Cuban Pearls
Volume 1-4
Sortie le 4 avril 2007
Label: Syllart
Colonie espagnole en terre indienne, occupée par les Anglais, peuplée d’esclaves venus d’Afrique, terre d’asile des Français fuyant la révolution de St Domingue, l’île Du Caïman est le creuset de mille métissages. Son histoire singulière, pré et post révolutionnaire, ainsi que le foisonnement de ses formes musicales, fascinent, particulièrement depuis le revival spectaculaire de la dernière décennie.
La collection Cuban Pearls propose un clin d’œil particulier sur la vitalité des orchestres et la créativité des interprètes des années 40-50, à travers une série de sons, danzones, chachacha et autres avatars magnifiques, arrivés à cette période dans le port de Dakar part l’intermédiaire des marins cubains.
La collection Cuban Pearls propose un clin d’œil particulier sur la vitalité des orchestres et la créativité des interprètes des années 40-50, à travers une série de sons, danzones, chachacha et autres avatars magnifiques, arrivés à cette période dans le port de Dakar part l’intermédiaire des marins cubains.
VOL 1 Una noche en la Habana
De Enrique Jorrin, le créateur du chachacha, à la sonora Mantancera, qui acceuillera Celia Cruz, en passant par Fajardo et l’Orquesta Sensacion, un pannel des plus grandes charangas et autres ensembles qui faisaient danser les Clubs en vogue de l’Hollywood tropical qu’était le Cuba des années 50.
VOL 2 Soneros de ayer y de hoy
Père de la salsa newyorkaise et mémoire africaine à Cuba, le « son », genre rural aux multiples facettes, est une matrice qui a essaimé dans un nombre incomparable de styles. Son-montuno, guaracha, danzons teintés de formes anciennes comme le punto ou le changui,.. avec Celina Gonzalez, Beny Moré (ou son concurrent blanc Roberto Faz), voici un hommage aux grandes voix de soneros, typique d’un Cuba originel.
VOL 3 Asi bailaba Cuba
Dans les années 40 et 50, le Cuba était considéré comme le must de l’exotisme absolu, les casinos et Clubs tels le Pennsylvania, le Rumba Palace, le Tropicana, le Zombie, le Sherazade, le « Montmartre » situés à la plage de Marianao ou à La Rampa, étaient le lieu de tous les rêves. Le futile y côtoyaient une vive ségrégation. De l’Aragon à l’Estrella de Cuba, petit tour des immenses orchestres qui ont fait scintiller la Havane pré-révolutionnaire.
VOL 4 Latin Jazz, descargas y guajiras
De Bebo Valdes à Pepe Delgado des années 50, et de la sonora Matancera au très célèbre Cachao, un voyage explosif à travers les grandes descargas (littéralement « décharges », improvisations) historiques qui ont fait le génie de la musique cubaine des années 50.
De Enrique Jorrin, le créateur du chachacha, à la sonora Mantancera, qui acceuillera Celia Cruz, en passant par Fajardo et l’Orquesta Sensacion, un pannel des plus grandes charangas et autres ensembles qui faisaient danser les Clubs en vogue de l’Hollywood tropical qu’était le Cuba des années 50.
VOL 2 Soneros de ayer y de hoy
Père de la salsa newyorkaise et mémoire africaine à Cuba, le « son », genre rural aux multiples facettes, est une matrice qui a essaimé dans un nombre incomparable de styles. Son-montuno, guaracha, danzons teintés de formes anciennes comme le punto ou le changui,.. avec Celina Gonzalez, Beny Moré (ou son concurrent blanc Roberto Faz), voici un hommage aux grandes voix de soneros, typique d’un Cuba originel.
VOL 3 Asi bailaba Cuba
Dans les années 40 et 50, le Cuba était considéré comme le must de l’exotisme absolu, les casinos et Clubs tels le Pennsylvania, le Rumba Palace, le Tropicana, le Zombie, le Sherazade, le « Montmartre » situés à la plage de Marianao ou à La Rampa, étaient le lieu de tous les rêves. Le futile y côtoyaient une vive ségrégation. De l’Aragon à l’Estrella de Cuba, petit tour des immenses orchestres qui ont fait scintiller la Havane pré-révolutionnaire.
VOL 4 Latin Jazz, descargas y guajiras
De Bebo Valdes à Pepe Delgado des années 50, et de la sonora Matancera au très célèbre Cachao, un voyage explosif à travers les grandes descargas (littéralement « décharges », improvisations) historiques qui ont fait le génie de la musique cubaine des années 50.
