Femi Kuti
No Place For My Dream
Sortie le 23 avril 2013
Label Maison / Naïve
« Revenir à l’essence de l’Afro beat » : tel est l’objectif que s’est fixé Femi Kuti avec No Place For My Dream, le 7ème album du chanteur nigérian en 26 ans de carrière. Mais comment définir l’essence d’une musique aussi explicitement hybride ? A quel absolu peut prétendre un genre qui depuis son invention à la fin des années 60 par son Fela Kuti de père sert de confluent aux courants les plus agités du funk, du jazz et de la musique traditionnelle africaine ?
« Revenir à l’essence de l’Afro beat » : tel est l’objectif que s’est fixé Femi Kuti avec No Place For My Dream, le 7ème album du chanteur nigérian en 26 ans de carrière. Mais comment définir l’essence d’une musique aussi explicitement hybride ? A quel absolu peut prétendre un genre qui depuis son invention à la fin des années 60 par son Fela Kuti de père sert de confluent aux courants les plus agités du funk, du jazz et de la musique traditionnelle africaine ? Selon Femi, cette « essence » réside avant tout dans la capacité « à faire danser les gens tout en les aidant à avaler la pilule amère de la réalité ». Inutile d’être prix Nobel d’économie, ou docteur en sociologie, pour comprendre qu’en raison de la crise qui frappe l’Afrique, comme d’autres continents, cette dose d’amertume n’a cessé d’augmenter ces derniers temps, rendant la mission de l’afro beat à la fois plus urgente et plus universelle à conduire qu’elle ne l’a jamais été. C’est en ayant à cœur d’honorer cette responsabilité élargie que Femi a réalisé No Place For My Dream, un album qui s’appuyant sur la spectaculaire dynamique que génère son groupe Positive Force le hisse vers de nouveaux sommets.
Après avoir connu 10 années d’intenses turbulences, le chanteur qui a fêté ses 50 ans en Juin 2012, jouit aujourd’hui d’une expérience et d’une maturité mises à profit sur les 11 nouvelles chansons que proposent No Place For My Dream, enregistrées au studio Zarma à Paris sous la direction de Sodi, collaborateur historique du clan Kuti pour avoir réalisé certains albums de Fela ainsi que tous ceux de Femi depuis Shoki Shoki en 1998. « Je peux aujourd’hui me consacrer entièrement à la musique, ce qui, pour des raisons à la fois personnelles et professionnelles, n’a pas été le cas pendant une longue période reconnaît Femi. Après le décès de ma mère en 2002, mon chemin est devenu chaotique. Ma femme a entamé une procédure de divorce. La presse nigériane instrumentalisée par le gouvernement a mené une campagne de calomnies et de dénigrements particulièrement vicieuse contre moi. Mon club, le Shrine, a été mis à sac par la police. J’ai été contraint de dissoudre mon organisation politique M.A.S.S (Movement Against Second Slavery) que certains responsables utilisaient pour détourner de l’argent. Quant à mes musiciens, ils sont devenus incontrôlables. Certains ont profité d’une tournée Européenne pour disparaître et ceux qui sont restés sont devenus de plus en plus arrogants et exigeants. » En 2007, tentant d’échapper à cette spirale négative, Femi se retire pendant 8 mois dans sa maison du quartier d’Ikeja à Lagos pour se consacrer à l’étude du piano et de la trompette. « Les rumeurs allaient bon train. On me disait fou. Un tabloïd a même publié un article prétendant qu’on m’avait vu errant complètement nu un joint aux lèvres dans une rue de Lagos. »
Comme toujours, la seule réponse qu’il souhaite apporter à ses détracteurs est musicale. Avec l’album Day By Day sorti en 2008, Femi franchit un cap décisif en réussissant à rénover l’esthétique de l’Afro Beat avec des propositions inspirées des maîtres du jazz moderne que sont Miles Davis et John Coltrane, sans toutefois en diluer la puissance démentielle. Deux ans plus tard, il récidive avec Africa For Africa, manifeste sonore panafricain enregistré dans l’ancien studio Decca à Lagos où Fela a longtemps œuvré. Plus offensif, c’est aussi un disque politiquement plus radical que les précédents, montrant une évolution dans la pensée de Femi dont le cheminement va conduire à No Place For My Dream. « Parler de politique dans une chanson, c’est comme monter un cheval sauvage. Aujourd’hui je parviens à mieux le maîtriser. La difficulté à laquelle je me suis longtemps confronté était d’intéresser le public occidental aux problèmes que rencontrent les Africains. Et inversement. L’enjeu de ce nouvel album était de pouvoir dépasser cette barrière culturelle qui nous empêche de nous comprendre les uns les autres. Je crois que la situation actuelle m’a beaucoup aidé. En raison de la crise qui traverse tous les continents, une conscience globale des problèmes est en train de naître qui rend mes textes plus pertinents et donne à ma musique plus d’impact. »
