El Gusto

El Gusto
Sortie le 2 Janvier 2012
Label : Remark
L’HISTOIRE LES A SÉPARÉS, LA MUSIQUE LES A RÉUNIS

Cinquante ans plus tard un orchestre de musiciens juifs et musulmans séparés par l’Histoire se réunit sur scène pour un concert mythique. Ensemble, ils partagent à nouveau, cette passion, qui ne les a jamais quitté, celle de la musique Chaâbi. Ce « Blues de la Casbah », popularisé dans les années 30 (on parlait de Medh à cette époque) est la musique populaire algéroise par excellence, celle de la rue, celle des cafés et des fumeries.
Cinquante ans plus tard un orchestre de musiciens juifs et musulmans séparés par l’Histoire se réunit sur scène pour un concert mythique. Ensemble, ils partagent à nouveau, cette passion, qui ne les a jamais quitté, celle de la musique Chaâbi. Ce « Blues de la Casbah », popularisé dans les années 30 (on parlait de Medh à cette époque) est la musique populaire algéroise par excellence, celle de la rue, celle des cafés et des fumeries.

En 2003, une jeune femme, Safinez Bousbia, rencontre au hasard de ses déambulations dans le Casbah d’Alger, un miroitier, Mr Ferkioui. Venue y acheter un petit miroir, elle découvre un personnage qui lui raconte son histoire, celle d’un célèbre musicien dans l’Algérie des années 50, celle des années qui ont précédé la guerre d’indépendance. Elle boit ces paroles et découvre cette musique populaire, imprégnée de chants berbères, andalous et religieux qui s’est imposée dans la Casbah. Mr Ferkioui l’a apprise au conservatoire sous la direction de son fondateur, El Anka (1907-1978). C’est là qu’il s’est lié d’amitié avec les autres musiciens chaâbi, juifs ou musulmans. Sur les photos qu’il lui tend, elle découvre leurs visages surgis du passé. Touchée par ce récit émouvant, elle décide de partir à la recherche des survivants de cette classe de musique, séparés depuis plus d’un demi-siècle.

Bien que la belle harmonie qui liait ces musiciens juifs et arabes ait été brisée par la guerre et que la musique chaâbi semble avoir sombré dans l’oubli, ils n’ont rien perdu de leurs souvenirs ni de leur passion. Grâce à leurs vivants témoignages, l’Algérie des années 50 – la plus belle époque de la Casbah – reprend vie sous nos yeux et… à nos oreilles. La musique chaâbi nous plonge au cœur de l’Histoire, ses déchirures mais aussi ses heures de bonheur et la joie qu’elle suscite, ce qu’ils appellent « el gusto ». C’est avec une grande nostalgie que les musiciens l’évoquent, tout en déambulant dans la Casbah pour nous montrer les lieux où elle résonnait sans cesse, si profondément conviviale. Violons, mandolines et ouds s’unissaient aux chants poétiques pour faire vibrer les cœurs et danser les corps.

Mais très vite, Safinez pense que la mémoire ne suffit pas et que ces grands musiciens méritaient que leur musique revienne véritablement à la vie. C’est pour cela qu’elle leur proposa de se retrouver à Marseille, pour ce qui devait être un ultime concert et qui, finalement, est devenu le premier d’une nouvelle série. Il lui a fallu deux années pour rassembler les quarante musiciens de l’orchestre de la première classe de musique chaâbi du conservatoire d’Alger, éparpillés sur les deux rives de la Méditerranée. Ensemble, ils sont remontés sur scène, les « papys du chaâbi » pour un concert longtemps attendu qui les plonge dans leur passé commun, si vivant et si présent dans leurs cœurs malgré le temps écoulé.

