Jenia Lubich

Russian Girl
Sortie le 3 mars 2014
Label : Kwaidan Rds
Loin des clichés exotiques sur la pop russe, Jenia Lubich, jeune chanteuse de Saint-Petersbourg découverte avec Nouvelle Vague, dénote avec son chant tout en retenue, ses faux airs de Joni Mitchell et une grâce plus vue depuis Agnès Obel.
Loin des clichés exotiques sur la pop russe, Jenia Lubich, jeune chanteuse de Saint-Petersbourg découverte avec Nouvelle Vague, dénote avec son chant tout en retenue, ses faux airs de Joni Mitchell et une grâce plus vue depuis Agnès Obel.

Jenia Lubich fait partie de ces voix fragiles dont le chemin parcouru pour atteindre nos oreilles n’a pas toujours été linéaire, mais qui partagent un point commun : avoir fait un arrêt déterminant dans le studio de Marc Collin. La première apparition de Jenia Lubich dans notre vie musicale fut discrète, mais on s’en souvient encore. Deux titres en b-sides du troisième album de Nouvelle Vague, sorti en 2009, dont une interprétation délicate, faussement hésitante, du morceau « Aussi belle qu’une balle » de Taxi Girl – elle qui n’avait appris le français que pendant un an, à l’école, et qui chantait en phonétique. Des promesses pour nous, un début d’accomplissement pour cette élégante de Saint-Petersbourg : un an plus tôt, elle achetait une place pour un concert de Nouvelle Vague dans la ville des tsars, arrivait à dénicher le producteur, lui glissait une maquette sans trop y croire. Bonne pioche. Comme la pétillante Mélanie Pain, la sculpturale Nadeah Miranda, les énergiques Phoebe Killdeer et Camille ou encore l’inspirante Eloisia, elle allait taper dans l’oreille de Marc Collin. Il lui envoie une lettre, lui écrit que l’enregistrement n’est pas terrible, mais qu’il y a quelque chose dans sa voix, qu’il veut en savoir plus : il l’invite un peu plus tard à venir à Paris pour enregistrer plusieurs morceaux. Elle n’avait pas une immense carrière derrière elle, pourtant. Des concerts ici ou là, en Russie, une apparition sur un morceau de De- Phazz. Mais elle avait déjà ce grain de voix de gorge, celui des diaphanes de la pop, chaude et fragile comme Joni Mitchell, suave et déboussolant comme Tracy Chapman. . Une rigueur aussi, héritée d’un long apprentissage de la musique classique auquel elle finira par préférer la pop, pour s’épanouir dans son propre répertoire. Grâce à Nouvelle Vague, elle tourne, beaucoup, découvre les Francofolies, la Belgique, le Canada. Las, les tournées ne sont pas infinies, elle doit retourner en Russie où, dans un pays pas forcément réputé pour exporter ses chanteuses pop en dehors des pays russophones, on commence à la remarquer – elle partagera même l’affiche avec le canadien Caribou. Chez elle, elle se lance alors dans l’écriture de son premier album, toujours sous le coude amical de Marc Collin, qui la produit à distance, magie de Skype, Facebook et de Dropbox.

Elle écrit en russe, forcément, en anglais, un peu, et en français, avec l’aide de Nicolas Comment, photographe et chanteur de la tribu de Collin (son premier album, « Nous Etions Dieu », est sorti en 2010).

Ses morceaux évoquent Saint Petersbourg, sa noirceur (là bas, « il n’y a que la nuit qui soit blanche » chante-t-elle dans sa langue natale), l’amour perdu et celui à venir, l’adieu et les excuses. Sensible. Musicalement, elle n’est pas réductible à un seul genre, se permettant d’explorer tous les styles, de la folk la plus épurée à la pop échancrée, en passant même parfois par le dub ou le jazz, le tout agrémenté de quelques subtiles écorchures électros. Cet album, ce sera « C’est la Vie », en français dans le texte mais expression universelle qui résume bien la mélancolie paradoxale de simple « Russian Girl » (du nom de son morceau devenu un des hymnes de la jeunesse locale) à la carrière désormais bien engagée dans son pays. A elle maintenant d’apporter sa fraicheur et sa délicatesse en France, où Alela Diane ou Agnès Obel l’ont déjà précédée sur les chemins de la pop gracile.