Ensemble Henri Agnel

Los Kaminos, Chants séfarades de l’Andalousie aux Balkans
Sortie le 5 Février 2016
Label : Accords Croisés
Après avoir travaillé depuis une décennie de magnifiques répertoires poétiques et musicaux créés par les Musulmans et les Chrétiens, les musiciens Henri Agnel (cistre, cétéra, oud, rebec, chant basse), et Idriss Agnel (oudou, zarb, cajon, harmonium, cistre, chant ténor) et les chanteuses Milena Jeliazkova (soprano traditionnelle) et Milena Roudeva (alto-barytone traditionnelle), ont choisi de suivre les Sépharades dans leurs voyages obligés à travers leurs chants d’amour. Des migrants qui avec la langue judéo-espagnole comme trésor identitaire ont faits de leurs chants une mémoire diasporique renouvelée aux influences des pays où ils se sont installés.
Après avoir travaillé depuis une décennie de magnifiques répertoires poétiques et musicaux créés par les Musulmans et les Chrétiens, les musiciens Henri Agnel (cistre, cétéra, oud, rebec, chant basse), et Idriss Agnel (oudou, zarb, cajon, harmonium, cistre, chant ténor) et les chanteuses Milena Jeliazkova (soprano traditionnelle) et Milena Roudeva (alto-barytone traditionnelle), ont choisi de suivre les Sépharades dans leurs voyages obligés à travers leurs chants d’amour. Des migrants qui avec la langue judéo-espagnole comme trésor identitaire ont faits de leurs chants une mémoire diasporique renouvelée aux influences des pays où ils se sont installés.

Pour interpréter ce répertoire médiéval singulier, nos quatre musiciens - chanteurs ont recours à une instrumentation colorée, à des techniques de chant, des pratiques de jeux et d’improvisation que les traditions orales balkanique et arabo‐andalouse ont enrichi jusqu’à nos jours.
 Mais surtout ils ont désiré, loin de toute reconstruction muséale, se l’approprier, le faire résonner avec leurs propres lectures et sensations, lui conférer sa contemporanéité. Le mot « Séfarades » qualifie les Juifs expulsés par l’Inquisition catholique d’Espagne en 1492. Par extension, il renvoie aux thèmes de l’exil, de l’errance, de la persécution politique ou ethnique, à ce sentiment d’étrangeté au monde qu’éprouvent les victimes d’oppressions totalitaires. Des réalités qui ont une résonnance aujourd’hui dans un monde moyen-oriental troublé. Aussi ce répertoire métissé se veut-il comme un tendre manifeste en faveur de cette polyphonie des cultures qui a fait les richesses de la Méditerranée et que humblement continuent à valoriser, à travers leurs échanges, la communauté de ses musiciens.

Voyage onirique en paysages séfarades.

Ce répertoire nous emporte dans un voyage poétique, rythmique et mélodique. Des chansons aux accents elliptiques ou métaphoriques qui disent le désir, l’absence, la mélancolie, la douleur, le prosaïque, l’attente, la jalousie, la grâce, la noblesse de cœur… épousant toute la palette de ce « sentiment amoureux » né dans le sillage d’un amour courtois qui saupoudra de sa poudre d’or une route allant des troubadours jusqu’en Inde. Cet album est le fruit goûteux d’une longue collaboration entre des musiciens et chanteuses qui en plus dix ans ont confronté leurs voix et leurs instruments mais aussi les sources musicales qui les ont inspirés. Aussi ce choix de chansons s’est-il imposé à eux comme à l’issue d’une longue conversation à propos des façons de faire vivre des mots et des imaginaires venus du très loin et d’en faire raisonner leur intemporalité.