Sur les côtes sénégalaises
« C’est celui qui avait le plus de malles qui était le plus beau, celui qui emportait le morceau! On frimait avec nos découvertes, on se cotisait en mettant chacun 500 Frs CFA (5 francs), et on constituait des malles de vinyls qui faisaient danser au sein des Associations, ou de nos Clubs qui s’appelaient « Havana’s » ou « N.E.J. »... D’où venaient-ils ? Des coffres qui faisaient la traversée et débarquaient grâce aux marins cubains et africains engagés sur les cargos américains. Çà a commencé dans les années 40. On roulait des mécaniques, chacun préservait l’exclusivité de sa trouvaille en décollant les références sur les disques … (1) »... Avec ces trésors afro-cubains venus d’Outre-Atlantique, échoués sur les côtes africaines, c’est tout un pan de l’histoire de la musique africaine qui s’est vu « cubanisé ». Le jeu d’allers-retours n’est pas des moindres puisque sur trois siècles, pas moins d’un milliers d’Africains, avaient été déportés du Dahomey de l’époque et d’une vaste zone allant jusqu’au Congo et Angola actuels. Ils ont marqué les origines de ces sons, notamment à travers les rites Yorubas et Congos (ou Bantous) que l’on retrouve dans le panthéon de la santería et qui constellent les références religieuses et musicales à Cuba. Pas étonnant que le jeu de boomerang ait facilité de la plus belle des manières, l’adaptation, par les Sénégalais, à ces influences extérieures mais cousines et que ceux-ci soient devenus par la suite des vedettes d’orchestres… cubains ! Ils ont été d’abord entretenus par le gouvernement sénégalais (sur le modèle guinéen), puis privatisés sous la pression des « politiques d’ajustement structurel » imposées. Dès les années 40, le port de Dakar, comme ceux de Brazzaville ou de Leopoldville, future Kinshasa au Congo, a été envahi par ce son « afrocubain ». Les marins embarquaient avec leurs petits orchestres et vendaient leurs 78 T estampillés « GV » ou plus tard leur LP 33T, des firmes RCA Victor records, Maype, Panart records, Ansonia, Carino, ou encore Sirena. Comme le racontent Gérald Arnaud et Henri Lecomte, dans l’ouvrage Musiques de toutes les Afriques, « Au Miami, la boite en vogue qui va supplanter le Moulin Rouge, l’orchestre-maison (le Guinea Jazz d’Amara Touré puis le Tropical Jazz de Mady Konaté, lui même devenu Star band en 1960 à l’occasion des fêtes de l’indépendance), les meilleurs chanteurs locaux sont sommés d’interpréter, en Espagnol, sans en comprendre un traître mot, les derniers succès du Mambo, de la Pachanga, puis de la Salsa ». C’est dans cette lignée que le « sonero » Laba Sosseh a émergé, héraut de la musique afro-cubaine dans toute la zone avec ses orchestres Super Star ou vedettes band. C’est lui toujours qui fera partie dans les années 90 des meilleurs solistes d’Africando. Au Miami Club de Dakar, quelques années plus tard - dans les années 60- va se forger une synthèse singulière de mélodies afro-cubaines, de rythmes wolofs et d’influences mandingues, avec l’orchestre Baobab. C’est dire l’importance du jeu de mémoire, de cet archivage singulier, qui exhume tout un pan des migrations musicales des années 40 aux indépendances -« Indépendance Cha Cha » bien sur, d’après la chanson de Joseph Kabasele (1930-1982) et de son orchestre African Jazz qui fera danser l’Afrique des années 60. Quelle se nomme Danzon, guaracha, ou chacha, l’influence cubaine, avec son origine du son des campagnes aura clairement servi de ciment musical vers l’émergence d’une musique « panafricaine », qui rayonne jusqu'à la rumba congolaise.
(1) Extrait d’interview d’Ibrahim Sylla, réalisé pat E.Honorin
A Cuba…
à l’extrême Est, à quelque mille kilomètres de la Havane…
Dans la province de l’Oriente adossée aux contreforts de la mythique chaîne de montagne, la Sierra Maestra, s’était forgé fin 19eme, un véritable manifeste sonore du syncrétisme cubain. Le « son » est une musique de tradition familiale, un agencement dévergondé et savant d’éléments africains et espagnols. La base à l’origine, portée par des instruments rudimentaires (cruches), tambours et guitare à trois cordes (le très), s’est enrichie d’une pulsation de la vie quotidienne : harangues cadencées des vendeurs de cacahuètes sur les marchés (« el manisero »), adresses amoureuses, phrasés improvisés (les montuno) basés sur des annonces rurales publiques, ainsi qu’un répertoire très riche de chansons de troubadours (trova). Souvent chanté par des hommes, ce son est viscéralement arrimé à sa colonne vertébrale : le « cinquillo », un rythme qui serpente dans toute l’Amérique latine, immédiatement identifiable par son temps « en l’air ». Le Son est toujours pimpant, plus qu’il a connu un revival spectaculaire dans la dernière décennie grâce notamment au charme pittoresque de Compay Segundo, nonagénaire papi qui a contribué à sa renaissance en Europe. Il peut aujourd’hui avoir la grâce naïve d’une réunion familiale (avec la musique héritée du changui des Valera Miranda), le timbre guttural du cow boy cubain Eliades Ochoa, la couleur passée des murs de la ville de son berceau Santiago, (los guanches, la vieja trova), ou interprété par les fanfares (qui, par l’intermédiaire de l’armée, l’apportérent à La Havane dès 1909), il peut aussi avoir le charme d’un office désuet (La banda de Santiago).
Ce « son » aux multiples visages est une matrice qui aura un rejeton tonique et excentrique, après la révolution cubaine : la « sauce », la « salsa ». Née elle, avec les cousins partis en exil à New York, elle lui fera de l’ombre mais n’oubliera cependant jamais ses pères.
Des contreforts de la Sierra Maestra aux Casinos de l’Hollywood Tropical.
