Allison Russell

Outside Child
Sortie le 21 mai 2021
Fantasy Records
Chanteuse, poète, compositrice et multi instrumentiste, Allison Russell nous présente Outside Child, son premier album solo. Membre de Birds Of Chicago et de Our Native Daughters (avec Leyla McCalla, Rhiannon Giddens et Amythyst Kiah), Allison nous invite à découvrir un univers intime et touchant et des chansons toutes autobiographiques, liées à un passé très douloureux qui lui était nécessaire de partager.
Chanteuse, poète, compositrice et multi instrumentiste, Allison Russell nous présente Outside Child, son premier album solo. Membre de Birds Of Chicago et de Our Native Daughters (avec Leyla McCalla, Rhiannon Giddens et Amythyst Kiah), Allison nous invite à découvrir un univers intime et touchant et des chansons toutes autobiographiques, liées à un passé très douloureux qui lui était nécessaire de partager.

Née et élevée à Montréal, Allison Russell imprègne sa musique des couleurs de sa ville, ses lumières, paysages et langages, mais aussi des traumatismes dont elle y a été victime. C’est une réflexion déchirante sur une enfance que personne ne devrait supporter, et en même temps une puissante affirmation de soi, au sein d’un nouveau foyer qu’elle a su se créer à Nashville. Sur l’album, de nombreuses collaborations ont pu s’y nouer comme celles avec  Yola, Erin Rae, les McCrary Sisters, Ruth Moody, le producteur Dan Knobler, Jamie Dick, Joe Pisapia, ainsi que son compagnon JT Nero.
Montreal (3 :45)

Je remercie ma merveilleuse ville natale de Montréal. Quand j’étais ado je me suis sauvée, et je crois que la Ville elle-même m’a protégée à plus d’un titre. Je traînais sur le Mont à n’importe quelle heure, et l’été je dormais au cimetière. J’ai hanté les cathédrales et dormi sur leurs bancs. Parfois je passais la nuit à jouer aux échecs, avec des vieillards dans des cafés qui restaient tous le temps ouverts. J’ai pu écouter Oscar Peterson jouer un concert gratuit, au Park pendant le Festival de Jazz… j’ai eu de la chance de grandir là-bas.

Nightflyer (4 :55)

Quand j’avais seize ans, j’ai lu “Le Tonnerre, intellect parfait” pour la première fois. C’est une exhortation, un poème découvert dans les années 40 parmi les manuscrits gnostiques de la bibliothèque de Nag Hammadi. Ce texte ne m’a jamais quittée. Maintenant que je suis une mère, j’ai approfondi mes méditations sur la nature de la résilience, de l’endurance et de la grâce. Avec ce morceau j’essayais de combler le fossé, en embrassant la honte et ma divinité intérieure de manière égale. Le fardeau et le baume de nos filiations que nous portons tous en nous. Nous sommes tous la descendance de longues lignées de survivants. Je crois que mes Ancêtres ont dû me protéger depuis le début. Et aujourd’hui c’est ma fille qui porte leurs forces…

Persephone (4 :22)

Un hommage à mon premier amour. Nous n’étions que des mômes, on avait quinze ans. La compassion amoureuse de cette jeune a sauvé ma raison et ma vie dans le froid glacial des nuits d’hiver ; j’étais sans abri et suspendue à un murmure… Son sous-sol sombre a été un refuge et une oasis.

4th Day Prayer (4 :11)

Lorsque je suis allée vivre pour la première fois avec ma mère et son nouveau mari, mon père adoptif – après la famille d’accueil de Verdun – on habitait dans un HLM, rue Sainte Catherine à Westmount. L’appartement était au-dessus de la boutique d’audiologie où mon beau-père travaillait. C’était là que les abus ont commencé. J’avais 5 ans. Westmount est une enclave avec des habitants aisés – alors que nous étions très pauvres. Même les banques alimentaires là-bas sont plus riches. Puis il y avait un parc. J’y ai passé le plus de temps possible. Pour fuir mon père adoptif. Sur un petit îlot au cœur du parc il y avait un vieil arbre où les gens pouvaient grimper, et on l’adorait : un vieux saule immense, plié en deux presque, qu’on a fini par étayer avec deux poteaux. J’étais dévastée en apprenant qu’il a été déraciné par une tempête en 2010.

