Bonbon Vodou

Epopée Métèque
Sortie le 14 novembre 2025
Label: Heavenly Sweetness
Le troisième album de Bonbon Vodou (Oriane Lacaille et JereM Boucris), Épopée métèque, emprunte la route des exils, avec une orchestration foisonnante sur des textes en français, créole et gascon.
Le bonbon piment cache bien son jeu. Sous l’apparence inoffensive du beignet, l’amuse-bouche réunionnais cache des épices susceptibles de remettre les idées en place. Chez Bonbon Vodou, c’est pareil. Quoique les influences du duo chaloupent entre océan Indien et mer Méditerranée, le piquant perce sous la tendresse des chansons graciles souvent bercées au rythme du maloya. Et tandis qu’il se contenterait volontiers de la douceur émanant des personnalités qui le composent, il ne peut pas se détourner de la gravité que lui inspirent les nouvelles du monde. Ce contraste forme l’épaisseur de son troisième album, Épopée métèque dont le titre témoigne des sentiments paradoxaux qui l’imprègnent. Alors que l’épopée évoque les fresques mythologiques et les figures héroïques, on connait du métèque la connotation péjorative et sa réhabilitation dans la chanson de Georges Moustaki : « Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec et mes cheveux aux quatre vents… » Et tout conduit sur les routes de l’exil, qu’elles soient terrestres ou maritimes.

Bonbon Vodou est sur les routes depuis que la pochette de son premier album, African Discount (2018), montrait déjà Oriane Lacaille et JereM Boucris en train de gravir une dune avec d’énormes baluchons sur le dos. Ces deux-là ont beaucoup en commun, dont des questionnements liés aux exils constitutifs de leurs histoires familiales. Oriane est évidemment la fille de l’accordéoniste René Lacaille, artisan - avec Alain Péters et Danyèl Waro - du regain de la musique réunionnaise dans les années 1970, exilé volontaire depuis cinq décennies en métropole où il vient de fêter ses 70 ans de carrière ; alors que le père de JereM a connu un autre parcours puisque, de famille juive tunisienne, il avait 14 ans quand il a rallié la France à la fin du protectorat. Leurs vies sont tissées de ces exils paternels, dont ils ne cessent de démêler les imbrications intimes, et des autres exils, universels ceux-là, des femmes et des hommes fuyant la misère, les persécutions et les guerres. Déjà auteur de la pochette du deuxième album, Cimetière créole (2021), Hippolyte illustre aussi celle d’Épopée métèque (sur une photo de Fabien Tijou) : Oriane y porte un gilet de sauvetage et JereM une valise Air France, dans une mer où nagent un poulpe policier, un douanier cyclope, des musiciens comme des sirènes et des corps - dont celui d’un enfant - entre deux eaux, ainsi qu’un bateau qui ressemble beaucoup à l’Ocean Viking de SOS Méditerranée (une page du livret est consacrée aux actions de l’association avec un QR code pour orienter les donateurs). Parce qu’ils sont installés au bord de la Méditerranée, et parce que le drame qui s’y joue nous concerne tous, Oriane Lacaille et JereM embrassent cette cause symptomatique de nombreuses crises actuelles.

Le duo formé par Oriane Lacaille (chant, batterie, kayamb, roulèr, percussions, flûtes pygmées) et JereM Boucris (chant, guitare, cigar box, ukulélé) se compte désormais sur les cinq doigts de la main. Ces dernières années, leurs concerts ont régulièrement été donnés en quintette grâce au renfort d’un trio relevé, les Piment Piment que l’on retrouve partout sur Épopée métèque. Adeptes de la transe métissée, ils ont pour noms Yann-Lou Bertrand (chant, basse, flûte, trompette, kass kass), Roland Seilhes (chant, saxophones, clarinette, flûte) et Juliette Minvielle (chant, tuntun, guimbarde, pandeiro). Cette dernière, fille du « vocalchimiste » André Minvielle, ajoute le gascon de ses origines à la tambouille de créole et de français. Cérémonie du Piment Piment, chanson introductive déjà présente sur l’EP Afrodiziak (2024), fait d’ailleurs les présentations en citant, sur un rythme typique des Black Indians de la Nouvelle-Orléans, la « sauvagerie primitive du Béarn » (Juliette), le « zéphyr dans les anches du pied-noir blanc-bec » (Roland) et la « basse tribale et métisse de Panam » (Yann-Lou). L’album a été enregistré par Yoan Jauneaud au studio Kasbah créé par l’association Bouillon Cube sur un causse de l’arrière-pays héraultais. Un cadre inspirant et une production en circuit court, conformément aux convictions des Bonbon Vodou qui habitent non loin. Mixé par le sorcier Jean Lamoot, Épopée métèque foisonne de trouvailles orchestrales et de textes polyglottes, avec moult musiciens additionnels et invités, dont Bernard Lavilliers.