Ce regard panoramique sur un monde en plein bouleversement, Femi en donne un reflet particulièrement pénétrant sur The World is Changing où il évoque un destin planétaire chaque jour plus unifié par la montée spectaculaire de la pauvreté et la généralisation des catastrophes écologiques de grande intensité. Car plus qu’un cheval sauvage, c’est une lame de fond qu’il entend étriller sur cet album. Celle qui détruit la vie de millions de gens en les privant d’emploi et de ressources (No Work, No Job, No Money) ; celle qui met à nu l’incurie d’une classe politique essentiellement soucieuse de pérenniser ses privilèges alors que ne cesse d’augmenter la souffrance des peuples qu’elle gouverne ( Politics Na Big Business, Nothing To Show For It). Fela Kuti, qui avait coutume de dire que l’Afro beat était l’« arme du futur », faite non pour agresser mais pour résister, serait probablement fier de l’application que fait de cette philosophie son fils aîné sur Action Time ou Carry On Pushin On ? « Je crois qu’aujourd’hui beaucoup d’individus partout dans le monde en arrive à un tel degré de désespoir que dans une situation aussi extrême la musique est souvent la seule chose en mesure de libérer une énergie insoupçonnée et une rage intacte pour surmonter les difficultés. C’est aussi le sens de cet album. »
Il y a vingt ans de cela, Femi écrivait une chanson pour évoquer le combat de son père qu’il avait vu traqué comme un animal par les séides d’un régime militaire ayant fait du roi de l’afro beat l’ennemi public numéro 1. Cette chanson, No One Man Show, il ne l’enregistre qu’aujourd’hui, sur son nouvel album, afin d’honorer la mémoire de ce combattant pour la justice et la liberté que fut Fela mais aussi parce que lui-même est passé par les mêmes épreuves, a connu les mêmes moments de doute, enduré la même solitude. « Tout le monde sympathise avec la cause que je défends, la même que celle que défendait mon père. Mais quand il s’agit de passer à l’action, il n’y a plus personne. Chaque soir je me dis que si quelque chose de grave devait arriver, je serais seul à faire face. Je suis engagé dans le même sport que mon père. Je ne peux m’esquiver ni à gauche, ni à droite. Et je ne peux pas revenir en arrière. Je dois aller de l’avant.« No place for my dream ». « Il n’y a pas de place pour mes rêves dans la réalité ». C’est ce que me répètent les gens qui aimeraient me voir abandonner. Ils ignorent que ma vie n’aurait alors plus aucun sens. »
No Place For My Dream prouve au moins que Femi a pu compter sur le soutien d’une formation, Positive Force, considérablement rajeunie et jamais aussi efficace. Seule intervention extérieure, Hervé Salters, leader de General Elektrics, et ami de longue date qui œuvrait déjà dans l’album « Soki Shoki , » a posé quelques lignes de claviers ici et là. Qu’il s’agisse de vigueur rythmique ou d’incandescence des cuivres, la musique produite sur cet album sert parfaitement le propos de plus en plus véhément d’un artiste en état d’urgence qui gravit un nouvel échelon dans l’excellence, marquant sa volonté de faire entendre sa voix- et à travers elle celle des sans voix- pour nous aider à avaler la pilule amère.
Après avoir connu 10 années d’intenses turbulences, le chanteur qui a fêté ses 50 ans en Juin 2012, jouit aujourd’hui d’une expérience et d’une maturité mises à profit sur les 11 nouvelles chansons que proposent No Place For My Dream, enregistrées au studio Zarma à Paris sous la direction de Sodi, collaborateur historique du clan Kuti pour avoir réalisé certains albums de Fela ainsi que tous ceux de Femi depuis Shoki Shoki en 1998. « Je peux aujourd’hui me consacrer entièrement à la musique, ce qui, pour des raisons à la fois personnelles et professionnelles, n’a pas été le cas pendant une longue période reconnaît Femi. Après le décès de ma mère en 2002, mon chemin est devenu chaotique. Ma femme a entamé une procédure de divorce. La presse nigériane instrumentalisée par le gouvernement a mené une campagne de calomnies et de dénigrements particulièrement vicieuse contre moi. Mon club, le Shrine, a été mis à sac par la police. J’ai été contraint de dissoudre mon organisation politique M.A.S.S (Movement Against Second Slavery) que certains responsables utilisaient pour détourner de l’argent. Quant à mes musiciens, ils sont devenus incontrôlables. Certains ont profité d’une tournée Européenne pour disparaître et ceux qui sont restés sont devenus de plus en plus arrogants et exigeants. » En 2007, tentant d’échapper à cette spirale négative, Femi se retire pendant 8 mois dans sa maison du quartier d’Ikeja à Lagos pour se consacrer à l’étude du piano et de la trompette. « Les rumeurs allaient bon train. On me disait fou. Un tabloïd a même publié un article prétendant qu’on m’avait vu errant complètement nu un joint aux lèvres dans une rue de Lagos. »
