Jaadu

Titi Robin & Faiz Ali Faiz
Sortie le 22 octobre 2009
Label : Accords Croisés
Deux artistes dépassent la simple rencontre pour créer, dans un même souffle, un écrin inédit où s’épanouit la poésie soufi.

La rencontre entre Titi Robin et Faiz Ali Faiz s’est faite au sein du Festival « Les Escales » à Saint-Nazaire en 2006 puis s’est concrétisée en 2008 lors des Festivals de Saint Denis et au Traumzeit de Duisburg.
Musicien français baigné dans les eaux des cultures méditerranéennes, Titi Robin a remonté, suivant son destin, les multiples courants qui mènent à l’Orient, croisant sur sa route ces voyageurs incessants des peuples Rom et Sinti, aux endroits où ils ont posé leurs maigres bagages et leurs rêves insensés. A la fois compositeur et interprète (aux ’oud, bouzouq et guitare), il est un héritier de cet univers qui va des pourtours de la Méditerranée vers ce vaste courant culturel et philosophique issu de l’Asie Centrale et de l’Inde. Le chant d’un gitan Kalo de Perpignan autant que celui d’un musicien Langa du Rajasthan lui ont montré cette piste évidente sur laquelle il s’est lancé d’instinct. Artiste contemporain, il puisa depuis le départ dans cette richesse culturelle, qu’elle soit musicale, poétique ou picturale, la matière de son discours de créateur. Le poète Alisher Navoï comme le romancier Yashar Kemal, le cantaor Camaron de la Isla comme le oudiste Munir Bashir seront de ses inspirateurs. Aucune route, aucun paysage, n’est la copie conforme de ce qu’il a vu ailleurs. Ce qu’il tente de décrire, dans la joie comme la douleur, avec exigence, c’est son ciel intérieur. Il cherche d’un même geste à rendre hommage aux traditions qui l’ont nourri et à tracer son chemin d’artiste contemporain. L’acte créateur le dépasse, le traverse, et projette son désir vers un horizon qu’il pressent. Seule la subtile poésie du soufisme a, selon lui, pu décrire par les mots ce qu’il cherche à exprimer par la musique. Elle reste pour ce musicien un modèle esthétique fondamental d’équilibre entre la chair du sens et sa forme artistique. "Ne me demande pas qui je suis, moi, Machrab le vagabond : là où l’homme brûle, de mes larmes j’arrose le feu et je passe."

Faiz Ali Faiz, de quelques années plus jeune que Titi, est né au Pakistan où il commence très jeune la pratique du chant soufi qawwali mais il étudie aussi la culture classique du khyal auprès de grands maîtres du genre. Sa voix se fait, se forme, se donne à cet élan mystique pour lequel elle semble désignée, avec cette étendue exceptionnelle et ce timbre si riche qui la caractérisent. Faiz Ali Faiz ne nie pas son admiration pour Nusrat Fateh Ali Khan et son répertoire mais il trace aussi sa propre démarche et ses choix personnels dans l’œuvre chantée. Sa voix et celles de ses comparses deviennent des outils d’artisans surdoués au service de la quête d’un degré supérieur de conscience spirituelle. C’est le sens encore qui pousse Faiz Ali Faiz à chanter : le sens de la vie, celui que l’on pressent comme aboutissement ultime. Et c’est la rencontre au bout de ce sens cheminé, la rencontre avec l’être suprême qui suppose qu’on soit passé par celle avec d’autres humains. Par le chant et la musique notamment, dans une volonté partagée de chercher le langage commun, celui qui se moque des syntaxes et qui se transpose au-delà des traductions littéraires. Celui qui se sent plus qu’il ne s’explique. Faiz est devenu maître dans cet art incroyable qui consiste à prêter sa voix à des rencontres musicales sans pour autant tomber dans les concessions faciles à une mode de l’exotisme. Boîtes à rythmes et synthétiseur ne sont pas de son monde mais la voix humaine, le cri profond du cante jondo andalou, la guitare flamenca, la force et la cohésion d’un chœur de gospel, lui donnent le dialogue qui relance son propre chant plus haut encore dès lors qu’il est éclaboussé de la ferveur et de la sincérité des autres. Faiz Ali Faiz, en bon chanteur qawwali, travaille aussi dans l’inspiration de ceux qui l’entourent et lui susurrent ou chantent ouvertement quelques bribes de poèmes sacrés, de mélodies populaires, voire même de musiques à succès, qui sont susceptibles d’alimenter sa générosité musicale.

