Nishtiman Project Longbox

Kurdistan (Iran, Irak, Turquie)
Sortie le 1er décembre 2017
Label : Accords Croisés
Nishtiman signifie patrie, tout simplement. Jamais un groupe de musique kurde n’a porté ce nom. Mais il est vrai que la musique ressemble au Kurdistan : on connait la musique du Kurdistan turque, la musique des Kurdes d’Irak, la musique des Iraniens kurdes, la musique de la Syrie kurde – et toutes les variations syntaxiques que peut inspirer la géographie du peuple kurde, divisé entre quatre pays.
Nishtiman signifie patrie, tout simplement. Jamais un groupe de musique kurde n’a porté ce nom. Mais il est vrai que la musique ressemble au Kurdistan : on connait la musique du Kurdistan turque, la musique des Kurdes d’Irak, la musique des Iraniens kurdes, la musique de la Syrie kurde – et toutes les variations syntaxiques que peut inspirer la géographie du peuple kurde, divisé entre quatre pays.

Nishtiman accomplit l’aventure de réunir des musiciens de plusieurs nationalités autour de la musique, de la langue et de la culture du peuple kurde. Une aventure musicale pionnière et audacieuse, alors que les lois de la politique, les habitudes imposées par l’histoire et la routine des circuits culturels ont toujours séparé les Kurdes, y compris sur les scènes des festivals et dans les rayonnages de discothèques.

Pourtant, si l’on parle de musique, le Kurdistan existe bel et bien. D’abord, pour ces quatorze millions de personnes éparpillées dans quatre pays, quatre régimes politiques différents et quatre situations historiques particulières, il y a une seule langue et un immense patrimoine musical dans lequel les valeurs communes l’emportent toujours sur les particularismes. Mais, surtout, le peuple kurde est passionné de musique. Dans les festivités collectives ou des réjouissances privées, dans les circonstances exceptionnelles comme dans les cérémonies régies par le calendrier (à commencer par le nouvel an, Nowruz), on chante, on joue et on danse. Il n’existe pas de blues ou de morna kurde. Les musiques de ce peuple sont gaies, enlevées, joyeuses, tendues vers la jubilation, le plaisir partagé ou la pure expression festive.

Nishtiman réunit des musiciens kurdes venus d’Iran, de Turquie et d’Irak qui, en Europe ou au Proche-Orient, ont souvent exploré d’autres expressions que celles de leur peuple. Au commencement, le percussionniste Hussein Zahawy commande la composition d’un répertoire original à Sohrab Pournazeri, chanteur, joueur de tanbur et de kamanché. Avec eux, Ertan Tekin, érudit de ces hautbois à anche double qui, selon les langues et de menues variantes organologiques, s’appellent duduk, zorna ou balaban. Le trio originel incarne presque involontairement la destinée de ce peuple dans la géographie contemporaine : Hussein Zahawy vit en Grande-Bretagne, Sohrab Pournazeri en Iran et Ertan Tekin en Turquie.

Le premier album de Nishtiman, enregistré en 2013 avec une demi-douzaine d’autres musiciens, est un choc fondateur. Autour du trio fondateur, des musiciens au curriculum vitae marqué autant par l’enracinement que par l’ouverture. « Nous connaissons tous la musique de notre pays mais avons aussi développé une technique et une virtuosité qui ne sont pas celles des instrumentistes traditionnels dans les villages, dit Hussein Zahawy. Nous sommes d’une génération très ouverte à l’Occident et aux autres cultures orientales. Depuis le CD puis internet, nous sommes des musiciens sans frontières. »

Donc, pour célébrer l’unité et la diversité des musiques du Kurdistan ont été conviés la chanteuse Maryam Ebrahimpour, le chanteur et oudiste Goran Kamil mais aussi le Français Robin Vassy, qui joue sur des percussions sénégalaises, et la contrebassiste Leïla Renault. Tous ensemble, ils abordent un ensemble de compositions qui passent de style en style, la région d’origine n’étant pas la seule variable qui fait changer la technique vocale, les couleurs harmoniques, la structure des pièces, l’expression générale. « La géographie et l’histoire ont divisé le peuple kurde, mais c’est aussi un peuple nombreux avec beaucoup de goûts et de préférences variées, rappelle Sohrab Pournazeri. La racine commune de tous ces styles exprime énergie, dynamique, entrain. Et on retrouve toujours le lien avec cette racine malgré les différences. »

Le groupe devient immédiatement une référence pour sa double acuité, dans la fidélité et dans l’invention. Nishtiman prend son temps avant, en 2016, de publier Kobane, du nom de la ville martyre de la guerre contre le fondamentalisme de Daesh. Mais la musique de cet album est moins que jamais enkystée dans les mythes d’un passé qu’il faudrait faire revivre tel qu’enluminé dans quelque grimoire vénérable. Au contraire, la musique du groupe fait resplendir un futur aussi ouvert qu’enraciné, avec une musique traditionnelle et contemporaine à la fois.

Cette fois-ci, les trois fondateurs du groupe se sont adjoint la chanteuse Donya Kamali, le spécialiste des percussions africaines Robin Vassy et le joueur de santur Mayar Toreihi. Ensemble, ils adaptent de véloces airs de danse, un maqam joué traditionnellement au lever du soleil, un chant d’amour sur trois notes selon un usage ancien, font référence à la tradition ascétique du yârsânisme... Cependant, Nishtiman fait entendre une musique qui n’est plus celle des villages. Cette musique d’aujourd’hui préserve l’âme combative et l’opiniâtre vitalité dont l’écho, depuis des siècles, traverse le fracas des armes.

Entre ces deux albums, Hussein Zahawy, Sohrab Pournazeri et Ertan Tekin ont aussi beaucoup joué, beaucoup réfléchi, beaucoup exploré. En 2015, ils se sont retrouvés en studio pour constituer un trio kurde d’une parfaite simplicité – percussions, cordes, vent – par lequel ils explorent l’essence de leur culture musicale. L’enregistrement inédit de ce coffret est cette rencontre qui porte à des sommets la puissance méditative et romanesque de leur art, la sophistication radieuse de leur jeu, la limpidité de l’âme aventureuse et recueillie à la fois qui s’exprime dans leur musique. Quatre longues pièces improvisées qui, chacune, dessine un cheminement entre le patrimoine et l’aventure, entre l’intériorité d’un discours savant et l’éclatante faconde de trois improvisateurs experts. La lumineuse expression d’une culture devenue nomade par force, mais enracinée dans un territoire immémorial, et dont ces trois artistes dessinent l’inspiration, le rêve, la force.