Comme toujours, la seule réponse qu’il souhaite apporter à ses détracteurs est musicale. Avec l’album Day By Day sorti en 2008, Femi franchit un cap décisif en réussissant à rénover l’esthétique de l’Afro Beat avec des propositions inspirées des maîtres du jazz moderne que sont Miles Davis et John Coltrane, sans toutefois en diluer la puissance démentielle. Deux ans plus tard, il récidive avec Africa For Africa, manifeste sonore panafricain enregistré dans l’ancien studio Decca à Lagos où Fela a longtemps œuvré. Plus offensif, c’est aussi un disque politiquement plus radical que les précédents, montrant une évolution dans la pensée de Femi dont le cheminement va conduire à No Place For My Dream. « Parler de politique dans une chanson, c’est comme monter un cheval sauvage. Aujourd’hui je parviens à mieux le maîtriser. La difficulté à laquelle je me suis longtemps confronté était d’intéresser le public occidental aux problèmes que rencontrent les Africains. Et inversement. L’enjeu de ce nouvel album était de pouvoir dépasser cette barrière culturelle qui nous empêche de nous comprendre les uns les autres. Je crois que la situation actuelle m’a beaucoup aidé. En raison de la crise qui traverse tous les continents, une conscience globale des problèmes est en train de naître qui rend mes textes plus pertinents et donne à ma musique plus d’impact. »
Ce regard panoramique sur un monde en plein bouleversement, Femi en donne un reflet particulièrement pénétrant sur The World is Changing où il évoque un destin planétaire chaque jour plus unifié par la montée spectaculaire de la pauvreté et la généralisation des catastrophes écologiques de grande intensité. Car plus qu’un cheval sauvage, c’est une lame de fond qu’il entend étriller sur cet album. Celle qui détruit la vie de millions de gens en les privant d’emploi et de ressources (No Work, No Job, No Money) ; celle qui met à nu l’incurie d’une classe politique essentiellement soucieuse de pérenniser ses privilèges alors que ne cesse d’augmenter la souffrance des peuples qu’elle gouverne ( Politics Na Big Business, Nothing To Show For It). Fela Kuti, qui avait coutume de dire que l’Afro beat était l’« arme du futur », faite non pour agresser mais pour résister, serait probablement fier de l’application que fait de cette philosophie son fils aîné sur Action Time ou Carry On Pushin On ? « Je crois qu’aujourd’hui beaucoup d’individus partout dans le monde en arrive à un tel degré de désespoir que dans une situation aussi extrême la musique est souvent la seule chose en mesure de libérer une énergie insoupçonnée et une rage intacte pour surmonter les difficultés. C’est aussi le sens de cet album. »
Il y a vingt ans de cela, Femi écrivait une chanson pour évoquer le combat de son père qu’il avait vu traqué comme un animal par les séides d’un régime militaire ayant fait du roi de l’afro beat l’ennemi public numéro 1. Cette chanson, No One Man Show, il ne l’enregistre qu’aujourd’hui, sur son nouvel album, afin d’honorer la mémoire de ce combattant pour la justice et la liberté que fut Fela mais aussi parce que lui-même est passé par les mêmes épreuves, a connu les mêmes moments de doute, enduré la même solitude. « Tout le monde sympathise avec la cause que je défends, la même que celle que défendait mon père. Mais quand il s’agit de passer à l’action, il n’y a plus personne. Chaque soir je me dis que si quelque chose de grave devait arriver, je serais seul à faire face. Je suis engagé dans le même sport que mon père. Je ne peux m’esquiver ni à gauche, ni à droite. Et je ne peux pas revenir en arrière. Je dois aller de l’avant.« No place for my dream ». « Il n’y a pas de place pour mes rêves dans la réalité ». C’est ce que me répètent les gens qui aimeraient me voir abandonner. Ils ignorent que ma vie n’aurait alors plus aucun sens. »
No Place For My Dream prouve au moins que Femi a pu compter sur le soutien d’une formation, Positive Force, considérablement rajeunie et jamais aussi efficace. Seule intervention extérieure, Hervé Salters, leader de General Elektrics, et ami de longue date qui œuvrait déjà dans l’album « Soki Shoki , » a posé quelques lignes de claviers ici et là. Qu’il s’agisse de vigueur rythmique ou d’incandescence des cuivres, la musique produite sur cet album sert parfaitement le propos de plus en plus véhément d’un artiste en état d’urgence qui gravit un nouvel échelon dans l’excellence, marquant sa volonté de faire entendre sa voix- et à travers elle celle des sans voix- pour nous aider à avaler la pilule amère.