Les musiques hautement syncrétiques, toutes dérivées de cette colonne vertébrale du son rural, qui allaient être nommée plus tard, guaracha, guaracha-son, puis chacha ou mambos, allaient trouvaient leurs origines dans la rencontre de ce puissant son avec les danses de salon. Nées d'une cuisine marinée sur les plantations coloniales, ces danses aux visages plus ou moins nègres ou plus ou moins blanchis, descendent de ces "honnêtes figures de danses de cour(...) qui n'eut pas les honneurs de Versailles et que dédaignèrent les Destouches et les Campra" (A. Carpentier), mais qui survécurent créolisées, tropicalisées dans les îles. Le menuet, fleuron de l'aristocratie cubaine, popularisé plus tard par l'arrivée des "français" - anciens colons avec leurs esclaves en fuite venus de St Domingue avec leurs gavotte, leurs passe-pied - mais surtout la Contredanse, vite muée en contradanza cubana - furent cultivés par tous les compositeurs créoles du 19ème. Cette contredanse était selon Alejo Carpentier, le premier genre musical de l'île " capable de subir avec succès l'épreuve de l'exportation". C'est de l’évolution de ses formes en 6/8 que naquîrent la criolla, la guajira et de ses rythmes en 2/4, la danza, la habanera et le danzon. Ce dernier marquant définitivement le passage de la « danse à figure » à la danse de couple, enlacée. On datera de 1879, le premier Danzon « la Alturas de Simpson », dont le père Miguel Failde, marquera définitivement la région de Matanzas comme le berceau du genre.
La digestion du son par les formes urbaines
Pendant quelques années après l’abolition de l’esclavage (1882-1886) et l’indépendance (1898), les noirs, esclaves (car le commerce illégal des noirs continua) ou libres n’étaient pas admis dans les salons ou clubs, réservés à la clientèle blanche. Ils créent des regroupements de danseurs, et entre 1909 et 1925, naissent les « agrupaciones de son ». Le son est bel et bien à la Havane, et pour survivre, il va bien falloir digérer ce rythme contagieux, capable de reléguer à l’arrière-cour la délicatesse des formules du danzon de salon … Dès son apparition, il connut un énorme succès. Et, bien « qu’il ne fut pas toujours bien venu par la haute société de la Havane qui, a plusieurs reprises, demanda à la justice d’intervenir pour arrêter les gens qui « dansaient l’immorale danse du « son » », comme le raconte Saul Escalona, les orchestres de danzon, commencèrent à intégrer la forme de plus en plus irrésistible. Le danzon du célèbre compositeur Antonio Maria Romeu « Tres lindas cubanas », (ici interprété par l’orquestre Sensación CD2, 16), qui n’est autre qu’une nouvelle version du son éponyme qui date de 1926, est considéré comme le pionnier d’un genre à inaugurer le solo de piano. L’audience des groupes comme le sexteto Habanero (crée en 1920 transformé plus tard en septeto Habanero) devient de plus en plus importante et explose grâce à l’arrivée de la radio à Cuba (dès 1922). A cette époque – particulièrement sous le second mandat de Machado, de 1928 à 1933- les touristes venus savourer les plaisirs de l’île remplissaient les théâtres, casinos et clubs de la Havane. Faut-il le rappeler, dans les années là, Cuba était considéré comme le must de l’exotisme absolu, le lieu de tous les rêves et tous les espoirs, où les casinos et Clubs tels le Pennsylvania, le Rumba Palace, le Tropicana, le Zombie, le Sherazade, le Montmartre situés à la plage de Marianao ou à La Rampa, principale avenue du quartier du vedado, entre le Palace Habana libre et la mer, scintillaient de tous leurs feux. C’est un vivier musical particulier, le lieu de l’invention de formes où le divertissement et le futile côtoient les conditions de vie difficiles et la ségrégation. L’essentiel du public étant constitué par les touristes (américains et européens) et la haute société « blanche » cubaine. C’est dans ce contexte que mûrissent les charangas, adaptées à des formats différents : des shows dans les revues, comme au Sans-soucis ou au Théatre Marti avec la revue Noire « Batamu », les Brasseries, les cafés. Ou encore les clubs « academias de baile » où naissent de nombreuses « descargas » (improvisations, littéralement « décharges ») qui feront le bonheur des firmes discographiques de l’époque.
« Una noche en la Havana »
A base de deux violons, une flûte, des congas, des timbales, un guiro (calebasse frottée), une contrebasse, un piano, et, bien sur, un chanteur, les charangas, point d’orgue de l’âge d’or du Cuba des années 40-50, sont des formations qui se spécialisent dans le danzon, puis ses formes dérivées danzon-cha, bolero-cha et cha-cha et mambos. Leurs structures offre une grande liberté aux musiciens et laisse le champ libre au soliste.
