendra l’Ukraine.
L’exil fait effectivement partie du voyage, et le déracinement qui l’accompagne prend souvent des formes d’expression déchirantes.
Recensée pour la première fois en 1915, la chanson traditionnelle Black is the color of my true love’s hair (15.) se perd dans de vieilles origines appalachiennes et écossaises. Elle s’empare d’une poésie mystérieuse, dont on ne compte plus les variations, et qui raconte l’amour qui prend chair dans une contrée éloignée - « J’aime le sol, où elle se tient » - et l’espoir de retrouvailles apaisées - « Mais j'espère toujours que le moment viendra, Quand elle et moi ne ferons qu’un ».
De même qu’en 1950, la chanson Prends courage, oh ! (14.) fait retentir ce cri de douleur contenue mais intense d’une terre reculée, par une figure majeure de la création créole. La musicienne française d’origine guadeloupéenne Moune de Rivel (1918-2014), familière du Bal Blomet, est issue d’une grande lignée de musiciens, et née dans un environnement anticolonialiste actif. Elle composera et chantera sans relâche son amour nostalgique et intangible pour l’Outre-Mer.
En 1961, avec Jesus Maria (5.), la compositrice Carla Bley (née en 1936) raconte elle-aussi en chanson le choc de l’éloignement, cette fois-ci dans les yeux d’un enfant : « Un petit garçon, récemment installé aux États-Unis, qui s'appelait Jesús Maria, est rentré de l'école en pleurant. Des enfants s'étaient moqués de son nom ».
Le transport amoureux résonne aussi avec l’âme du voyage.
Qu’il soit éperdu, presque désespéré, avec If you knew (4.), composé en 1963 par Nina Simone (1933-2003), à l’occasion de son premier concert seule au piano, dans le mythique Carnegie Hall : « Je ne peux pas continuer sans toi. Ton amour est tout ce pour quoi je vis »
Ou qu’il soit désabusé, avec Black Trombone (7.) composé un an plus tôt, en 1962, par Serge Gainsbourg (1928-1991) : « C'est l’automne - De ma vie - Plus personne - Ne m’étonne - J’abandonne - C’est fini ».
Car le voyage, c’est aussi malheureusement le départ pour toujours. Blues for Angels (6.), est un hommage admiratif et triste à Didier Lockwood, dont le dernier concert eut lieu en 2018 au Bal Blomet.
Avec peut-être en tête, celle du voyage initiatique...
Ainsi, l’auteure-compositrice-interprète canadienne Joni Mitchell (née en 1943) imagine en 1970 un long poème en musique, pacifique et visionnaire, Woodstock (2.). Bien que n’ayant pas participé au Festival qui marqua l’année 1969, elle s’inspire des impressions puissantes que lui raconte son compagnon d’alors, le chanteur Graham Nash.
Cette même année 1970 voit Alice Coltrane (1937-2007), multi-instrumentiste de génie, revenir de son voyage rituel en Inde, marquée à jamais par la magnificence extatique de la culture qui en émane. Nourrie de sensations durables, elle compose pour son maître religieux, Swami Satchidananda, que le public de Woodstock avait entendu psalmodier en 1969, un témoignage hypnotique (10. Journey in Satchidananda). Abandonnant alors le nom de son défunt mari, John Coltrane disparu prématurément en 1967, elle officialise sa conversion à l’Hindouisme pour adopter celui, sanscrit, de Turiyasangitananda, puis quelques années plus tard, Swamini.
Ce courant de liberté venue d’un « ailleurs » imaginaire ou réel, permet à la pianiste pionnière Mary Lou Williams (1910-1981 ), dans ses dernières années créatrices, de réévaluer les courants musicaux auxquels elle a pourtant historiquement contribué. Ainsi dans son album intitulé Free Spirits qu’elle grave en 1975, on peut y entendre un blues revisité, déstructuré, teinté d’une douce tristesse, inventé par le saxophoniste John Stubblefield (1945-2005), Baby Man (11 .). Ce Blues est ici interprété par le pianiste franco-américain Dan Tefper (né en 1982), qui écrit aujourd’hui les pages importantes du jazz new-yorkais et international. Sur l’album Free Spirits, figure aussi cette Ode to Saint Cecile (3/), composée par Mary Lou Williams elle-même, et fabriquée comme chez Alice Coltrane sur un motif obstiné de contrebasse, jusqu’à la transe.
Peu de temps après, en 1979, la compositrice et chanteuse new-yorkaise Meredith Monk (née en 1942) se souvient certes de cette structuration par fragments obsessionnels et répétés. Mais elle les pare de l’univers paisiblement onirique de Gotham Lullaby (13.), qui connecte le dolmen de la Roche-aux-Fées récemment visité en Bretagne, à la ville de New York.
