Nancy Vieira

No Ama
Sortie le 10 Avril 2012
Label : Lusafrica
No Amá est le quatrième album de la Cap-Verdienne Nancy Vieira, nouvelle venue sur le label Lusafrica. Il s’ouvre sur Maylen, une très belle chanson composée par Mario Lucio, poète, musicien, historien de la créolité africaine, et actuel ministre de la culture du gouvernement de José Maria Pereira Neves.
No Amá est le quatrième album de la Cap-Verdienne Nancy Vieira, nouvelle venue sur le label Lusafrica. Il s’ouvre sur Maylen, une très belle chanson composée par Mario Lucio, poète, musicien, historien de la créolité africaine, et actuel ministre de la culture du gouvernement de José Maria Pereira Neves.

Deux évidences nous frappent : la première, c’est la voix. Maîtrisée, juste comme rarement, pleine de tempérament, ce qui a valu à la jeune femme l’étiquette décernée par la critique de « plus belle voix du Cap-Vert », au rayon de la nouvelle génération ; la seconde, c’est la richesse des territoires musicaux déclinés sur un fond de classicisme sourcilleux. Mario Lucio, qui signe deux autres titres (Nhara Santiago, Trubuco) a beaucoup voyagé musicalement – son dernier album, Kreol (Lusafrica) va de Dakar à Rio de Janeiro en passant par Lisbonne et Fort-de-France. Nancy Vieira n’est pas plus casanière. Parce que ses ascendants viennent de l’île de Boa Vista, île de sables sahariens, qu’elle a grandi à Santiago l’africaine et à São Vicente la nomade, qu’elle s’est engagée dans la musique à Lisbonne, capitale du fado et de la pop, la chanteuse au regard franc brasse la lusophonie.

L’album se nourrit de ses instruments phares, le cavaquinho (Brésil, Cap-Vert), la guitare portugaise (peu utilisée ailleurs qu’au Portugal), dans un mélange inusité. Sous la direction du pianiste Nando Andrade, qui fut le compagnon de scène et d’album de Cesaria Evora, une bande de joyeux mélancoliques (Voginha et Cesar Lima aux guitares, Samu au cavaquinho, Tey Gonçalves aux percussions) mène la barque subtile de No Amá.

Nancy Vieira est née en 1975 à Bissau, où ses parents avaient rejoint le leader de l’indépendance du Cap-Vert et de Guinée Bissau, Amilcar Cabral, assassiné en 1973, avant que la Révolution des Œillets d’avril 1974 au Portugal n’en finisse avec le temps des colonies. Le Cap-Vert gagne son indépendance en 1975. Quatre mois après la naissance de Nancy, la famille Vieira rejoint Praia, la nouvelle capitale du Cap-Vert, sur l’île de Santiago, l’une des dix que compte l’archipel. Cette enfant de la liberté va construire une forte identité au fil d’une épopée politique et artistique : son père, musicien amateur, guitariste et violoniste, est tout d’abord ministre des transports et des communications du nouveau gouvernement. Dix ans plus tard, il revient à Mindelo, port actif et métropole de l’île de São Vicente. Il y occupe un poste qui s’apparente à celui de gouverneur des îles du Barlavento (les îles au vent, celles du nord).

Nancy a quatorze ans lorsqu’il est nommé ambassadeur du Cap-Vert au Portugal « ce qui englobait la représentation en France, il est allé montrer ses lettres de créance au Président François Mitterrand », dit la jeune femme qui vit depuis à Lisbonne. Elle étudie à l’université de Lisbonne, la gestion et la sociologie. Un soir, elle accompagne un ami qui participe à un concours de chanson, elle fredonne, on lui demande de chanter, elle interprète Lua Nha Testemunha, de B.Leza, et elle gagne. Le prix, c’est l’enregistrement d’un album chez Disco Norte, un label disparu depuis. Il s’appelle Nos Raça (1996). Nouvellement mère (d’une fille), Nancy fait ensuite une pause, le deuxième paraît huit ans plus tard, titré Segred (2004). Elle devient professionnelle à la publication de Lus, en 2007.

Nancy Vieira, parce qu’elle chante merveilleusement bien, que sa personnalité rayonne, a souvent été invitée à chanter en duo par des vedettes de la musique portugaise : le fadiste Camané, la star de la chanson-rock Rui Veloso, ou des groupes à succès comme Alas dos Namorados.

Le lycée de São Vicente fut, du temps de la colonisation portugaise, un creuset intellectuel, que fréquenta Amilcar Cabral, poète, auteur de quelques mornas et homme politique de premier rang. Nancy Vieira y fut élève, et ingurgita les sons que le port de Mindelo distillait : Maria Bethania, Caetano Veloso, Angela Maria (des Brésiliens), du fado, des mornas, des coladeras, de la pop anglaise, de la rumba cubaine, etc.

Mindelo, c’est la terre mère de ces mélanges, et celle de Cesaria Evora (1941-2011). Herculano Vieira, le père de Nancy, avait été commandant dans la marine marchande, il avait joué avec Cesaria dans sa jeunesse, « avant la lutte », dit Nancy. « J’ai découvert cela en juin 2011, quand j’enregistrais mon album à Mindelo. C’était la première fois que j’allais voir Cesaria chez elle et elle m’a dit : comment va Herculano ? J’étais émue, il ne m’avait jamais rien dit ».

On peut difficilement parler de filiation avec Cesaria Evora, mais plutôt de concordance de répertoire, et de rencontres musicales. L’interprétation diffère, droite, limpide, la voix de Nancy Vieira s’écarte de la chaleur moite de celle de la « Diva aux pieds nus ». La personnalité, les origines sociales, le chemin de vie, ont peu en commun. Ce qui les relie, ce sont ces affinités secrètes des Cap-Verdiens avec leur musique, frontière de l’Occident et de l’Afrique, musique de voyages transocéaniques et de créolité. Comme Cesaria Evora, Nancy Vieira est une artiste au répertoire construit. Aux classiques (B. Leza, Amândio Cabral), elle a intégré le Cap-Verdien de Paris Teofilo Chantre, et de jeunes auteurs-compositeurs basés à Lisbonne, notamment Tutin d’Giralda.

Et parce que cette fille de marin ne peut oublier celui qui fut le capitaine du remorqueur du port de Mindelo, Manuel de Novas, elle a trouvé une chanson inédite, Cigana de Curpin Ligante, ode à l’amour magnétique. Elle explore également des territoires poétiques où la plus grande interprète de morna, Cesaria Evora, ne s’était jamais aventurée. Ceux par exemple d’Eugenio Tavares, théoricien du genre, poète et aventurier, pour le magnifique Na O Minino Na, inspiré de la tradition cap-verdienne qui veut que sept jours après la naissance d’un nouveau-né, et juste avant son baptême, on lui susurre, dans ce beau et goûteux créole : « Sono di bida, sono di amor, ou graça ou dor, ês é nos sorti » (Rêve de vie, rêve d’amour, ou chance ou douleur, c’est notre sort).