The Runner (4 :09)

Je suis partie de chez moi quand j’avais 15 ans. J’avais réussi à terminer mon lycée, et j’ai commencé ma première année au Dawson College. Je faisais du télémarketing, des jobs horribles… Mon père adoptif continuait de me traquer, il me harcelait dans les rues de la ville. A 17 ans je me suis sauvée, je voulais m’en aller loin et du coup j’ai traversé tout le pays, de Montréal jusqu’à Vancouver. J’étais profondément désespérée, suicidaire, autodestructrice… et alors la musique m’a sauvée.

Hy-Brasil (5 :35)

C’est un hommage à ma grand-mère maternelle, la Canadienne-Ecossaise Dr. Isobel Roger Robertson (la plus éclatante lumière de mon enfance), et un hommage à sa propre mère Janet, que je n’ai jamais rencontrée. Quand j’étais enfant je me suis évadée dans des contes de fées, dans des légendes et histoires fantastiques. J’ai vécu dans les pages de vieux livres, à l’intérieur des histoires mystérieuses de ma grand-mère, dans les balades traditionnelles du vieux pays. Elle me racontait toujours que sa mère était un peu “Fae”, un peu fée elle-même. Plus tard je me suis rendue compte que mon arrière-grand-mère était probablement schizophrène, tout comme ma mère… Et qui dira que ce n’est pas la même chose que d’être touchée par La Fée… ? On disait que Hy-Brasil était une île mystérieuse, comme l’Atlantide, une île à l’ouest de l’Irlande qui est apparue sur les cartes entre 1325 et les années 1800. Dans les légendes, cette île était toujours perdue dans la brume ou sous les eaux, sauf pendant une journée tous les sept ans : l’île devenait visible mais personne ne pouvait l’atteindre. Hy-Brasil figure dans tellement de mythes et légendes. On raconte que c’est de là que viennent tous les dieux et déesses de l’ancienne Irlande. D’autres légendes disent qu’elle est habitée par de grands lapins noirs et un mystérieux sorcier…“Camhanaich” est un mot gaélique écossais qui signifie la pénombre de l’aube ou du crépuscule. Je sais que les mots peuvent être des sortilèges. Les mots sont magiques, comme la musique…

The Hunters (5 :32)

Il y a tellement d’anciennes balades pour enfants, et celles qui parlent de meurtre ont une résonance pour moi d’une manière directe et personnelle. J’ai accusé mon père adoptif en 2001 et il a fini par plaider coupable. Il a reçu une peine légère parce que le juge estimait que j’étais relativement “indemne” après avoir été abusée sexuellement, physiquement et psychologiquement pendant dix années… Bien sûr, si j’avais été plus ouvertement “blessée” on ne m’aurait accordée aucune crédibilité… En plus, je crois fermement que si lui était un homme noir et moi une fille blanche… alors sa condamnation aurait été beaucoup plus sévère… Ceci est une autre narration d’un sombre conte de fées… plus satisfaisante et cathartique que mon expérience du système judiciaire brisé et sectaire.

All of the Women (5 :24)

A l’époque où je vivais dans l’ouest j’avais un travail de jour comme intervenante de santé mentale. Pendant sept ans, entre mes 19 et mes 26 ans, j’étais en première ligne dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, autrement dit le DTES (le code postal le plus pauvre.) Je me suis trouvée au cœur de la crise des sans-abris et des overdoses fentanyl/opioïdes au Canada. Je travaillais pour deux initiatives du programme de réduction des méfaits : la PHS, une structure à bas-seuil dans le secteur du logement, et assiste le tout premier centre d’injection supervisée d’Amérique du Nord. La plupart de nos résidents/participants avaient une double pathologie avec des addictions et des problèmes de santé mentale. De nombreuses femmes de notre communauté avaient des histoires et des antécédents similaires aux miens. J’avais constamment peur pour ces femmes, surtout les victimes d’esclavage sexuel – quand j’ai déménagé à Vancouver, c’était en pleine crise des FFADA (du mouvement “Femmes et Filles Autochtones Disparues et Assassinées”, l’équivalent des MMIWG aux USA.) On pense que le nombre des victimes atteint le niveau du génocide aujourd’hui, mais les autorités s’en occupent tardivement, et sans aller au fond du problème. Dans toutes les cultures, toutes les sociétés, il est plus périlleux d’être une femme. Aujourd’hui nous constatons un recoupement dévastateur entre #blacklivesmatter, #blacktranslivesmatter et #mmiwg. Des femmes BIPOC (Noirs, Indigènes et Personnes de Couleur) nous montrent le chemin pour sortir du sectarisme en aller vers une vraie égalité. Shirley était une femme lumineuse, tellement gentille avec moi lorsque j’apprenais les paramètres des prestations de soins dans mon travail et dans la communauté soudée que je servais, communauté que j’ai fini par aimer. Je m’identifiais à elle profondément. Shirley était invincible et elle me manque.