Les deux musiciens ont créé bien plus qu’un simple dialogue entre deux répertoires. Ils ont décidé d’aller plus profondément vers un travail de création commune. Titi a donc composé pour ce projet un ensemble de mélodies originales, choisissant avec soin les modes et les rythmes illustrant son rapport personnel à l’univers du qawwali et Faiz Ali Faiz a cherché des inspirations dans les textes poétiques pouvant s’allier parfaitement à ces créations instrumentales. Puis il a façonné l’ensemble pour qu’il se prête à une interprétation par un groupe de qawwali. Ensuite, ils peaufinèrent arrangements et orchestrations.

Cette création commune est une première. Elle permet à une des plus grandes voix du Pakistan de sortir du cadre strict de la pratique soufi et des cérémonies de qawwali pour s’épanouir au contact d’un répertoire mélodique inédit. Et l’on se rend compte que, de la France au Pakistan, il est des pistes insoupçonnées qui mènent à des échanges entre chant et musique parce que les cordes vocales et les dix doigts de chaque être humain aspirent sans doute à la même plénitude.

C’est alors que s’opère la mise en commun : une voix, une guitare ou un rubab, le chœur et le tabla de l’un, l’accordéon et les percussions de l’autre, une clarinette, un harmonium… Et chacun s’écoute et chacun s’épaule, s’étonnant presque de la fusion possible. C’est une sorte de chant long qui s’appuie sur la structure musicale, ce chant qui habille volontiers une seule syllabe de plusieurs notes pour laisser parler les sentiments, en faire le tour et souligner chacune de leurs couleurs. Ce type de chant que se partagent les chanteurs de flamenco, les gitans de Hongrie, les castes du Rajasthan, les chanteurs classiques de l’Inde ou du Pakistan. Un chant qui prend le temps de dire ce que ne dit pas la parole. Et la musique vient comme vient la guitare en Andalousie ou le rythme au Pakistan. La musique s’en mêle et parfois la guitare, le bouzouq ou le rubab afghan s’embrasent, flambés de flamenco, gorgés de tous les orients, assoiffés de partages et d’échanges, allumés de la voix de Faiz Ali Faiz. Et la guitare s’impose, monte, interrompt, heureuse, tendre, sensuelle. On dirait que les doigts de Titi s’agenouillent sur les cordes pour que l’instrument s’incline et lance un chant de dignité et de respect en réponse à la voix du maître de qawwali. Et le chanteur poursuit, emportant les notes qui viennent d’illuminer son chant, soulevé par cette danse instrumentale subtile, parade amoureuse irrésistible des cordes de l’instrument à celles de la voix. Parfois les deux s’envolent ensemble, enlacés dans la même ascension, comme si chacun aidait l’autre à atteindre l’extase puis le repos nécessaire qui s’ensuit dans le silence retrouvé avant l’étreinte suivante.

Titi Robin et Faiz Ali Faiz ont la maîtrise du langage qui rend ce genre de rencontre possible. Loin d’être une démonstration massive de vocabulaire et de dextérité, cet échange se fait, comme il se doit, sur une écoute mutuelle, sur un respect et sur une soif du même nectar, celui qui permet aux musiques de s’approcher à petits pas, en confiance, sans jamais se toiser. Mais en finissant par s’aimer dans un même élan.

Etienne Bours

1. MORE ÂNGNA - LE JARDIN DE MON COEUR

Oh mes amis, celui que j’aime est venu dans ma demeure. J’ai honte car je ne possède aucune richesse mais voyez comme il m’a comblé, moi qui était dépourvu de tout.

Oh mes amis, le chéri de tout Ajmer est venu chez moi, et il m’a fermement tenu la main, qui est celle d’un disciple et serviteur.

Le manqabat est un chant de dévotion, celui-ci rend hommage à Khwaja Moinuddin Chishti, saint soufi, fondateur de l’ordre Chishti. Titi Robin a fait le pèlerinage pour Khwaja à Ajmer, en compagnie de Gulabi Sapera, qui est originaire des environs de la ville (elle campait enfant avec sa famille nomade kalbeliya à l’écart des habitations) et tient son nom “Gulabi” d’un pétale de rose reçu sur le tombeau du saint soufi lorsqu’elle était bébé et qui lui aurait sauvé la vie. Il fut donc touché que Faiz Ali Faiz propose de marier sa première mélodie à ce manqabat. Le grand Nusrat Fateh Ali Khan réalisa un rêve en chantant lors du pèlerinage de Ajmer de 1979.

