Amadou Balaké

Señor Eclectico - Burkinabe Dance Music Of The 70's
Sortie le 16 juin 2008
Label: Oriki
Kanté Manfila le Guinéen, Sorry Bamba le Malien et Amadou Balaké le Burkinabè partagent une culture mandingue commune, fondée sur les vestiges de l’ancien empire du Mali. D’une part ils assument les racines traditionnelles de leur musique, liées aux instruments à cordes classiques (kora, balafon, n’goni) des musiques djeli ou wassoulou. D’autre part, ils adoptent les musiques pop occidentales, qu’elles soient latino (son montuno et pachanga cubains, salsa et boogaloo new yorkais), funk, rock, pour élaborer une musique métisse moderne. Comme de nombreux artistes des années 1960-1970, leur carrière prend de l’ampleur en dehors de leur pays d’origine, à Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire, plateforme du show biz ouest africain les propulsant vers une carrière internationale.
Dans la seconde moitié des années 1970, Amadou Balake est le seul artiste à percer en dehors de son pays, le Burkina Faso, Afrique de l’Ouest. Ce chanteur et percussionniste, doté d’un timbre de voix marquant, circule entre l’Afrique, Paris et les Etats-Unis, comme peu d’artistes africains à son époque. Rythmes mandingues, soukous, salsa, funk & afrobeat, Balake a tout chanté et enregistré de Ouagadougou à New York en passant par Abidjan et Paname.

Dès le début des années 1960, Balake s’essaye à la percussion, principalement au rythme goumbé qu’il affectionne plus que d’autres. Cet instrument lui permet de démarrer rapidement une carrière d’emblée marquée par le voyage. Il s’installe ainsi pour deux ans à Bamako, capitale du Mali, où il joue dans la boîte de nuit « le Moulin Rouge » aux côtés d’un pianiste, ancien membre du groupe latino parisien « Los Matecoco ». De Bamako, Balake poursuit son parcours vers Abidjan, où il joue accompagne la chanteuse antillaise Moune de Rivel aux bongos dans la boîte de nuit du luxueux Hôtel Ivoire.

Sa carrière de chanteur commence véritablement à son retour au pays, dans les bars de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, où il se fait d’abord remarquer au sein de la formation « L’Harmonie voltaïque » du saxophoniste Maurice Sempore.

Il démarre sa carrière solo accompagné de différents orchestres et anime le « Don Camillo », une boîte de nuit réservée à une clientèle aisée. Pendant toute la première moitié des années 1970, Balake et ses orchestres y mènent le bal : les « Cinq consuls » (chef d’orchestre/guitare : Mande Konde, batterie : M. Diallo dit « Foulaké », basse : Fodé Keïta, 2ème chanteur : Pablo, guitare rythmique : Traore Tiemoko dit « Pach », percussions / chanteur leader : Balake), « les Dieux » (même formation que les « 5 Consuls » sauf basse : Diallo, 2ème chanteur : Mamadou Niasse, chanteuse : Aye Boucary, guitare leader : Zon Boucary, orgue : Father Ben, tumba : Barretto), ou le « Super Volta » accompagnent régulièrement l’artiste et ce sont eux qu’on retrouve sur cette compilation.

Au cours de nuits arrosées au « Don Camillo », le producteur Aboudou Lassissi, nigérian basé à Abidjan, présent au Burkina pour y enregistrer les folklores mossi, s’enthousiasme pour le chanteur et profite du voyage pour enregistrer sur le vif les premiers disques 45 tours publiés par Balake. Dans la foulée, les frères Ouedraogo, producteurs locaux propriétaires du seul label burkinabè, le Club Voltaïque du Disque, enregistrent, à partir de 1975, une série de 45 tours et un album d’où sont tirés plusieurs des titres composant cette compilation.

La musique de Balake, très métissée, emprunte aux rythmes mandingues, dioula ou mossi, au funk et au blues américains, au soukous congolais. Elle reflète l’image de carrefour culturel du Burkina Faso, entouré au Nord par le Mali et le Niger, et au sud par la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Bénin. Rivage sud du Sahel, pris dans l’aire culturelle mandingue, le Burkina est également perméable aux influences des voisins du sud. Le marché musical burkinabè constitue ainsi un débouché important pour le highlife ghanéen ou pour des artistes béninois comme le Poly Rythmo qui y connaissent un succès indéniable avec leur afro funk en fon ou leur interprétation locale du soukous congolais.