Enrique Jorrin (CD 1, 14, 24) est celui à qui on attribue le premier avatar du danzon classique, qui n’est autre que le chachacha. Ce fils de tailleur clarinettiste de Pinar el Rio, région des grandes plantations de café, à l’Ouest de l’île, vint avec sa famille à la Havane dans les années 30. Il y apprend à jouer du violon vers onze ans et entre au conservatoire municipal Felix-Arpiza (aujourd’hui le célèbre Amadeo Roldàn). Passé par plusieurs formations, il entre en 1946, dans l’Orquesta America (CD1, 15, 22 et CD 2, 4), une Charanga créée en 1942 par Ninon Mondejar. C’est là pour lui le lieu de l’expérimentation - spécifiquement sur la dernière partie des morceaux-, véritable laboratoire, où il formentera le genre. Dans une passionnante série d’entretiens en 1982, avec la musicologue Maya Roy, Enrique Jorrin raconte comment s’est élaboré le doux glissement « chchch… » à partir du bruit des semelles sur le parquet des danseurs qui cherchaient à retomber sur le bon rythme, jusqu’au « chachacha » :« Dans l’orchestre, nous avons commencé à modifier l’accentuation rythmique du danzon syncopé en recentrant le temps fort sur le premier temps de la mesure et en introduisant deux demi-croches qui se résolvent sur une croche : un, deux, un-deux-trois. Le cha-cha se danse sur le temps (…). Les danseurs ont commencé à accentuer cette cadence nouvelle, le salon était grand et ils marquaient tous ensemble cette cellule spéciale cha-cha-cha, on entendait leurs semelles qui frottaient le sol en rythme ; et j’ai rendu cette sonorité par l’onomatopée cha-cha-cha ». (in Maya Roy, Musiques Cubaines). Mais une polémique si importante s’engagera sur l’exacte paternité du « le baile sin egual » (la danse qui n’a pas son pareil), le chachacha, qu’elle ira jusqu'à scinder le groupe, et Jorrin formera en 1954 son propre ensemble. L’orquesta América (CD2-4/CD1,15-22), lui continuera sa route, se rebaptisant Orquesta America del 55. Quoi qu’il en soit, avec la Enganadora (« la femme trompeuse »), son œuvre emblématique, Jorrin sera considérée comme le créateur et inventeur du genre. La recette fera des petits, et des grands : un nombre inoui des musiciens se rapproche des charangas pour interpréter des chachachas. C’est l’explosion des divers orchestres comme Jovenes Estrellas, ou le Super Colossol dans la lignée de l’America, ou encore l’Orquesta Sublime, alliant chachacha et guaracha (chant à textes satiriques, souvent hérités de l’Opéra Bouffe) (CD1, 9 et 23). La figured’Arsenio Rodríguez (CD 2, 22, El Divorcio), nommée “el cieguito maravilloso” en raison de sa cécité, occupe une place à part. Avec trois trompettes, une conga et un piano, il donne le ton des conjuntos. Nombre de ses émules deviendront célèbres. Il créera d’ailleurs un rythme “el diablo”, qui annoncera la vague du Mambo. Certaines de ses compositions perpétuent une particularité de la mémoire: l’héritage bantou transmis par son grand-père, ancien esclave, qui donnera de véritables manifestes noirs avec des phrases en langue congo. En 1950, il laissera son Orchestre au célèbre Felix Chapotin, avant de s’exiler aux Etats-unis. Dans la lignée du conjunto d’Arsenio Rodríguez, la Sonora Matancera (CD 2, 21 et 26) sera un des ensemble de sontrès influent, grâce à la présence de nombreux chanteurs charismatiques, et notamment de Celia Cruz, dans les années 50. Figure centrale des cabarets « Montmartre » et « Tropicana », ou du Super Club « El Caribe » de l’Hôtel Habana-Hilton. José Fajardo (CD1,1 – CD1,21) était connu comme un des flûtistes les plus populaires. Son orchestre Fajardo y sus Estrellas, fondé en 1949, était très plébicité. Il est le premier orchestre cubain a avoir été sélectionné pour jouer dans les salons du très célèbre – à l’époque- Hotel Waldorf Astoria, à New York, chorégraphiant de manière spectaculaire ses « shows ». Il a été aussi le premier musicien cubain à quitter l’île pour s’établir aux USA. Comme celui de Julio Valdes (CD1, 13), l’Orchestre Sublime (CD 1, 9 et 23) et nombreux autres, celui de Fajardo aura été un grand interprète de la musique du poête, littéraire, Eduardo Davidson. Grand auteur du folklore cubain, né à Matanzas (berceau du danzon), ce dernier sera le créateur de la Pachanga (CD2,7). Son aura débordera largement les frontières de l’île, puisque le rythme sera un des plus écoutés, dans les années 60, à New York et dans toutes les Caraïbes. Belisario López (CD1, 3)a fondé son Orquesta en 1929. Considéré comme un des meilleurs interprètes du genre, par le public qui acclamait sa « charanga très professionnelle », il a été couronné pour ses improvisations spectaculaires à la flûte et aux violons.
L’Aragon est une véritable institution. L’orchestre à la longévité particulière, puisqu’il a refait surface dans les années 90 en Europe, s’est constitué en 1939 à Cienfuegos par le contre bassiste Orestes Aragón. D’abord baptisé la Rítmica Aragón, et victime de nombreux changements - à commencer le décès d’Aragon en 1948 et l’arrivée de Rafael Lay qui le succède- l’orquesta a beaucoup influencé les artistes latino-américains des années 50. La flûte a pris avec eux un essor particulier. L’Aragon, comme le souligne Jeanne Brody (Libération, septembre 1983) est « ce son à la fois ample, savoureux sans jamais être douceâtre. Chez Aragón, le feu et la grâce le piquant et le précis jouent en quatuor. Tout est d’une simplicité et d’une netteté absolues. C’est ce que Richard Eguës appelle leur « timbre collectif ». Tout contribue à le créer : la flûte « cool », la balance, legato des violons et l’aigu nerveux de la timbale. »
Un bestiaire singulier
Que ce soit dans les guarachas, dans les sons , ou évidemment dans les guajiras, genre rural par excellence, le texte est le lieu de toutes les imaginations. Autant au sein de « Ritmo de pollo » (cd 1/21) interprété par Fajardo, que de « yo quiero guarachar » (cd 1/10) où l’Orquestra Almendra invective une crevette, en lui priant d’avancer, le développement d’un bestiaire unique, entre dans le cadre un vaste hommage à la terre féconde, ou à la mère-patrie : un monde habité de créatures surréalistes, de Dieux de l’Olympe, de Voix lactées et d’éléments surnaturels. Les codes et double-sens renvoient souvent aux créatures antiques, aux références culinaires (CD 1, ?) « bacaloa con papa » « morue avec pomme de terre, ou au travail des champs. Avec leurs voix nasales typiques de soneros, les chanteurs de l’Orquesta Sensacion, lorsqu’ils dialoguent, ou chorus « chupa la cana negra » puis « cupa la » (Tiene Sabor cd 1/6), donnent un hommage emblématique à la condition des travailleurs des plantations dans les champs de canne à sucre. Fondée par le timbalero Rolando Valdés en 1953 à l’instigation des musiciens Chuchú Esquijarrosa, Eloy Martinez et Miguel Santa Cruz, qui accompagne Abelardo Barroso. Sensacion (CD1, 25 - CD2, - CD1, 6 - CD2, 16) est un ensemble singulier et les chanteurs Dandy Beltrán, Elpidio Piedra et Cheo Marquetti contribueront à son panache.