LES MUSICIENS DU DISQUE

(par ordre alphabétique)

Traditionnellement, un groupe de chaâbi est formé d’une dizaine de musiciens mais, pour la tournée de concerts entamée à Marseille en 2007, l’orchestre El Gusto en réunissait quarante-deux : tous ceux que la réalisatrice a réussi à retrouver à force d’opiniâtreté, tous anciens élèves du grand maître El Anka. Seize d’entre eux apparaissent dans le film de Safinez Bousbia : souvenirs, témoignages, promenade dans un monde disparu, moments d’émotion et sens de l’humour que les vicissitudes de la vie, souvent douloureuses, n’ont pas altéré chez ces adeptes d’el gusto.

Mamad Haïder Benchaouch, le Fils de famille - Algérie

Descendant d’une grande famille andalouse, il se rebelle contre ses racines qui lui pèsent, se libérant les doigts sur son violon, dans des improvisations du plus pur style chaâbi.

Rachid Berkani, le Beau gosse - Algérie

Il a joué du luth, son instrument, avec entre autres Farid el-Atrache, conservant de cette expérience une certaine idée de l’élégance qu’un artiste se doit d’exprimer.

Ahmed Bernaoui, le Battant – Algérie (RIP)

Ce joueur de mandole habité par une véritable mystique n’a jamais cessé de jouer de la musique en dépit des graves séquelles physiques laissées par la guerre d’indépendance.

Robert Castel, le Comédien - France

Fils d’une figure mythique du chaâbi, Lilli Labassi, il n’a osé reprendre le violon de son père qu’à 57 ans.

Abdelkader Chercham, l’Académique - Algérie

Ce joueur de mandole, professeur de chaâbi au conservatoire, représente la continuité de l’école d’Alger.

Luc Cherki, le Nostalgique - France

Interdit de chanter en arabe pendant les événements. Il quitte l’Algérie pour la France, devenant l’incarnation du chanteur pied-noir, bien que sa notoriété touche plus les amateurs que le grand public. Il est revenu tardivement au chaâbi en tant que guitariste.

Redha el-Djilali, le Solitaire - France

Jouant du mandole-guitare, il incarne le chaâbi de l’exil à Paris, tout comme Dahmane el-Harrachi et Amar el-Achab.

Mohamed el-Ferkioui, le Miroitier - Algérie

Sa boutique de la Casbah est un lieu de mémoire du chaâbi. C’est lui qui a donné naissance à l’aventure El Gusto. Il est accordéoniste.

Maurice el-Medioni, le Méditerranéen - Algérie

Pianiste et inventeur du « pianoriental », il a repris une carrière de musicien soliste après des années d’interruption. Figure de la nouvelle vague moderniste des années 1940-1950, avec Lili Boniche et Salim el-Hallali. Il vit maintenant à Marseille : « C’est plus près de son cœur. »

Abdelrahmane Guellati, l’Artiste - Algérie

Tout le monde l’appelle Manou. Ce « Gentleman Zazou » qui joue du banjo a été, de son propre aveu, sauvé par la musique.

Joseph Hadjaj, l’Optimiste - France

Surnommé José de Souza, d’origine tunisienne, il est multi-instrumentiste. Le hasard l’a conduit à Alger avec Blond-Blond. Il y écrira plusieurs standards de la chanson algéroise avant son départ pour la France.

Liamine Haimoune, le Tendre - Algérie

Après avoir perdu ses deux fils dans les années 1990, il s’est abstenu de chanter. Il a exceptionnellement repris son mandole pour El Gusto.

El Hadi Halo, le Parrain – Algérie

C’est le fils du créateur mythique du chaâbi, El Hadj M’hamed El Anka. Pianiste, il est aussi professeur au conservatoire.

Abdel Madjid Meskoud, le Rire - Algérie

« Ambianceur » sans égal, il représente la nouvelle génération du chaâbi algérois. Il joue du mandole.

René Perez, le Perfectionniste – France (RIP)

René est le fils d’un grand maître du hawzi tlemcénien, une musique populaire née dans la ville de Tlemcen. Il rencontre le chaâbi algérois lors de son service militaire mais ne s’interdit pas un détour, remarquable, vers la chansonnette. Il vit en France et joue du mandole-guitare.