Et c’est évidemment dans le sillage reconnaissant de liberté, guidée par ces compositrices intransigeantes, qu’a éclos en live la Free Ballad (9.), née d’une 1 001 Nuit(s) du Jazz de décembre 2021 au Bal Blomet, improvisation totale dans l’instant, emmenée par Louis Sclavis à la clarinette (né en 1953), chercheur infatigable de la création contemporaine.
Le voyage peut se faire à travers le temps et les âges qui ont fait l’histoire du jazz...
Notamment dans les USA de l’après 1929, où l’on chante inlassablement la chance ou la malchance d’être du bon ou mauvais côté des possessions matérielles.
Ainsi en 1930, au lendemain du séisme mondial boursier, Jay Gorney (1896-1990) compose Brother, can you spare a dime? (1 .) qu’on pourrait traduire par « Mon frère, tu peux me donner un centime ? ». Jay Gorney, qui lui-même a connu la misère de l’exil d’une famille juive contrainte de fuir les pogroms de l’Empire russe, s’associe au parolier, Yip Harburg (1896-1981 ), dont la famille a connu la même destinée, pour créer ce qui deviendra l’un des hymnes de la Grande Dépression.
Juste avant, en 1929 justement, le très beau standard, Gee Baby, ain't I good to you (12.), raconte l’amour qu’ « une grosse Cadillac, et tout le reste » ne suffisent à acheter. Don Redman (1900-1964), multi-instrumentiste prodige encensé par un certain Boris Vian, collabora pour cela avec le poète Andy Razaf (1895-1973), qui fut l’un des premiers contributeurs au journal Voice, écho du bouillonnement intellectuel d’entre-deux-guerres que certains appellent « renaissance de Harlem ». Mais cette époque a besoin aussi d’évasion, notamment en direction du Moyen-Orient imaginaire vers où Caravan (8.) nous emmène avec frénésie en 1936.
Le tromboniste portoricain Juan Tizol (1900-1984) y ajoutera aussi une pincée d’influence latino qui épousera parfaitement les couleurs chatoyantes de l’orchestre de Duke Ellington (1899-1974), avec des paroles très vite rajoutées par Irving Mills (1894-1985), autre exilé de l’Empire russe, né dans ce qui deviendra l’Ukraine.
L’exil fait effectivement partie du voyage, et le déracinement qui l’accompagne prend souvent des formes d’expression déchirantes.
Recensée pour la première fois en 1915, la chanson traditionnelle Black is the color of my true love’s hair (15.) se perd dans de vieilles origines appalachiennes et écossaises. Elle s’empare d’une poésie mystérieuse, dont on ne compte plus les variations, et qui raconte l’amour qui prend chair dans une contrée éloignée - « J’aime le sol, où elle se tient » - et l’espoir de retrouvailles apaisées - « Mais j'espère toujours que le moment viendra, Quand elle et moi ne ferons qu’un ».
De même qu’en 1950, la chanson Prends courage, oh ! (14.) fait retentir ce cri de douleur contenue mais intense d’une terre reculée, par une figure majeure de la création créole. La musicienne française d’origine guadeloupéenne Moune de Rivel (1918-2014), familière du Bal Blomet, est issue d’une grande lignée de musiciens, et née dans un environnement anticolonialiste actif. Elle composera et chantera sans relâche son amour nostalgique et intangible pour l’Outre-Mer.
En 1961, avec Jesus Maria (5.), la compositrice Carla Bley (née en 1936) raconte elle-aussi en chanson le choc de l’éloignement, cette fois-ci dans les yeux d’un enfant : « Un petit garçon, récemment installé aux États-Unis, qui s'appelait Jesús Maria, est rentré de l'école en pleurant. Des enfants s'étaient moqués de son nom ».
Le transport amoureux résonne aussi avec l’âme du voyage.
Qu’il soit éperdu, presque désespéré, avec If you knew (4.), composé en 1963 par Nina Simone (1933-2003), à l’occasion de son premier concert seule au piano, dans le mythique Carnegie Hall : « Je ne peux pas continuer sans toi. Ton amour est tout ce pour quoi je vis »
Ou qu’il soit désabusé, avec Black Trombone (7.) composé un an plus tôt, en 1962, par Serge Gainsbourg (1928-1991) : « C'est l’automne - De ma vie - Plus personne - Ne m’étonne - J’abandonne - C’est fini ».
Car le voyage, c’est aussi malheureusement le départ pour toujours. Blues for Angels (6.), est un hommage admiratif et triste à Didier Lockwood, dont le dernier concert eut lieu en 2018 au Bal Blomet.
Johan Farjot