El Carretero, la guajira lente du Cienfueguero Guillermo Portabales, connue de tous à Cuba est tout aussi emblématique du monde paysan: « Triste vida la del carretero/ Que anda por esos cañaverales/ Sabiendo que su vida es un destierro… » (Quelle triste vie du carretero/ Qui erre dans les champs de canne/ En sachant que sa vie est un exil..). Elle est interprétée ici par l’Aragon sous le titre “Al Vaivén de mi Carreta” (CD 1, 4).
Bibliographie
Alejo Carpentier, la musique à Cuba.Folio
Saul Escalona dans son ouvrage La Salsa (L’Harmattan).
Maya Roy, Musiques Cubaines, cité de la Musique/Acte sud
Isabelle Leymarie, Cuba Fire, Outre Mesure.
François Xavier Gomez, Les musiques cubaines.Librio
Helio Orovio, la musica en Cuba. Letras cubanas. La habana
G.Arnaud et H.Lecomte, Musiques de toutes les Afriques. Flammarion
« C’est celui qui avait le plus de malles qui était le plus beau, celui qui emportait le morceau! On frimait avec nos découvertes, on se cotisait en mettant chacun 500 Frs CFA (5 francs), et on constituait des malles de vinyls qui faisaient danser au sein des Associations, ou de nos Clubs qui s’appelaient « Havana’s » ou « N.E.J. »... D’où venaient-ils ? Des coffres qui faisaient la traversée et débarquaient grâce aux marins cubains et africains engagés sur les cargos américains. Çà a commencé dans les années 40. On roulait des mécaniques, chacun préservait l’exclusivité de sa trouvaille en décollant les références sur les disques … (1) »... Avec ces trésors afro-cubains venus d’Outre-Atlantique, échoués sur les côtes africaines, c’est tout un pan de l’histoire de la musique africaine qui s’est vu « cubanisé ». Le jeu d’allers-retours n’est pas des moindres puisque sur trois siècles, pas moins d’un milliers d’Africains, avaient été déportés du Dahomey de l’époque et d’une vaste zone allant jusqu’au Congo et Angola actuels. Ils ont marqué les origines de ces sons, notamment à travers les rites Yorubas et Congos (ou Bantous) que l’on retrouve dans le panthéon de la santería et qui constellent les références religieuses et musicales à Cuba. Pas étonnant que le jeu de boomerang ait facilité de la plus belle des manières, l’adaptation, par les Sénégalais, à ces influences extérieures mais cousines et que ceux-ci soient devenus par la suite des vedettes d’orchestres… cubains ! Ils ont été d’abord entretenus par le gouvernement sénégalais (sur le modèle guinéen), puis privatisés sous la pression des « politiques d’ajustement structurel » imposées. Dès les années 40, le port de Dakar, comme ceux de Brazzaville ou de Leopoldville, future Kinshasa au Congo, a été envahi par ce son « afrocubain ». Les marins embarquaient avec leurs petits orchestres et vendaient leurs 78 T estampillés « GV » ou plus tard leur LP 33T, des firmes RCA Victor records, Maype, Panart records, Ansonia, Carino, ou encore Sirena. Comme le racontent Gérald Arnaud et Henri Lecomte, dans l’ouvrage Musiques de toutes les Afriques, « Au Miami, la boite en vogue qui va supplanter le Moulin Rouge, l’orchestre-maison (le Guinea Jazz d’Amara Touré puis le Tropical Jazz de Mady Konaté, lui même devenu Star band en 1960 à l’occasion des fêtes de l’indépendance), les meilleurs chanteurs locaux sont sommés d’interpréter, en Espagnol, sans en comprendre un traître mot, les derniers succès du Mambo, de la Pachanga, puis de la Salsa ». C’est dans cette lignée que le « sonero » Laba Sosseh a émergé, héraut de la musique afro-cubaine dans toute la zone avec ses orchestres Super Star ou vedettes band. C’est lui toujours qui fera partie dans les années 90 des meilleurs solistes d’Africando. Au Miami Club de Dakar, quelques années plus tard - dans les années 60- va se forger une synthèse singulière de mélodies afro-cubaines, de rythmes wolofs et d’influences mandingues, avec l’orchestre Baobab. C’est dire l’importance du jeu de mémoire, de cet archivage singulier, qui exhume tout un pan des migrations musicales des années 40 aux indépendances -« Indépendance Cha Cha » bien sur, d’après la chanson de Joseph Kabasele (1930-1982) et de son orchestre African Jazz qui fera danser l’Afrique des années 60. Quelle se nomme Danzon, guaracha, ou chacha, l’influence cubaine, avec son origine du son des campagnes aura clairement servi de ciment musical vers l’émergence d’une musique « panafricaine », qui rayonne jusqu'à la rumba congolaise.