Mustapha Tahmi, le Joker - Algérie

Toujours habillé de vêtements couleur bleu de Chine, un verre de vin rouge dans une main et la guitare dans l’autre, il improvise sa vie, entre la joie que lui procure la musique et l’amertume qu’il subit au quotidien. Vivant dans la Casbah, il personnifie le chaâbi.

La supervision musicale du projet a été confiée au producteur Sodi (Fela Kuti, Rachid Taha, Têtes Raides...)

Le touche-à-tout anglais Damon Albarn (Blur, Gorillaz) s’est également fortement impliqué dans l’aventure d’El Gusto.

SAFINEZ BOUSBIA

De l’équerre à la caméra

El Gusto est le premier film de Safinez Bousbia, 30 ans, réalisatrice polyglotte de culture cosmopolite : née à Alger, elle n’y a jamais vécu, a séjourné et travaillé en Suisse, au Royaume-Uni, en Irlande, en France et aux Émirats Arabes Unis.

Après avoir étudié l’architecture à Oxford, elle enchaîne avec un Master de design à Dublin. En 2003, à l’occasion d’un voyage en Algérie, elle découvre par hasard le monde des maîtres de la musique chaâbi. Touchée par les destins de ces musiciens inspirés, elle éprouve le besoin de partager sa découverte en portant leur histoire à l’écran. Elle change alors radicalement de vie et pénètre dans l’univers du cinéma.

Safinez a écrit, produit et réalisé El Gusto. Tout en menant à terme ce projet de long-métrage, elle a formé L’Orchestre El Gusto d’Alger. Elle en est devenue la manager et a organisé ses tournées, produisant une série de concerts dans des lieux légendaires de réputation internationale : le Barbican à Londres, le Palais Omni-Sports de Paris-Bercy, le Théâtre du Gymnase à Marseille et l’Opéra d’Alger. Safinez a aussi collaboré avec Damon Albar, (le leader de Blur et Gorillaz) pour produire le premier album de l’orchestre, distribué par EMI.

El Gusto a été une grande aventure humaine pour Safinez. Les maîtres du chaâbi sont devenus sa famille au cours de ces huit années passées à voyager avec eux au pays du projet El Gusto.

Le chaâbi

Né au milieu des années 1920, le chaâbi est une musique issue de plusieurs influences. Berbère, andalouse et chants religieux : « On a fait un cocktail et ça a donné la musique chaâbi. » L’inventeur de cette boisson musicale au goût nouveau, de ce « son magique qui résonne » encore dans le cœur et les oreilles de ses anciens élèves, s’appelle Cheikh – Le Maître – El Anka (Hadj M’hamed El Anka 1907-1978). Sa recette est faite d’emprunts et de mélanges, de métissages et d’adaptations, de transformations mais aussi d’innovations musicales.

« Une note de fraîcheur pétillante »

Avec ces ingrédients El Anka donne naissance à un style musical original et personnel qui remporte immédiatement un formidable succès : « Le public a marché. Il a trouvé ça merveilleux. […] Dans toutes les rues on entendait cette musique […] Tout le monde chantait ça. » Cette musique nouvelle à l’audience populaire - chaâb signifie le peuple - touche tous les habitants de la Casbah d’Alger, berceau du chaâbi et ville natale d’El Anka dont la famille est originaire de Kabylie. Musulmans, juifs, Italiens, Espagnols : tous vivent au rythme du chaâbi… À l’époque, c’était « l’harmonie de vie entre toutes les communautés. Tout le monde se fréquentait. » Ce « Blues de la Casbah » est un joyeux mélange. El Anka apporte à la musique une « note de fraîcheur pétillante » mettant « la mélodie au service du verbe ». En plus de cinquante ans de carrière, le maître du chaâbi a interprété près de 360 chansons et enregistré plus d’une centaine de disques.

