Chiwoniso

Rebel Woman
Sortie le 25 sept 2008
Label : Cumbancha
« Lorsque je joue, c’est comme si je quittais mon corps, mon esprit vole, il est libre. J’incarne l’émotion de chaque note et de chaque mot jusqu’à la confondre avec ma respiration, mon état de conscience… »

Africaine, sensuelle, soul et raffinée, enveloppée par les sonorités spécifiques du mbira et du marimba, la musique et le chant de Chiwoniso s’imposent d’emblée par son mélange impressionnant de puissance et de sensibilité… Un rendez-vous à ne pas manquer !
Pile dix ans après avoir été consacrée par le prix Découvertes RFI, Chiwoniso, nouvelle icône du Zimbabwe et grand espoir de la musique world, repérée en tournée notamment aux côtés de Césaria Evora et de Marie Boine, ou encore en duo avec Kris Kristoffersen - est de retour sur la scène internationale forte d’un troisième album envoûtant, Rebel Woman.

Un rebondissement très attendu dans la carrière de cette jolie jeune femme au regard étincelle, âgée de 32 ans et

née à Olympia, près de Seattle, où son père l’ethnomusicologue et joueur de marimba et de mbira Dumisani Maraire, enseignait et produisait sa propre musique avec sa femme la chanteuse et percussionniste Linda Maraire. Un couple de mélomanes impénitents qui a vécu aux Etats-Unis de 1972 à 1990, date du retour de la famille Maraire à Harare. Chiwoniso avait alors 16 ans et, on s’en doute, de solides bases musicales. « Aussi loin que je me souvienne j’ai toujours vécu dans un joyeux désordre d’instruments et d’harmonies. J’ai commencé le mbira à

4 ans et j’en avais 9 lors de Tichazomuano, mon premier enregistrement avec eux… Nous ne vivions pas au Zimbabwe mais l’Afrique était omniprésente quand bien même, grâce à mes parents, j’ai grandi dans une jungle merveilleuse d’influences musicales disparates, incluant Bach et Mozart, Michael Jackson et James Brown, les Beatles et Taj Mahal, les Stones et Nina Simone etc… »

REBEL WOMAN

Tour à tour dansant et émouvant, pétri de sons et de rythmes bariolés enlaçant habilement ses couleurs soul africaines à des élans reggae ou rock superbement sublimés, Rebel Woman a été enregistré en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis avec la complicité de personnalités finement choisies. A la base du projet et du rapprochement de Chiwoniso Maraire avec le très dynamique label américain Cumbancha (Habib Koité, Andy Palacio, Umalali, Ska Cubano, Rupa,…), il faut d’abord citer Keith Farquharson, musicien zimbabwéen d’origine écossaise, vieil ami de la chanteuse. « Nous nous sommes sérieusement mis au boulot voici à peu près trois ans, raconte Chiwoniso. Keith connaît parfaitement la musique africaine et a toujours suivi mon parcours de près. A une époque où je fricotais encore avec le hip-hop, il m’a motivée pour revenir aux racines, incitée à aboutir des compositions plus fouillées et plus personnelles ».

Leur association commence avec le titre Listen to the Breeze, composé à l’origine pour une compilation et devenu, de fil en aiguille, la base de ce CD pour lequel Keith n’a pas hésité à s’endetter et à bousculer Chiwoniso, par ailleurs mère divorcée de deux petites filles. « Comme j’ai eu la chance de tourner dans de nombreux pays où je me suis fait de bons amis grands musiciens, il a fallu faire le lien entre tous ces pays afin d’obtenir la musique dont nous rêvions. Je n’y croyais pas trop au début mais en fin de compte, nous y sommes arrivés. En allant retrouver, par exemple, le bassiste Ian Illman (métis Zimbabwéen qui officie entre Londres et l’Allemagne), en allant aussi chercher à Johannesburg le guitariste Louis Mhlanga (fidèle des formations de Hugh Masekela et de King Sunny Adé) et le saxophoniste blanc Steve Dyer, qui a coordonné les cuivres dans son propre studio… »

Une énergie itinérante qui, à l’évidence, aura été la bonne étoile de ce disque à la fois profondément universel et fier de ses vibrations typiquement zimbabwéennes. On y retrouve d’ailleurs, et avec bonheur, la clé du monde musical de Chiwoniso : une voix ample et sûre, sensible et déterminée, qui s’accorde naturellement aux sonorités magiques du mbira (le piano à pouce), du marimba, des guitares, et bien sûr des percussions, ici signées Sam Mataure, vétéran du fameux Oliver Mtukudzi’s band, référence incontournable du meilleur de la musique made in Harare.

Une réussite donc, et non des moindres quand on sait le chaos dans lequel les Zimbabwéens (sur)vivent au quotidien. Une confusion face à laquelle la chanteuse oppose une sérénité confondante, mais qui reflète la force qu’elle s’est forgée vaille que vaille. « L’an dernier, la police m’a arrêtée quelques heures. Cela n’avait rien de surprenant. Artistes, journalistes, écrivains, nous nous savons tous tenus à l’œil. Mais j’ai la conscience tranquille car je n’ai jamais visé qui que ce soit en particulier à travers mes textes. Cela ne me ressemblerait pas. Je ne fais que parler de la société telle qu’elle est. Il n’y a pas qu’au Zimbabwe que les autorités cultivent le sentiment de peur et l’impression que le futur est indiscernable. Mais les artistes sont un peu fous et ils savent de quoi ils parlent tout autant qu’ils savent vivre avec l’idée de danger, vivre, exprimer les problèmes et plaider l’espoir quoiqu’il en soit… »