(1) Extrait d’interview d’Ibrahim Sylla, réalisé pat E.Honorin
A Cuba…
à l’extrême Est, à quelque mille kilomètres de la Havane…
Dans la province de l’Oriente adossée aux contreforts de la mythique chaîne de montagne, la Sierra Maestra, s’était forgé fin 19eme, un véritable manifeste sonore du syncrétisme cubain. Le « son » est une musique de tradition familiale, un agencement dévergondé et savant d’éléments africains et espagnols. La base à l’origine, portée par des instruments rudimentaires (cruches), tambours et guitare à trois cordes (le très), s’est enrichie d’une pulsation de la vie quotidienne : harangues cadencées des vendeurs de cacahuètes sur les marchés (« el manisero »), adresses amoureuses, phrasés improvisés (les montuno) basés sur des annonces rurales publiques, ainsi qu’un répertoire très riche de chansons de troubadours (trova). Souvent chanté par des hommes, ce son est viscéralement arrimé à sa colonne vertébrale : le « cinquillo », un rythme qui serpente dans toute l’Amérique latine, immédiatement identifiable par son temps « en l’air ». Le Son est toujours pimpant, plus qu’il a connu un revival spectaculaire dans la dernière décennie grâce notamment au charme pittoresque de Compay Segundo, nonagénaire papi qui a contribué à sa renaissance en Europe. Il peut aujourd’hui avoir la grâce naïve d’une réunion familiale (avec la musique héritée du changui des Valera Miranda), le timbre guttural du cow boy cubain Eliades Ochoa, la couleur passée des murs de la ville de son berceau Santiago, (los guanches, la vieja trova), ou interprété par les fanfares (qui, par l’intermédiaire de l’armée, l’apportérent à La Havane dès 1909), il peut aussi avoir le charme d’un office désuet (La banda de Santiago).
Ce « son » aux multiples visages est une matrice qui aura un rejeton tonique et excentrique, après la révolution cubaine : la « sauce », la « salsa ». Née elle, avec les cousins partis en exil à New York, elle lui fera de l’ombre mais n’oubliera cependant jamais ses pères.
Des contreforts de la Sierra Maestra aux Casinos de l’Hollywood Tropical.
Les musiques hautement syncrétiques, toutes dérivées de cette colonne vertébrale du son rural, qui allaient être nommée plus tard, guaracha, guaracha-son, puis chacha ou mambos, allaient trouvaient leurs origines dans la rencontre de ce puissant son avec les danses de salon. Nées d'une cuisine marinée sur les plantations coloniales, ces danses aux visages plus ou moins nègres ou plus ou moins blanchis, descendent de ces "honnêtes figures de danses de cour(...) qui n'eut pas les honneurs de Versailles et que dédaignèrent les Destouches et les Campra" (A. Carpentier), mais qui survécurent créolisées, tropicalisées dans les îles. Le menuet, fleuron de l'aristocratie cubaine, popularisé plus tard par l'arrivée des "français" - anciens colons avec leurs esclaves en fuite venus de St Domingue avec leurs gavotte, leurs passe-pied - mais surtout la Contredanse, vite muée en contradanza cubana - furent cultivés par tous les compositeurs créoles du 19ème. Cette contredanse était selon Alejo Carpentier, le premier genre musical de l'île " capable de subir avec succès l'épreuve de l'exportation". C'est de l’évolution de ses formes en 6/8 que naquîrent la criolla, la guajira et de ses rythmes en 2/4, la danza, la habanera et le danzon. Ce dernier marquant définitivement le passage de la « danse à figure » à la danse de couple, enlacée. On datera de 1879, le premier Danzon « la Alturas de Simpson », dont le père Miguel Failde, marquera définitivement la région de Matanzas comme le berceau du genre.