Voix, bouzouq, percussions, tabla, gumbass, accordéon, harmonium et chœur

Langue : Ourdou

Texte : Traditionnel

Musique : Thierry Robin

Arrangements : Faiz Ali Faiz

2. RUS NA – NE ME QUITTE PAS

Poème traditionnel soufi en langue Saraïki, parlée dans une partie du Penjab, du Sindh et du Baloutchistan.

La Personne que je chérissais m’a fui, Que reste-t-il pour ma part des joies de ce monde si ses yeux ne me contemplent plus ?

La mort ne vient qu’une seule fois, Mais chaque moment de la séparation est comme une mort pour moi.

Viens mon amour, console-moi, Qui sait quand je pourrai mourir à cause de la séparation avec Toi ?

Voix, rubab, accordéon, gumbass, harmonium, tabla, percussions et chœur

Langue : Saraïki

Texte : Fareed

Musique : Thierry Robin

Arrangements : Faiz Ali Faiz

3. YA ALI

Qassida : poème en l’honneur de l’Imam Ali, maître de tous les soufis.

Ceux qui recherchent la sagesse se tournent vers Ali, et les croyants puisent leur force en Ali.

Toutes mes difficultés se sont dissipées lorsqu’en détresse j’ai appelé Ali.

Voix, bouzouq, percussions, clarinette alto, accordéon, gumbass, tabla, harmonium, et chœur

Langue : Ourdou

Texte : Traditionnel

Musique : Thierry Robin

Arrangements : Faiz Ali Faiz

4. CHAMBE DI BOOTI - FLEUR DE JASMIN

Extraits de quatrains écrits par Sultan Bahoo

Le Maître a semé dans mon cœur une graine de jasmin au parfum sans pareil.

Les eaux du refus et de l’accord se sont jointes pour arroser cette plante.

En fleurissant, son parfum unique partout s’est répandu

Et m’a enveloppé tout entier.

Guitare et voix

Langue : Saraïki

Texte : Sultan Bahoo

Musique : Faiz Ali Faiz

Arrangements : Thierry Robin

5. MAST QALANDAR - KHIRAJ-E-AQEEDAT

Ton nom est élevé et doux,

J’ai abandonné ce monde et fait de ton seuil ma demeure,

Ne me renvoie pas les mains vides, le monde entier m’a renié.

Le dhamal est une danse extatique.

Hommage au grand mystique Lal Shahbaz, souvent représenté sous les traits d’un faucon rouge. Il aurait converti une large partie du sous-continent indien par la danse. Le terme qalandar désigne d’ailleurs un derviche itinérant.

Version Titi Robin – Faiz Ali Faiz

Voix, bouzouq, percussions, gumbass, cor anglais, accordéon, harmonium, tabla et chœur

Langue : Penjabi, Sindhi

Texte : Traditionnel

Musique : Thierry Robin

Arrangements : Faiz Ali Faiz

6. JÂNI RÂT – CROISSANT DE LUNE

Chant sur le thème de la séparation. Le kafi est un chant penjabi lié à l’ordre soufi Chishtiya et basé sur des airs populaires.

Ô mon croissant de lune, reste avec moi cette nuit,

peut-être ne serai-je plus là demain, ma vie ne m’appartient pas.

Corbeaux, dévorez mon corps

mais épargnez mes yeux afin que mon ami et moi puissions nous contempler.

Voix, bouzouq, cor anglais, accordéon, tabla, percussion, harmonium, gumbass et chœur

Langue : Penjabi

Texte : Traditionnel

Musique : Thierry Robin

Arrangements : Faiz Ali Faiz

7. LÂGE JIYÂ – JE SUIS AMOUREUX

Je suis Amoureux de toi mon amour.

Ton amour s’est installé dans mon cœur et j’ai fait de toi mon ami pour toujours.

Voix, rubab, gumbass, harmonium, accordéon, tabla, percussions et chœur

Langue : Hindi

Texte : Faiz Ali Faiz

Musique : Thierry Robin

Arrangements : Faiz Ali Faiz