Ti Coca & Wanga-Nègès

Haïti Colibri
Sortie le 16 juin 2009
Label : Accords Croisés
Le style « Ti-Coca » est celui d’un troubadour haïtien pure souche. Son swing entêtant, sa vivacité et le charme inimitable de sa voix éraillée ont contribué à en faire l’un des meilleurs et des plus illustres chanteurs haïtiens.

Ses paroles constituent une chronique douce et amère de la société, utilisant des expressions créoles colorées. Dans un chanté-parlé caractéristique, ce meneur de danses et improvisateur hors pair manie l’art du double sens et de l’espièglerie avec un humour souvent acide et une évidente faculté de décloisonnement des genres ruraux/urbains, sacrés/profanes.

Depuis plus de trente ans, ses mélodies chaloupées libèrent une énergie contagieuse emprunte de la vigueur des dieux africains en exil, omniprésents dans ce pays. En interpellant le double héritage africain et européen dans une imagination débridée, il donne une idée simple de ce réel merveilleux que le quotidien d’Haïti nourrit.

C’est là toute la singularité du répertoire haïtien et celui de Ti-Coca, accompagné depuis 1976 par l’ensemble Wanga-Nègès, inclut aussi bien le compas et autre méringue, ces danses communément profanes, que les chants issus de la culture vaudou et même de la musique cubaine. Ils composent ainsi un cocktail séduisant, une sorte de filtre d’amour comme l’indique le nom du groupe, Wanga-Nègès, terme créole désignant le colibri, cet oiseau-mouche qui entrerait dans la préparation de la magie amoureuse.

Depuis leur premier concert à l’extérieur d’Haïti, en 1998, au Festival de musique de Fort-de-France (Martinique), « Ti-Coca & Wanga Nègès » ont su, tout en restant fidèles à la tradition des troubadours, c’est à dire à l’écart des modes et en marge des circuits commerciaux, s’attacher un public étranger séduit lors de nombreuses prestations en Europe, aux Etats-Unis et aux Antilles.

Le groupe « Wanga-Nègès » est constitué des 4 musiciens accompagnant le chanteur Ti-Coca. Préfiguré par diverses formations, il nait en 1976 et prend sa vitesse de croisière dans les années 80, au restaurant « C’est si bon » de Pétion-Ville. Son premier voyage à l’étranger se fera à l’occasion du Festival de musique de Fort-de-France (Martinique), en 1988.

David METTELUS « Ti-Coca » (chant, maracas) - né en 1950, à Port-de-Paix (département Nord-Ouest). David METTELUS a appris le répertoire vodou dès l’enfance, dans le cadre familial, avant de commencer à chanter dans les bals de troubadours et de s’installer à la capitale pendant les années 70. Comme il le raconte « Un jour, en raison de ma petite taille, quelqu’un m’a comparé avec une bouteille de Coca Cola, qui était beaucoup plus petite à cette époque. Le nom m’est resté. »

Allen JUSTE (accordéon, chœur) - né en 1971, à Roseaux (département Grande-Anse). Influencé par son père, qui jouait du tambour au sein d’une petite troupe de danse. Formé au solfège, à la guitare et au piano dans le cadre de l’église – comme s’est souvent le cas en Haïti – c’est avec Wanga-Nègès, en 2001, qu’Allen a commencé à jouer de l’accordéon.

Richard HECTOR (banjo, chœur) - né en 1955, à Bouk Champay (Pétion-Ville), département Ouest. Héritier d’une tradition familiale de pratique de la guitare, du banjo et du tres, Richard mène une double carrière de musicien et de contremaître dans la construction. Aujourd’hui, trois de ses neufs enfants font de la musique, « mais plutôt du rap », précise t-il.

Wilfrid BOLANE (contrebasse, chœur) - né en 1954 à Petite Rivière de Nippes, près de Les Cayes (département Sud). Musicien autodidacte, Wilfrid continue à jouer de la musique lorsqu’il quitte sa province natale pour la capitale, en 1979. Là, en plus de la guitare, il apprend la basse électrique et la contrebasse jouant dans différentes formations avant d’intégrer Wanga-Nègès.