La digestion du son par les formes urbaines
Pendant quelques années après l’abolition de l’esclavage (1882-1886) et l’indépendance (1898), les noirs, esclaves (car le commerce illégal des noirs continua) ou libres n’étaient pas admis dans les salons ou clubs, réservés à la clientèle blanche. Ils créent des regroupements de danseurs, et entre 1909 et 1925, naissent les « agrupaciones de son ». Le son est bel et bien à la Havane, et pour survivre, il va bien falloir digérer ce rythme contagieux, capable de reléguer à l’arrière-cour la délicatesse des formules du danzon de salon … Dès son apparition, il connut un énorme succès. Et, bien « qu’il ne fut pas toujours bien venu par la haute société de la Havane qui, a plusieurs reprises, demanda à la justice d’intervenir pour arrêter les gens qui « dansaient l’immorale danse du « son » », comme le raconte Saul Escalona, les orchestres de danzon, commencèrent à intégrer la forme de plus en plus irrésistible. Le danzon du célèbre compositeur Antonio Maria Romeu « Tres lindas cubanas », (ici interprété par l’orquestre Sensación CD2, 16), qui n’est autre qu’une nouvelle version du son éponyme qui date de 1926, est considéré comme le pionnier d’un genre à inaugurer le solo de piano. L’audience des groupes comme le sexteto Habanero (crée en 1920 transformé plus tard en septeto Habanero) devient de plus en plus importante et explose grâce à l’arrivée de la radio à Cuba (dès 1922). A cette époque – particulièrement sous le second mandat de Machado, de 1928 à 1933- les touristes venus savourer les plaisirs de l’île remplissaient les théâtres, casinos et clubs de la Havane. Faut-il le rappeler, dans les années là, Cuba était considéré comme le must de l’exotisme absolu, le lieu de tous les rêves et tous les espoirs, où les casinos et Clubs tels le Pennsylvania, le Rumba Palace, le Tropicana, le Zombie, le Sherazade, le Montmartre situés à la plage de Marianao ou à La Rampa, principale avenue du quartier du vedado, entre le Palace Habana libre et la mer, scintillaient de tous leurs feux. C’est un vivier musical particulier, le lieu de l’invention de formes où le divertissement et le futile côtoient les conditions de vie difficiles et la ségrégation. L’essentiel du public étant constitué par les touristes (américains et européens) et la haute société « blanche » cubaine. C’est dans ce contexte que mûrissent les charangas, adaptées à des formats différents : des shows dans les revues, comme au Sans-soucis ou au Théatre Marti avec la revue Noire « Batamu », les Brasseries, les cafés. Ou encore les clubs « academias de baile » où naissent de nombreuses « descargas » (improvisations, littéralement « décharges ») qui feront le bonheur des firmes discographiques de l’époque.
« Una noche en la Havana »
A base de deux violons, une flûte, des congas, des timbales, un guiro (calebasse frottée), une contrebasse, un piano, et, bien sur, un chanteur, les charangas, point d’orgue de l’âge d’or du Cuba des années 40-50, sont des formations qui se spécialisent dans le danzon, puis ses formes dérivées danzon-cha, bolero-cha et cha-cha et mambos. Leurs structures offre une grande liberté aux musiciens et laisse le champ libre au soliste.
Enrique Jorrin (CD 1, 14, 24) est celui à qui on attribue le premier avatar du danzon classique, qui n’est autre que le chachacha. Ce fils de tailleur clarinettiste de Pinar el Rio, région des grandes plantations de café, à l’Ouest de l’île, vint avec sa famille à la Havane dans les années 30. Il y apprend à jouer du violon vers onze ans et entre au conservatoire municipal Felix-Arpiza (aujourd’hui le célèbre Amadeo Roldàn). Passé par plusieurs formations, il entre en 1946, dans l’Orquesta America (CD1, 15, 22 et CD 2, 4), une Charanga créée en 1942 par Ninon Mondejar. C’est là pour lui le lieu de l’expérimentation - spécifiquement sur la dernière partie des morceaux-, véritable laboratoire, où il formentera le genre. Dans une passionnante série d’entretiens en 1982, avec la musicologue Maya Roy, Enrique Jorrin raconte comment s’est élaboré le doux glissement « chchch… » à partir du bruit des semelles sur le parquet des danseurs qui cherchaient à retomber sur le bon rythme, jusqu’au « chachacha » :« Dans l’orchestre, nous avons commencé à modifier l’accentuation rythmique du danzon syncopé en recentrant le temps fort sur le premier temps de la mesure et en introduisant deux demi-croches qui se résolvent sur une croche : un, deux, un-deux-trois. Le cha-cha se danse sur le temps (…). Les danseurs ont commencé à accentuer cette cadence nouvelle, le salon était grand et ils marquaient tous ensemble cette cellule spéciale cha-cha-cha, on entendait leurs semelles qui frottaient le sol en rythme ; et j’ai rendu cette sonorité par l’onomatopée cha-cha-cha ». (in Maya Roy, Musiques Cubaines). Mais une polémique si importante s’engagera sur l’exacte paternité du « le baile sin egual » (la danse qui n’a pas son pareil), le chachacha, qu’elle ira jusqu'à scinder le groupe, et Jorrin formera en 1954 son propre ensemble. L’orquesta América (CD2-4/CD1,15-22), lui continuera sa route, se rebaptisant Orquesta America del 55. Quoi qu’il en soit, avec la Enganadora (« la femme trompeuse »), son œuvre emblématique, Jorrin sera considérée comme le créateur et inventeur du genre. La recette fera des petits, et des grands : un nombre inoui des musiciens se rapproche des charangas pour interpréter des chachachas. C’est l’explosion des divers orchestres comme Jovenes Estrellas, ou le