La rencontre remonte au festival Les Nuits de Champagne 2024. Bonbon Vodou avait interprété, en compagnie de 700 choristes collégiens, Les Mains d’or de Bernard Lavilliers. Lequel, présent, avait adoré. L’idée avait immédiatement germé d’un enregistrement commun, d’autant plus que cette chanson, présente sur l’album Arrêt sur image (2001), et écrite pour soutenir les ouvriers de l’industrie sidérurgique en crise, fait écho aux difficultés actuelles dans la filière réunionnaise de la canne à sucre. Elle se prêtait au rythme du maloya et ses paroles ont été partiellement adaptées en créole par Oriane Lacaille : « Mi voudré travayé ankor (J’voudrais travailler encore) / Alé koup la kann èk mon min an lor (Aller couper la canne avec mes mains d’or). » Autre invitée de marque, Rosemary Standley (Moriarty, Birds on a Wire) pose ensuite sa voix prégnante, immédiatement reconnaissable, sur Mélancolie. Avec ce maloya lent, Oriane Lacaille (auteure et compositrice) décrit sa relation avec le sentiment mélancolique dont elle chérit l’apparition renouvelée au cœur de ses nuits. Rosemary Standley illumine aussi L’Absence, composée par Oriane avec Bastien Lucas lors de la résidence Chansons Primeurs de l’iconoclaste Ignatus. Maloya enroulé de flûtes, ses paroles disent la transmission qui s’opère entre une mère et sa fille, même quand les tournées les éloignent trop souvent : « L’Absence est bien la plus forte / Des influences que l’on porte. »

Demerd Azot With That a été commandée par la CGT pour figurer sur la compilation fêtant les 130 ans du syndicat. Maloya croisé avec le blufunk de Keziah Jones, ses éclats de trompette et de trombone renvoient aux « orchestres en cuivre » réunionnais au début du siècle dernier. Avec Maya Kamaty en guest, son texte s’appuie sur la série documentaire de Raoul Peck, Exterminez toutes ces brutes, et sur le roman de Maryse Condé, Moi, Tituba, sorcière noire de Salem, pour affirmer la nécessité de raconter l’Histoire par le prisme des opprimés plutôt que par celui des oppresseurs. Sa suite sensuelle, Gourmandises amoureuses, écrite avec Zaza Fournier lors de Chansons Primeurs, embrasse les mots de Frida Kahlo : « Tu mérites un amour qui balayerait les mensonges et t’apporterait le rêve, le café et la poésie. » Chanson aussi touchante qu’intime de JereM, présente dans l’un de ses spectacles jeune public, Les Promesses est une réflexion sur la parentalité, ponctuée par une assertion de sa fille Joséphine : « Demain, ça veut dire jamais. »

Retour à la « fête tribale du village global » : né d’une improvisation collective avec les Piment Piment, renforcé par le chant de Mouss et Hakim Amokrane (Zebda) et par l’accordéon de René Lacaille, Fais bouger ton boule est un appel à la danse moulinant du funk klezmer, le souvenir de Pierre Vassiliu et les joutes verbales des Fabulous Trobadors, avec son refrain en gascon : « Hès petar lo motle ! Hè’t anar au ton cuu decadent. » Gascon, créole et français convoquent ensuite des ancêtres pirates sur Afrodiziak, poésie et tambours des « fiers fils de bougnouls ». Composé avec les Piment Piment, avec Fixi au piano, Héloïse Divilly à la batterie et Camille Heim à la harpe, Épopée métèque déroule une narration préfigurant une future comédie musicale autour de l’exil, et cite Mahmoud Darwich : « Planter du jasmin, récolter des tués. » Changement d’ambiance avec JereM sur Testostérone, un afro-funk aussi enjoué que son sujet - le masculinisme - est grave, avec Djé Balèti et son espina (instrument niçois à quatre cordes) ainsi que Fixi aux claviers, citant cette fois… Julio Iglesias (« Vous les femmes »). Enfin, sur des paroles d’Oriane mises en musique par Nellyla (claviers, senza), Apparu est une clôture chorale sur notre relation à la mort, alimentée par la lecture de Vinciane Despret (Au bonheur des morts) et Delphine Horvilleur (Vivre avec nos morts). Un thème récurrent du duo Bonbon Vodou, chez qui la vie l’emporte. En témoigne cet album aussi lumineux que conscient, qui semble paraphraser Camus : « Il n’y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaitre la nuit. »
Bonbon Vodou

Jérémie Boucris: chant, guitare, cigar box, ukulélé
Oriane Lacaille: chant, batterie, kayamb, roulèr, percussions, flûtes pygmées
Juliette Minvielle: chant, tuntun, guimbarde, pandeiro, bendir
Yann-Lou Bertrand: chant, basse, flûte, trompette, kass kass
Roland Seilhes: chant, saxs, clarinette, flûte

Invités par ordre d’apparition :

Bernard Lavilliers: chant (Les mains d’or)
Maya Kamaty: chant (Demerd azot with that)
Olivier Caron: trombone (Demerd azot with that)
Arno De Casanove: trompette (Demerd azot with that)
Rosemary Standley: chant (L’Absence / Mélancolie)
Mouss et Hakim Amokrane: chant (FBTB)
René Lacaille: accordéon (FBTB)
Camille Heim: harpe (Épopée Métèque / L’Absence)
Héloïse Divilly: batterie (Testostérone / l’Absence / Epopée Métèque)
Fixi: piano, claviers (Épopée Métèque / Testostérone / Les Promesses)
Djé Baleti: Espina (Testostérone)
Nellyla: chant, senza, claviers (Apparu)