Les chansons enregistrées par les frères Ouedraogo en live, au magnétophone Nagra, dans les studios de la radio rurale de Ouagadougou elle même financée par un programme de coopération allemand, n’ont pas bénéficié des meilleures conditions techniques (plages 2, 7, 10, 12 et 13). Mais pour  les titres 1, 8 et 11, tirés du premier 33 tours de Balake, les producteurs ouagalais emmènent les artistes aux studios Ambassador d’Accra, mieux équipés techniquement dans un pays où l’industrie musicale née autour du highlife prospère grâce au dynamisme des entrepreneurs et du marché locaux.

Grâce à ces enregistrements, la réputation de chanteur de Balake s’exporte rapidement. En Côte d’Ivoire tout d’abord, où l’importante population d’origine burkinabè et malienne ou dioula du Nord de Côte d’Ivoire comprend le chanteur qui s’exprime souvent en dioula. Des thèmes universels (comme « Mousso be torola », qui évoque les caprices des femmes auprès des hommes, « Doro magni », une critique de l’alcool et de ses ravages ou « Kambele ba », satyre des jeunes dandys urbains et désargentés qui cultivent l’arrogance et l’apparence) trouvent facilement leur public, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire avant tout, au Mali également.

La carrière de Balake s’internationalise durablement avec ses enregistrements pour le label abidjanais Sacodis. La maison de production d’Aboudou Lassissi reste, de toutes celles d’Afrique de l’Ouest à l’époque, Afrique anglophone comprise, celle qui aura le mieux pénétré les marchés américain et européen à la fin des années 1970 grâce à un solide réseau de distribution.

Balake enregistre d’abord deux albums au Nigeria, « Taximen » (plage 5) et « Bar konon mousso bar » (plages 4 et 9). Accompagné de ses compatriotes Traoré Tiemoko dit « Patch » à la guitare rythmique et de Diallo à la basse, il complète l’orchestre avec des musiciens nigérians. Les sessions des studios EMI Nigeria à Lagos, les meilleurs de la région à l’époque, et Iyanda à Ibadan, gagnent en qualité par comparaison aux précédentes. De surcroît, les disques fabriqués par Sacodis aux Etats Unis, puis réexportés vers l’Afrique, sont d’excellente facture, contrairement aux productions burkinabè fabriquées par la SATEL de Cotonou, qui répète les erreurs de fabrication référence après référence.

Balake connaît enfin, comme Laba Sosseh, chanteur gambien également produit par le label Sacodis, l’opportunité unique à l’époque de travailler un répertoire salsa avec des Latinos, à New York. C’est de cette session qu’est tiré le titre salsa « Yamba » (plage 3), qui dénonce les méfaits de la marijuana.

Balaké participe ainsi à un échange culturel transatlantique inattendu, où les artistes africains ne sont plus de simples admirateurs de leurs pairs américains. Ils établissent au contraire un lien direct entre Afrique et Amérique, sans passer par Paris, et tissent une histoire peu connue en Europe, qui lie le Spanish Harlem et le Bronx au quartier de Treichville à Abidjan et aux clubs nocturnes ouagalais.

Après ce disque, Balaké, Laba Sosseh et Monguito, l’artiste latino à succès produit par Sacodis, entament une tournée salsa européenne et africaine, avec un all stars de 12 musiciens latino américains parmi lesquels on peut citer le maître violoniste Pupi Legaretta.

Dakar, Abidjan, Ouagadougou, Lomé, Cotonou, les productions Sacodis organisent une tournée qui marche sur les pas de Ray Barretto, de l’Orquesta Aragon ou de Pacheco qui ont foulé les terres ivoiriennes et sénégalaises 10 ans plus tôt.

En 1980, la salsa a déjà conquis l’Europe, et la caravane afrolatine emmenée par Lassissi ne se contente pas d’une tournée africaine. À Paris, l’all stars se produira au Palais des Glaces, pour une grande « Nuit de la salsa » qui a marqué les esprits.

Quelques années avant la naissance du groupe salsa africain Africando, qu’il a d’ailleurs ensuite rejoint, aux côtés du même Laba Sosseh avec lequel il a connu New York, Balake s’impose comme un artiste majeur, peu avant la déferlante de musiques africaines qui s’abat sur la France et l’Europe.