Houria Aïchi

Renayate
Sortie le 12 février 2013
Label : Accords Croisés
« J’ai une idée tous les quatre ans », dit-elle comme une boutade. En fait, Houria Aïchi aime prendre son temps et mûrir ses projets patiemment. Renayate est venu un peu par surprise dans son parcours, jusque là concentré sur la musique de l’Aurès.

TITRES :
- 1 Mabrouk el farh (Chérifa)
- 2 Ana touiri (Fadila Dziria)
- 3 Goumari (Aïcha Lebgaa)
- 4 Nouar (Cheikha Rimitti)
- 5 El qalb bet sali (Meriem Fekkaï)
- 6 Atchatht thoules (Djura)
- 7 Cheche (Zoulikha)
- 8 Madre (Fadela d’Oran)
- 9 Arouel (Beggar Hadda)
- 10 Allah idoum farhkoum (Saloua)
- 11 Aldjia (Chant anonyme)
« J’ai une idée tous les quatre ans », dit-elle comme une boutade. En fait, Houria Aïchi aime prendre son temps et mûrir ses projets patiemment. Renayate est venu un peu par surprise dans son parcours, jusque là concentré sur la musique de l’Aurès.

Native de Batna, bourgade montagnarde que les citadins aiment à regarder de haut, Houria a décidé d’aborder aujourd’hui la musique de l’Algérie dans son ensemble en reprenant des chansons célèbres de grandes interprètes qui l’ont précédée : Fadila Dziria, Chérifa, Zoulikha, Djura, Fadela d’Oran, Meriem Fekkaï, Aïcha Lebgaa, Rimitti, Beggar Hadda et Saloua. C’est le plaisir qui la guide vers ces chanteuses populaires algériennes, et le plaisir qui la conduit dans la réalisation du projet : « Mon rapport au travail a été différent, confie Houria Aïchi. Sur le répertoire de l’Aurès, j’ai un sentiment d’urgence, quelque chose de vital, qui est lié à mon identité. Là, j’ai été guidée par mes souvenirs de public, des souvenirs d’enfance et de jeunesse, mais aussi par la curiosité. »

Car ces grandes chanteuses d’Algérie ne sont pas des divas populaires comme pouvaient l’être, dans leurs pays, Édith Piaf ou Amalia Rodrigues. Certaines de ces chanteuses n’ont pas donné de concerts publics, leurs disques sont rares et la plupart d’entre elles ont commencé leur carrière en France. Mais l’émotion n’en est pas moins forte. « Le plus important dans ces chansons, c’est le texte. L’interprétation n’est pas abstraite ou purement esthétique, elle est une expression du sens. C’est ce que, dans la musique andalouse, on appelle le tarab : la forme et le sens se fondent. Ce qui m’intéresse dans ce travail est ce que je mets dans le texte, la manière dont je le reçois et le ressens, puis la manière dont je le transcris et le transmets. »

Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’Houria Aïchi puise dans le répertoire du hawzi, forme semi-classique née de la vénérable généalogie arabo-andalouse : elle reprend Ana touiri que chanta Fadila Dziria ou Al qalb bet sali de Meriem Fekkaï…

Pour ce voyage dans ce patrimoine d’aujourd’hui, Houria s’est entourée d’un orchestre algérien emmené par Mohammed « P’tit Moh » Abdennour (mandole & oud), qui a également signé les arrangements, avec Smail Benhouhou (piano), Ali Bensadoun (ney & gasba) et Amar Chaoui (percussions). Instrumentation traditionnelle ? Bien sûr, mais aussi le piano cher au maître Mustapha Skandrani, qui rappelle que la chanson algérienne n’a cessé de muer et de se transformer au cours des dernières décennies. D’ailleurs, les genres et les esthétiques qu’elle aborde sont variés, des mutations de la tradition avec Djura et Chérifa jusqu’à la chanson professionnelle de Fadila Dziria, Saloua ou Meriem Fekkaï. Cela a pimenté son travail : « Je ne possédais pas certaines techniques vocales et je n’allais pas chercher à chanter exactement comme Meriem Fekkaï. Mais le rapport à la note n’est pas le même dans le hawzi et dans le chant de l’Aurès. J’ai découvert cette manière singulière d’entrer dans la note quand elle est en l’air, c’est-à-dire sur le contre temps. » Ces chanteuses sont des personnages fascinants : la force émanant du visage de Meriem Fekkaï, la liberté et l’insolence de Rimitti, la puissance tellurique de Chérifa…

À travers elles, Houria Aïchi a voulu ainsi rendre hommage aux femmes d’Algérie de toutes les générations de sa voix forte et généreuse. Jusque-là, ses inspirations appartenaient à sa famille et à son entourage proche. Dans son enfance, elle ne connaissait pas ces chanteuses populaires qu’elle a découvertes plus tard sur disque ou à la radio, et la musique était surtout, pour elle, des chants de semailles, de moisson ou de mariages de l’Aurès. « Mon apprentissage et mon oreille viennent de ma famille et des voisins, avant que je sois ouverte sur le monde. » C’est quand elle quitte son Batna natal pour faire ses études secondaires à Constantine qu’elle découvre le malouf, musique andalouse du Constantinois, puis les répertoires algérois ou oranais qu’écoutent ses condisciples et que diffuse la radio.

Ces femmes que reprend Houria chantent l’amour, l’exil, la guerre, la solitude – la solitude de la femme dont l’homme travaille en France, la solitude dans les petits hôtels meublés de Paris puisqu’elles ont presque toutes en commun d’avoir chanté dans l’immigration… Elles chantent aussi les travaux de la laine, de la terre, toutes ces tâches réservées aux femmes et qui annoncent, dans la société traditionnelle, les rudesses de la vie dans les turbulences de l’histoire contemporaine. Elle sent avec ces chanteuses « une communauté de destin de femmes algériennes. Ce n’est pas un combat féministe, mais une proximité dans la condition de femme algérienne, dans la notion de survie qui sous-tend l’expérience des femmes de ce pays. »

Une seule chanson de l’album n’est pas « signée » : Aldjia est un hommage aux chanteuses anonymes, à la tradition populaire sraoui des chants de femmes collectifs a cappella – un retour à la noblesse rugueuse des chants du quotidien de son enfance, qui fait le lien avec la vie souvent difficile de ses aînées.

Renayate a d’abord été un spectacle créé au festival des Suds à Arles avant de devenir un disque. Un processus de création autant que de plaisir, un processus de liberté autant que de respect… « Cela a été une bataille de poser ma voix dans ces chansons, comme si me battre pour trouver ma place me rapprochait du statut de ces femmes. Je vais vers elles avec humilité et je les trouve incroyablement bienveillantes à mon égard. Je suis même sûre que certaines auraient été très heureuses de cet album. »