Mathieu CHERTOUTE (tambour, chœur) - né en 1958 à Marigot (département Sud-Est). Arrivé dans les années 70 à Port-au-Prince en tant que maçon, il travaille comme peintre en bâtiment et fabricant de pots de fleurs en ciment avant de se consacrer exclusivement à la musique. Il débute vraiment sa carrière musicale dans le groupe « Frères Unis » au restaurant « C’est si bon » de Pétion-Ville. Avec Ti-Coca, il est membre fondateur du groupe Wanga-Nègès.

Un troubadour natif natal

Il y a de cela une douzaine d’années. C’était à l’occasion d’un vaste collectage en milieu rural haïtien, effectué avec le réalisateur et écrivain Charles Najman. Nous étions à environ deux heures de Port-au-Prince, sous une paillotte recou¬verte de feuilles de bananiers. Quelques touristes égarés, deux trois américains en mission humanitaire et des familles haïtiennes échappées des embouteilla¬ges spectaculaires de Port-au-Prince si¬rotaient leur bière Prestige et leur rhum « sur glace » Barbancourt 3 étoiles. Le lieu, un de ces bars un peu désuets com¬me il y en a beaucoup en Haïti, devait s’appeler Kyona Beach ou quelque chose de ce genre. Le swing entêtant qui rythmait l’atmos¬phère était celui de Ti-Coca.

Avec son groupe, Wanga - Nègès *, un quartet - contrebasse, accordéon fringant, banjo et percussions - il semblait à lui seul agir comme un télescopage de géographies. Les mélodies proprettes et dansantes à la parure presque innocente y étaient constellées de connotations grivoises. Des manières légères, un peu « baloches », un chanté-parlé, une expression créole en double langage, faisaient entrer dans le bal des histoires à coucher dehors. Il y avait là une énergie contagieuse, avec, en filigrane, les dieux africains en exil, om¬niprésents, comme partout dans ce pays « 99% catholique et 100% vodou ».

Le style « Ti-Coca » est celui d’un troubadour pure souche, natif natal selon l’expression ici en usage. Il est nommé par¬fois siwel - car le texte peut être à la fois tendre et virulent comme le goût du fruit exotique doux mais âcre qu’il désigne. En interpellant le double héritage afri¬cain et européen dans une imagination débridée, il donne une idée simple de ce réel merveilleux cher aux surréalistes et que le quotidien d’Haïti nourrit. Dans ce cadre étrange, ce « chez Gégène » des bords de Marne détourné par une pirogue africaine, être troubadour, c’est se situer dans le sillage des anciens, des illustres prédécesseurs qui ont marqué l’histoire : Althiery Dorival, ou bien Ti-Paris. A l’image de ces poètes-chanteurs-musiciens du pays d’Oc qui voyageaient de ville en ville en s’accompagnant à la harpe, à la vièle, à la flûte, ou au luth, les troubadours en Haïti manient aussi bien le verbe social que l’adresse amoureuse. Aujourd’hui, de l’itinérance à l’instrumentation, tout a changé. Mais il reste une marque, l’art du double sens, une espièglerie, un humour souvent acide et une évidente faculté de décloisonnement des genres ruraux/urbains, sacrés/profanes. C’est là toute la singularité du répertoire, et celui de Ti-Coca inclut aussi bien le compas (ou konpa dirèk ) et autre mé¬ringue, danses communément profanes, que les chants issus de la culture vodou.

Mereng et Konpa dirèk

La méringue « à l’ancienne », dans sa forme à la fois douce et épicée, est une cousine directe du plus nerveux, viril et frontalier merengue de Saint-Domingue. L’historien Jean Fouchard, qui la met¬tait en relation avec des rythmes venus d’Afrique de l’Est, à travers les migrations esclavagistes de la côte mozambicaine, la nommait « danse nationale ». C’était évidemment sans compter sur le compas. Né sous l’influence du merengue dominicain, le compas se transforme vite en une puissante forme orchestrale à danser auprès du saxophoniste Jean- Baptiste Nemours. Par son ampleur et ses ramifications, il s’érigera en musique nationale urbaine et surtout en une inimitable machine à « faire bouger ». Le compas deviendra un véritable ciment de la diaspora haïtienne et l’ins¬pirateur du zouk - entre autres - bien qu’il fût détrôné par celui-ci à partir des années 80.