Super Colossol dans la lignée de l’America, ou encore l’Orquesta Sublime, alliant chachacha et guaracha (chant à textes satiriques, souvent hérités de l’Opéra Bouffe) (CD1, 9 et 23). La figured’Arsenio Rodríguez (CD 2, 22, El Divorcio), nommée “el cieguito maravilloso” en raison de sa cécité, occupe une place à part. Avec trois trompettes, une conga et un piano, il donne le ton des conjuntos. Nombre de ses émules deviendront célèbres. Il créera d’ailleurs un rythme “el diablo”, qui annoncera la vague du Mambo. Certaines de ses compositions perpétuent une particularité de la mémoire: l’héritage bantou transmis par son grand-père, ancien esclave, qui donnera de véritables manifestes noirs avec des phrases en langue congo. En 1950, il laissera son Orchestre au célèbre Felix Chapotin, avant de s’exiler aux Etats-unis. Dans la lignée du conjunto d’Arsenio Rodríguez, la Sonora Matancera (CD 2, 21 et 26) sera un des ensemble de sontrès influent, grâce à la présence de nombreux chanteurs charismatiques, et notamment de Celia Cruz, dans les années 50. Figure centrale des cabarets « Montmartre » et « Tropicana », ou du Super Club « El Caribe » de l’Hôtel Habana-Hilton. José Fajardo (CD1,1 – CD1,21) était connu comme un des flûtistes les plus populaires. Son orchestre Fajardo y sus Estrellas, fondé en 1949, était très plébicité. Il est le premier orchestre cubain a avoir été sélectionné pour jouer dans les salons du très célèbre – à l’époque- Hotel Waldorf Astoria, à New York, chorégraphiant de manière spectaculaire ses « shows ». Il a été aussi le premier musicien cubain à quitter l’île pour s’établir aux USA. Comme celui de Julio Valdes (CD1, 13), l’Orchestre Sublime (CD 1, 9 et 23) et nombreux autres, celui de Fajardo aura été un grand interprète de la musique du poête, littéraire, Eduardo Davidson. Grand auteur du folklore cubain, né à Matanzas (berceau du danzon), ce dernier sera le créateur de la Pachanga (CD2,7). Son aura débordera largement les frontières de l’île, puisque le rythme sera un des plus écoutés, dans les années 60, à New York et dans toutes les Caraïbes. Belisario López (CD1, 3)a fondé son Orquesta en 1929. Considéré comme un des meilleurs interprètes du genre, par le public qui acclamait sa « charanga très professionnelle », il a été couronné pour ses improvisations spectaculaires à la flûte et aux violons.
L’Aragon est une véritable institution. L’orchestre à la longévité particulière, puisqu’il a refait surface dans les années 90 en Europe, s’est constitué en 1939 à Cienfuegos par le contre bassiste Orestes Aragón. D’abord baptisé la Rítmica Aragón, et victime de nombreux changements - à commencer le décès d’Aragon en 1948 et l’arrivée de Rafael Lay qui le succède- l’orquesta a beaucoup influencé les artistes latino-américains des années 50. La flûte a pris avec eux un essor particulier. L’Aragon, comme le souligne Jeanne Brody (Libération, septembre 1983) est « ce son à la fois ample, savoureux sans jamais être douceâtre. Chez Aragón, le feu et la grâce le piquant et le précis jouent en quatuor. Tout est d’une simplicité et d’une netteté absolues. C’est ce que Richard Eguës appelle leur « timbre collectif ». Tout contribue à le créer : la flûte « cool », la balance, legato des violons et l’aigu nerveux de la timbale. »
Un bestiaire singulier
Que ce soit dans les guarachas, dans les sons , ou évidemment dans les guajiras, genre rural par excellence, le texte est le lieu de toutes les imaginations. Autant au sein de « Ritmo de pollo » (cd 1/21) interprété par Fajardo, que de « yo quiero guarachar » (cd 1/10) où l’Orquestra Almendra invective une crevette, en lui priant d’avancer, le développement d’un bestiaire unique, entre dans le cadre un vaste hommage à la terre féconde, ou à la mère-patrie : un monde habité de créatures surréalistes, de Dieux de l’Olympe, de Voix lactées et d’éléments surnaturels. Les codes et double-sens renvoient souvent aux créatures antiques, aux références culinaires (CD 1, ?) « bacaloa con papa » « morue avec pomme de terre, ou au travail des champs. Avec leurs voix nasales typiques de soneros, les chanteurs de l’Orquesta Sensacion, lorsqu’ils dialoguent, ou chorus « chupa la cana negra » puis « cupa la » (Tiene Sabor cd 1/6), donnent un hommage emblématique à la condition des travailleurs des plantations dans les champs de canne à sucre. Fondée par le timbalero Rolando Valdés en 1953 à l’instigation des musiciens Chuchú Esquijarrosa, Eloy Martinez et Miguel Santa Cruz, qui accompagne Abelardo Barroso. Sensacion (CD1, 25 - CD2, - CD1, 6 - CD2, 16) est un ensemble singulier et les chanteurs Dandy Beltrán, Elpidio Piedra et Cheo Marquetti contribueront à son panache.
El Carretero, la guajira lente du Cienfueguero Guillermo Portabales, connue de tous à Cuba est tout aussi emblématique du monde paysan: « Triste vida la del carretero/ Que anda por esos cañaverales/ Sabiendo que su vida es un destierro… » (Quelle triste vie du carretero/ Qui erre dans les champs de canne/ En sachant que sa vie est un exil..). Elle est interprétée ici par l’Aragon sous le titre “Al Vaivén de mi Carreta” (CD 1, 4).
Bibliographie
Alejo Carpentier, la musique à Cuba.Folio
Saul Escalona dans son ouvrage La Salsa (L’Harmattan).
Maya Roy, Musiques Cubaines, cité de la Musique/Acte sud
Isabelle Leymarie, Cuba Fire, Outre Mesure.
François Xavier Gomez, Les musiques cubaines.Librio
Helio Orovio, la musica en Cuba. Letras cubanas. La habana
G.Arnaud et H.Lecomte, Musiques de toutes les Afriques. Flammarion