De l’école buissonnière au conservatoire

Le frère de Berkani était un « grand joueur de luth ». Dès qu’il en avait l’occasion, il se faufilait parmi les grands pour l’écouter : « C’était comme l’école buissonnière. » Devant le succès rencontré par le style musical du chaâbi, El Anka ouvre une classe au conservatoire d’Alger. Jusqu’à deux cents élèves se pressent alors dans une petite salle au sous-sol du bâtiment. Très vite, tout le monde grimpe au 5e étage où il y a l’espace nécessaire pour accueillir les amoureux de la musique chaâbi. Ces jeunes élèves, enfants juifs et musulmans issus de toutes les communautés de la Casbah, sont venus pour apprendre la musique au goût du jour. Toutes origines et religions confondues, ils sont réunis par leur amour commun du chaâbi. Par la suite, les élèves de la toute première classe créée par El Anka joueront ensemble pendant des années au sein du même orchestre, jusqu’aux « événements », la guerre. Les musiciens se souviennent : ils priaient ensemble ; l’engouement était tel que les musulmans allaient avec leurs copains juifs à la synagogue pendant le Sabbat, pour écouter du chaâbi.

Une victime méconnue de l’Histoire

Avec la guerre, une page se tourne. Sommées de choisir entre « la valise et le cercueil », des familles entières prennent le chemin de l’exil. D’autres quittent Alger pour sa périphérie ou les campagnes. Certains musiciens restent à la Casbah mais, même pour eux, le rythme est brisé. Tout ce qui les a marqués, formés pendant leurs années d’enfance et de jeunesse appartient au passé. Ils sont séparés par l’Histoire mais aussi arrachés à une partie d’eux-mêmes. Quelques uns cessent de jouer, certains n’arrêtent jamais. D’autres reviennent à la musique après avoir fait tout autre chose comme Maurice el-Medioni : il ouvre une boutique de tailleur d’abord à Paris puis à Marseille (le soleil y est plus proche d’Alger que celui de Paris…). C’est parvenu à un âge vénérable qu’il retourne à ses premières amours. Toujours curieux, il explore de nouvelles pistes, expérimentant de nouveaux mélanges musicaux dans la continuité de ce qu’il a inventé dans sa jeunesse, le piano oriental : un piano acheté aux Puces par son frère aîné et sur lequel il jouait des airs de sa composition, des cocktails sonores : un peu du boogie woogie auquel l’ont initié les GI’s basés à Alger pendant la guerre ; du jazz, qu’il adore ; les sons latino, découverts avec les soldats américains d’origine portoricaine ; et, bien sûr, le chaâbi. En 1997, Maurice retourne à la musique en menant une carrière de soliste. Il enregistre l’album Café Oran, suivi en 2000 de Pianoriental et de Samai andalou. Suit un autre disque en 2006, Descarga Oriental, The New York Sessions, avec le percussionniste Roberto Rodriguez, un « Cubain de New York ». Maurice et Roberto sont tous deux récompensés en 2007 par un BBC World Music Award, catégorie « Culture Crossing ». Plus récemment (août 2010), Maurice a participé avec d’autres artistes au Grand Ramdam au parc de la Villette à Paris, en présence du Ministre de la culture Frédéric Mitterrand et de Jack Lang.

El Anka, le phénix…

Ferkioui a également délaissé le chaâbi après la guerre, malgré son diplôme de chef d’orchestre obtenu dans la classe d’El Anka au conservatoire d’Alger. C’est pourtant lui, aidé d’un petit coup de pouce du hasard, qui a été le déclencheur des événements : le film ; l’orchestre El Gusto qui se reforme pour des concerts exceptionnels ; l’enregistrement d’un CD. Devenu miroitier, Ferkioui accueille un jour de 2003 dans sa boutique de la Casbah une jeune architecte algéro-irlandaise. Ils bavardent… L’aventure commençait ! La jeune femme se lance dans une entreprise qui n’est pas des plus faciles : retrouver les anciens élèves d’El Anka au conservatoire d’Alger. Drôle de clin d’œil des mots : en dialecte algérois, El Anka signifie le phénix, cet oiseau légendaire qui renaissait de ses cendres.