Avec Vanorapa (« Ils soignent » en Shona ), une composition de son père, Chiwoniso a d’ailleurs choisi d’ouvrir son album tambour battant sur un rythme enlevé, dominée par une voix pure et forte, exprimant sans ambages un savant mélange de vulnérabilité et de détermination. Elle enchaîne bille en tête avec le non moins entêtant Matsotsi (« Voleurs » en Shona), dans lequel Chiwoniso fait écho aux préoccupations des citoyens de son pays, confrontés à une inflation délirante et témoins de phénomènes d’enrichissement spontanés, d’autant plus décourageants qu’ils sont directement liés à la corruption et totalement déconnectés des besoins et des urgences du pays… « Cette chanson est universelle, mais bien sûr elle dérange. Elle est sans doute à l’origine de ma brève arrestation au vu des questions qu’on m’a posées. J’ai eu peur, mais j’étais avant tout en colère et je ne me suis pas démontée. Quel serait le rôle des artistes s’ils ne pouvaient pas nous emmener vers plus de lumière, plus de justice ? Je chante à propos de ce que je vois, j’entends et ressens, y compris les souffrances, les manques, les injustices, les brutalités. Si je dois renoncer à cela parce qu’un gouvernement ne le supporte pas, je ne le souhaite pas mais je ferais comme Hugh Masekela et Myriam Makeba en leur temps : je choisirai l’exil. »

Si Chiwoniso aborde ces sujets avec autant de simplicité et de diplomatie, c’est aussi peut-être parce qu’elle a en elle une foi profonde. « Mes parents, aujourd’hui décédés, étaient méthodistes. Ils n’ont jamais forcé notre éducation mais juste poussé l’idée qu’il y a plus que la vie sur Terre, et que la musique a beaucoup à voir avec cela. Ma mère a toujours chanté et joué du marimba sur scène lorsqu’elle portait ses enfants. Mon père, lui, organisait un concert de bienvenue au mbira et au marimba lors de chaque naissance. Il jouait avec ses amis dans la pièce à côté de celle de l’accouchement. »

Ceci explique sans doute cela, Chiwoniso n’éprouve pas le besoin de chérir d’autre église que celle de l’humanité et de la nature. « En parallèle à mes études de musiques, j’ai étudié toutes les grandes religions, l’islam, le bouddhisme, le judéo-christianisme. J’ai toujours été curieuse de l’unité qui s’impose aux croyants au-delà des rites et des églises. » Une unité qu’elle exprime aussi, tout simplement, lorsqu’elle joue à merveille de son mbira, instrument spirituel par excellence, lié aux ancêtres et à ce titre longtemps interdit au temps d’une colonisation surveillée de près par des missionnaires blancs… Une spiritualité que Chiwoniso cultive donc au travers de la musique, la danse dont elle raffole « car c’est indissociable de la musique », et aussi de sa dévotion pour la mère nature.

« Le titre Gomo (« Montagne » en Shona) rend hommage à la montagne qui, dans ma culture, reste symbole et source de vie, associée à la magie, à l’invisible et à la pureté. » Une profondeur qui n’exclue pas pour autant les réalités sociales, la grande Histoire, et pourquoi pas l’humour comme dans la fugue de Pamuromo, traditionnel popularisé par Thomas Mapfumo, en fait une moquerie adressée à ceux qui parlent beaucoup pour ne rien dire... « C’est difficile de reprendre un traditionnel quand un génie en a déjà fait une version sublime. Mais j’y tenais car j’apprécie son rythme, son ton et bien sûr son propos, dénonciateur de ces belles promesses qui ne sont pas suivies d’action. Ce choix m’a été inspiré par la politique fallacieuse et belliqueuse de Bush et ses amis. »

« Dans Listen to the Breeze, je m’inspire d’un vieillard que je croisais tous les jours lorsque nous vivions à Christonbank, en dehors de Harare. J’adore rencontrer des personnes âgées et me poser à leur côté pour écouter leur expérience de la vie et du monde d’avant. Ils sont inestimables. » Dans Kurima

(« Planter »), elle fait allusion aux interminables débats qui ont déchiré le Zimbabwe lors des redistributions des terres faisant suite au Lancaster agreement de 1978, page importante de l’indépendance zimbabwéenne. « Notre culture a cette qualité qu’elle est plutôt joyeuse, affable, apte à l’humour. Et pourtant, en dix ans à peine, j’ai vu les visages se changer, devenir plus durs, fermés. Cela fait vraiment mal au cœur et dans la chanson, je pose en substance cette question : pourquoi notre terre doit-elle causer tant de disputes alors que nous devrions la vénérer ? »

Même incrédulité sur le titre Rebel Woman, chanté en anglais à partir d’un poème que la chanteuse a découvert voici huit ans. « C’est l’histoire d’une femme soldat qui revient du combat et qui doit encore se compromettre. On oublie trop souvent de célébrer l’autre visage de la femme : celui du pouvoir, de la force, de l’agressivité. Et Dieu sait que chaque femme doit en user. Et savoir, aussi, se montrer dure et forte si elle entend faire respecter le bien… »

Une chose est sûre, à l’heure de s’abandonner aux harmonies bondissantes de Rebel Woman, il n’est qu’une planète sur laquelle nous pouvons respirer et combattre afin d’améliorer le sort de l’humanité. Ainsi va Only One World, ballade apaisée, écrite et interprétée en duo avec son compatriote le poète et chanteur Chirikure Chirikure. « Le message est simple : nous n’avons qu’un monde a laissé à nos enfants, il est temps de se lever pour combattre les ornières et les murs qui aveuglent, qui séparent, qui font le jeu de la haine et du racisme. Ces ornières mèneront nos enfants à la destruction, alors qu’ils n’attendent que l’amour… »