Il sera porté par de nombreux groupes comme les Shleu Shleu ou l’Orchestre Septentrional, originaire du Cap Haïtien qui en avait donné une version personnelle nommée « Boule de feu ». Le groupe Tabou Combo, établi à New York en 1971, lui donnera son plein essor et son rayonnement international à partir des Etats-Unis.

Rada, kongo, petwo

Première terre de colonisation blanche en Amérique, premier théâtre du génocide indien par les Espagnols, première république noire, Ayiti possède le don de rendre vivant l’héritage de son passé. La mémoire des rythmes de cette « terre de montagnes » - selon sa signification en indien arawak (ou taïno) - correspond, comme le culte des esprits, à l’origine géographique des anciens esclaves.

Le vodou, culte national à Haïti, est au dé¬part une sorte de mélange de culte catholique datant de la période coloniale et d’éléments théologiques et magiques africains amenés par les esclaves ori¬ginaires des 4 coins d’Afrique. Selon l’écrivain haïtien Laënnec Hurbon, on distingue schématiquement trois rites qui correspondent « au transfert, dans l’ordre de l’imaginaire, des diverses ethnies africaines ». Les esprits rada, nommés aussi lwa guinen, sont d’origine dahoméenne (Bénin) et sont tenus en principe pour des « bons » lwa. Le yanvalou est le principal rythme lié au rite rada , bien qu’il soit parfois joué lors de cérémonies de rite petwo.

Par ailleurs, le rite kongo correspond aux exubérants esprits d’ori¬gine bantoue. Les esprits célébrés par le rite petwo et ses variantes sont nés dans la colonie de Saint-Domingue elle-même. Issus du système esclavagiste, ils sont considérés comme plus violents. On les dit « amers », « chauds » et on les invoque généralement par des explosions de fouets et des libations au clairin (alcool de canne au raffinement très relatif).

Contredanses & influences cubaines

Comme en témoignent le rekwaze (recroi¬sez) de la plage 13 et la relation en général de la voix lead au rythme qui la porte, Ti-Coca tient beaucoup du commandeur. Ce commandeur de contredanse qui était jadis « kapo » des plantations coloniales, habile à manier le fouet, s’est mué en meneur de danses et improvisateur hors pair. D’origine anglaise, ces country dances, qui avaient conquis la cour royale française dès 1680, sont arrivées dans l’île de Saint-Domingue dès le début du XVIIIe. Sous la période coloniale, elles passent chez les esclaves, principalement lors des « bamboulas », récréations hebdomadaires autorisées, soupapes contre les rébellions esclavagistes.

Aller-retour de l’histoire, c’est l’effet boomerang de ces contradanzas, exportées de Saint- Domingue jusqu’aux palmeraies de l’Oriente de Cuba, qui apportera en Haïti les effluves de la habanera cubaine avec son cousin, le boléro (plage 7). La migration des genres se faisant à l’époque à travers celle des hommes, ce sont les co¬lons fuyant Saint-Domingue avec leurs esclaves qui les y débarquent. Sur le temps, l’influence cubaine n’a pas cessé puisque, plus tard, au début du XXe siècle, au moment de l’expansion sucrière à Cuba, les travailleurs agricoles haïtiens font d’incessants voyages entre Cuba et Haïti. C’est aussi l’époque où l’occupation américaine d’Haïti favorise l’installation des radios, ouvre le pays aux influences musicales étrangères, notamment cubaines, et l’on peut supposer que c’est à travers le succès d’un Trio Matamoros, par exemple, qu’a pu s’« hispaniser » le chant haïtien.

* Le wanga nègès est l’une des espèces de colibri, oiseau-mouche qui servirait d’ingrédient dans la magie amoureuse.