Poison Arrow (3 :58)

J’ai toujours trouvé le retour à Montréal stressant, même pendant une courte visite. Mon histoire là-bas a été trop présente, trop puissante et toxique. Quelque chose a changé après la naissance de ma fille Ida. Le fait de pouvoir l’aimer, la protéger, être sa mère… et lui donner un père vraiment fantastique qui l’aime… a été le meilleur antidote. La beauté de ma ville brille pour moi de nouveau.

Little Rebirth (4 :02)

Après tout, nous ne sommes ici que momentanément. Nous sommes tellement minuscules. Nous savons si peu de choses… Pour Conni – in memoriam.

Joyful Motherfuckers (3 :11)

Debout, Joyful Motherfuckers, et prenez position ! Je me parle à moi-même, aussi. Les mots ne suffisent pas pour exprimer l’amour et la reconnaissance que j’éprouve pour mon homme, un homme très bon qui est la famille que j’ai choisie, mon partenaire dans la vie, dans la musique, et avec qui j’ai fait et j’élève ma fille. J’errerais toujours si ce n’était de toi, JT.
Pour autant que le monde est profond et large, c’est à l’intérieur de pièces obscures et étroites, des endroits sans air et quelconques que les vraies histoires de nos vies se jouent, se troquent, se négocient asservies et habilitées, retenues et clamées à haute voix. Et la Chanson a commencé très certainement comme un cri ou comme une prière mais aucun besoin de discerner l’un de l’autre, car ce sont les mêmes et sacrés tous deux : la prière et le gémissement deviennent Chanson dès qu’on les partage.

Il arrive à certains de nous, plus tard dans la vie, de retomber sur nos pieds ; tandis que d’autres, jeunes, glissent dans le traumatisme comme des pierres qui coulent, et s’enfoncent sous le poids de leur propre univers. Parmi ces derniers, hélas, beaucoup ne remontent jamais. Mais ceux qui le peuvent sont habituellement lumineux, la lutte ayant placé leurs cœurs à l’extérieur de leurs corps : le balancement d’une lanterne dans cette pièce obscure susmentionnée là où des histoires sont démêlées pour être ainsi reconstruites… délibérément réanimées.

C’est également à l’intérieur d’une telle pièce qu’Allison Russell chanteuse, songwriter, poète et activiste a été témoin d’elle-même dans sa descente.

Mais l’enfant abusé qu’elle était a joué la mère de la femme courageuse et de l'artiste féroce qu’elle deviendrait, la survie étant l’une de deux options seulement, et pas la plus probable.

Le nouvel album d’Allison, Outside Child qui tire de l’eau du puit sombre d’un passé violent est la première offrande qu’elle nous livre seule, car elle est aussi une voix centrale dans deux groupes : Birds of Chicago et Our Native Daughters. Et raconter sa propre histoire semble maintenant l’avoir libérée, pas de tout, mais libre à l’intérieur de cette vie : libre de recadrer et reprendre son identité et son autorité singulière. Les chansons elles-mêmes bien que dures comme du fer dans leurs sens jubilent : l’exercice d’un rêve hanté, comme des draps propres secoués, claqués, et étendus au grand jour. Et elles ont la passion du désir de vie du poète romantique, et l’audace de la persévérance.”

On pense à Nina Simone, et à Édith Piaf aussi: deux praticiennes, deux chamans ayant tourné leurs visages vers la lame de la tempête avant de rugir de dignité et d’espoir. Cette musique, pas moins, rien de moins, est un triomphe : une œuvre courageuse lustrée et étincelante ; indiciblement belle lorsqu’elle chante l’indicible. Surtout, c’est l’acte d’une remarquable générosité. C’est un cadeau cathartique, soulful, effervescent et rédempteur qu’elle nous offre et, il faut le croire, à elle-même aussi.

Joe Henry