Ana Carla Maza

Bahía
Sortie le 25 février 2022
Label : Persona Editorial
Bahia est le deuxième album studio d’Ana Carla Maza. Il s’ouvre sur Habana, hommage à la capitale cubaine, où elle est née il y a 26 ans, d’un père chilien, musicien luxuriant,  Carlos Maza, et d’une mère cubaine, guitariste, Mirza Sierra. « Cuba est un volcan », disait le père. « La Havane est une folie », répond la fille. Bien sûr, La Havane, c’est le Malecon, ce boulevard en façade atlantique, qui reçoit les embruns des Everglades. Pourtant, la ville se love autour d’une baie, très fermée, protégée, sûre : la Bahia, partie arrière d’une Habana Vieja humaine, portuaire, cosmopolite, parcourue des mélanges qui ont essaimé de l’Afrique au Brésil. 
 Bahia est le deuxième album studio d’Ana Carla Maza. Il s’ouvre sur Habana, hommage à la capitale cubaine, où elle est née il y a 26 ans, d’un père chilien, musicien luxuriant,  Carlos Maza, et d’une mère cubaine, guitariste, Mirza Sierra. « Cuba est un volcan », disait le père. « La Havane est une folie », répond la fille. Bien sûr, La Havane, c’est le Malecon, ce boulevard en façade atlantique, qui reçoit les embruns des Everglades. Pourtant, la ville se love autour d’une baie, très fermée, protégée, sûre : la Bahia, partie arrière d’une Habana Vieja humaine, portuaire, cosmopolite, parcourue des mélanges qui ont essaimé de l’Afrique au Brésil. 

Bahia, le second titre qui donne son nom à l’album est une ode à la Bahia, le quartier où Ana Carla passa son enfance, où elle a construit ses souvenirs en famille, entre « Vendredi de la culture » et concerts de Silvio Rodrigues ou de Pablo Milanes. Ana Carla y traduit la folle sensation cubaine, « avec » son violoncelle, « ce meilleur ami », presqu’un jumeau, qu’elle saisit à bras le corps, et qui cède aux injonctions de mélanges : classique, son,  jazz, jeu d’archet, pizzicato tranchant, et voix. « J’aime trouver l’énergie de la vie, cette « alegria », la joie. Et je suis transportée de curiosité ! ». A l’occasion, elle glisse un clin d’œil musical aux frères brésiliens, samba, bossa nova, etc.,  

Bahia, l’album, se promène en Amérique Latine : à côté de Huayno, basé sur un rythme et une danse quechua du Pérou, ou de Todo ira bien, imprégné de son cubain, Ana Carla transforme le tango d’Astor  Piazzola, avec Tango pour un violoncelle solo, qu’elle a composé au départ pour un quartet à l’occasion de la célébration du centenaire du compositeur argentin.  

Les neuf titres, enregistrés en acoustique à Barcelone, de manière « directe, simple, sincère en une seule fois, une après-midi a suffit». On ne dira jamais assez l’importance du présent. Il ne faut par exemple pas chercher de sous-texte au Petit Français. « A un moment donné, j’étais à Paris, j’allais dans un café, le Saint-Régis et j’échangeais des lettres d’amour avec un garçon ». Voilà tout.

Bahia est un album post-pandémie. Le confinement de 2020 avait pris de court Ana Carla, titulaire d’un passeport « surchargé». Elle doit alors partir au Mexique, les frontières se ferment. « Nous rentrons dans un état d’incertitude totale. Je me réveille en pleine nuit, je bouge doucement les pieds, une petite voix me dit : Todo ira bien, todo ira bien… ». Tout ira bien, et pour le dire, elle n’a pas cherché une poésie compliquée, mais du sentiment, « por mucho que el pasado haya sido oscuro, miles de razones tienes para ser feliz ». Son grand-père, désigné comme guérillero par le dictateur Pinochet, est contraint à l’exil en 1975. Il trouve refuge, avec toute sa famille, à Cuba après un passage par Bordeaux. « Son passeport mentionnait  qu’il pouvait sortir du Chili, mais ne plus jamais y revenir ». 

On pourrait se lamenter à moins, mais non. Elle est encore enfant quand ses parents quittent le quartier de la Bahia pour la pleine campagne.  « Et là, ils  fondent une école de musique. Ma mère mène une chorale avec soixante enfants ».

Ana Carla a quitté Cuba en 2007. Le pays lui manque. « A Cuba, il y a toujours quelqu’un qui vient boire un petit café en passant, sans être pressé ». Et puis, il a des fleurs, des bouquets, des flamboyants écarlates. Elle nous transmet ces sensations en jouant «avec cette passion cubaine, « à la Russe » », en écrivant comme une femme, « de l’intérieur », dit Ana Clara, heureuse d’avoir composé entièrement Bahia « alors que depuis longtemps, je ne joue que des musiques écrites par des hommes. Une amie m’a dit : cherche ce qui est toi, des respirations, des entrées, des sorties ».

 A cinq ans, Ana Carla se met au piano. Sa professeure, c’est MiriamValdes, la sœur du pianiste Chucho Valdes. «  C’était une grande pédagogue, jamais découragée. Comme il n’y avait pas de photocopieuse, elle écrivait les partitions à la main pour chacun de ses élèves ». Miriam Valdes est décédée du Covid-19 en octobre 2021. Ana Carla lui dédie la chanson qui clôt l’album. « Quand j’enregistrais, je l’imaginais en face de moi assise au piano. Dans son fauteuil à la cubaine. On dit que pour être artiste, il faut savoir exprimer de la douleur, et que chanter serait comme un soulagement. Mais pour moi, c’est aussi une manière de capter des moments d’amour ». 

La ligne de vie d’Ana Carla indique qu’elle adore prendre la tangente. Du classique ? Oui, elle a mené des études de fonds (à Cuba, puis au Paris PSPBB et l’Université Paris Sorbonne en Musicologie et Interprétation Classique au violoncelle). Du jazz ? Evidemment, et d’ailleurs c’est avec son père, qu’elle fait ses débuts discographique à l’âge de quatre ans. De la pop/rock ?  Bien sûr, et d’ailleurs la Cubaine, néanmoins très française, n’a pas hésité à affronter les zéniths en 2014 accompagnant au violoncelle Jean Louis Aubert. 

Ana Carla peut dors et déjà dérouler un CV fleuve. A 10 ans, elle est sur la scène du festival Havana Jazz Plaza. A 14 ans, elle se demande quoi faire de sa vie : elle doit, dit-elle, trouver son « chemin sans les codes du jazz, inventés par des hommes». A 15 ans, en concert à Jazz à Amiens, elle croise un autre violoncelliste, Vincent Segal, « qui se produisait avec Piers Faccini. Je vais dans la loge, il me dit : « prend mon violoncelle et joue ». ». Même pas peur. « J’avais  passé  des heures et des heures à jouer chaque jour du violoncelle pendant huit ans ». La voici chanteuse, en tournée à ses côtés, en tourbillon. Puis en solo. Elle a 17 ans.

 « Le jour où j’ai passé le concours du Conservatoire à Paris, j’avais un concert à Ménilmontant où je jouais mes propres chansons ». A la vie, à l’amour, la voici bientôt en résidence à la Cité des Arts à Paris, partie à la découverte de Gainsbourg, s’échappant en Tunisie, Jordanie ou en Norvège.

De ces expériences, est né Bahia, album libre, écrit par une jeune musicienne d’une remarquable appétence, pour qui prendre des risques est une nécessité artistique.  

Véronique Mortaigne