Henri Agnel (cistre, cétéra, oud, rebec, chant basse), Idriss Agnel (oudou, zarb, cajon, harmonium, cistre, chant ténor) tout comme Milena Jeliazkova (soprano traditionnelle) et Milena Roudeva (alto barytone traditionnelle) ne sont pas de culture juive. Mais au long de leurs trajectoires ils ont été confrontés aux richesses de sa diaspora musicale, en particulier dans sa dimension dite séfarade. Et pour cause, leur terrain de jeu est ce bassin méditerranéen où se sont tressés les grandes philosophies fondatrices. Retour amont : à partir de 1492, avec une Espagne qui entre sa glaciation catholique, l’Inquisition expulse les Juifs. Lesquels sefardim (de l’hébreu sefarad qui signifie espagnol) s’exilent dans les régions voisines du Portugal, de France, d’Italie, mais aussi en Afrique du nord puis progressivement plus à l’est, vers les Balkans. Au point que 200.000 d’entre eux seraient arrivés dans l’Empire ottoman accueillis par le Sultan Bayazid II. Dans leur errance, de Tanger à Jérusalem, de Grenade à Thessalonique, ces migrants ont emporté une langue, le judéo-espagnol, et une poétique influencée par cette poésie courtoise dans laquelle la femme tient un rôle cardinal dans la naissance d’une psyché individuelle et collective. Autre patrimoine culturel immatériel du voyage : leurs musiques, qu’elles soient liturgiques ou profanes. Sur ce dernier registre, il s’agit de monodies populaires, chansons de femmes, berceuses, chants de mariage, romansas (chansons épiques), kantikas, mélodies d’amour ou nostalgiques. C’est tout cet héritage colporté que vont entretenir et faire évoluer ces populations déracinées. Car si ces flux de populations ont fait que le terme de « séfarade » équivaut à une profession de foi et à une identité culturelle, il n’en reste pas moins que la musique juive comme la tzigane est par essence « interculturelle ». Tant au cours de leurs pérégrinations les communautés qui l’ont véhiculée l’ont créolisée aux musiques autochtones qu’elles rencontraient. C’est cette chatoyante variété qui a séduit notre quatuor lequel souhaitait en jouer pour exprimer sa propre contemporanéité. Car il s’agit bien dans cet arc-en-ciel d’approches de se laisser porter par des chants, d’en faire des lectures « comme si c’étaient nos chansons », d’y trouver un plaisir vocal et instrumental, d’y inscrire sa créativité sans prévention stylistiques ni préciosité comme souvent le chant dit séfarade fut abusivement abordé. « Les voix se sont imposées d’elles même. Notre expérience a joué. On s’est laissé porter par notre vécu » disent nos quatre complices. Comme si ce répertoire racontait leur propre histoire musicale.

Pour atteindre une telle ambition, un parti-pris de limpidité s’imposait. Pour les couleurs, les vibrations, à conférer à chaque morceau, leur inspiration n’avait qu’à puiser dans leurs expériences faites de thèmes communs, de leur goût pour les rythmiques asymétriques et les saveurs du modal, des richesses polytimbriques de la polyphonie bulgare dans laquelle évoluèrent les deux Milena (membre du groupe Balkanes). Toutes virtualités sonores propres à la Mare nostrum, ce fabuleux réservoir de formes. Les options des cordes et des percussions épousant leurs sensibilités rodées à nombre de créations griffées musiques anciennes, Renaissance ou orientales. Cet enregistrement ayant pour souci de rester au plus près d’une immédiateté d’inspirations, bénéficiant de l’acoustique naturelle de la chapelle du Centre psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence où Van Gogh fit séjour, les séances de répétition étant suivies par des patientes qui s’en trouvaient disaient-elles apaisées.

Si cet album est fondamentalement à visée musicale, il n’en reste pas moins que, dans une Europe et un Moyen-Orient troublés, il plaide en filigrane pour une utopie. Souvenir de nos chanteuses qui rappellent que leur pays d’origine fut le seul d’Europe centrale à avoir refusé de livrer des Juifs aux Nazis ? En tout cas notre quatuor impliqué dans une recherche ayant trait à « la Méditerranée des trois religions », s’emploie à en montrer « de façon tendre et amoureuse » leurs points communs ». Tant selon Henri Agnel, « les artistes ont le privilège de parler de la beauté des cultures juives, musulmanes, chrétiennes ou athées ».

Frank Tenaille

(1) La langue qu’ils ont emportée était proche du castillan du XVe siècle. Avec les influences d’autres langues elle a finalement a été connue comme « le judéo-espagnol ». Le terme de « ladino » étant plus utilisé pour le domaine religieux.