Felipe Cabrera

Mirror
Sortie le 27 septembre 2019
Label: MDC
« Cet album reflète les étapes de ma vie, depuis mon enfance à La Havane jusqu’à ma vie d’adulte à Paris. Il est le miroir des changements politiques et sociaux qu’ont connus mes deux pays et des bouleversements que j’ai moi-même vécus. ».

Après plus de trente-cinq ans de carrière, Felipe Cabrera s’interroge sur le chemin parcouru. Le sien, quelque part entre les deux rives de l’Atlantique. Né aux premières heures de la Révolution, le 15 août 1961 à La Havane, ce pur produit de l’école cubaine a grandi dans une famille de mélomanes : son père est bassiste, sa mère aime chanter et danser. A la maison la musique fait partie des meubles, les musiciens sont toujours bienvenus, comme les Los Zafiros, groupe phare du filin, dont les membres sont originaires du même quartier que lui : Cayó Hueso, en plein centre historique de la capitale cubaine.
« Cet album reflète les étapes de ma vie, depuis mon enfance à La Havane jusqu’à ma vie d’adulte à Paris. Il est le miroir des changements politiques et sociaux qu’ont connus mes deux pays et des bouleversements que j’ai moi-même vécus. ».

Après plus de trente-cinq ans de carrière, Felipe Cabrera s’interroge sur le chemin parcouru. Le sien, quelque part entre les deux rives de l’Atlantique. Né aux premières heures de la Révolution, le 15 août 1961 à La Havane, ce pur produit de l’école cubaine a grandi dans une famille de mélomanes : son père est bassiste, sa mère aime chanter et danser. A la maison la musique fait partie des meubles, les musiciens sont toujours bienvenus, comme les Los Zafiros, groupe phare du filin, dont les membres sont originaires du même quartier que lui : Cayó Hueso, en plein centre historique de la capitale cubaine.

Mais si la musique populaire fait partie de son ADN culturel, Felipe Cabrera incarne tout autant l’excellence de la formation classique : entré au conservatoire à douze ans, il sortira quinze ans plus tard diplômé de l’Instituto Superior de Arte, en qualité de bassoniste.

Destiné à être concertiste pour les orchestres symphoniques en tant que bassoniste, c’est pourtant sur un tout autre instrument que Felipe Cabrera ne va pas tarder à s’illustrer. En 1984, il remplace au pied levé le bassiste de Gonzalo Rubalcaba. Plus que d’instrument, il change de destin.
Le surdoué a déjà tâté de la contrebasse en autodidacte, il a côtoyé le totémique Israel Cachao Lopez et a pris des cours avec Carlos Del Puerto de Irakere. Et c’est ainsi, ni une ni deux, qu’il va vite s’imposer comme le pilier des formations du virtuose du piano... Des tournées à travers la planète, treize ans et huit albums plus tard, il décide de tout recommencer ou presque en s’installant à Paris. Le pari est osé : après tout, il aurait pu en rester là, être un sideman des plus recherchés, le genre de partenaire sur lequel on peut toujours compter. Tata Guines, Frank Emilio Flynn, le tout jeune Roberto Fonseca, pour n’en citer que trois parmi tant, qui ont croisé ce son de contrebasse, qui ont pu s’appuyer dessus. Alors qu’il vient d’enregistrer son premier album solo Made in Animas, Felipe Cabrera choisit de plonger dans l’inconnu, en traversant l’Atlantique. Ce sera un bain de jouvence, une renaissance à l’aube de l’an 2000. Passé les premiers temps, « difficiles » comme il dit pudiquement, il fréquente peu à peu les jam sessions, intègre le milieu latino de Paris. Un premier boulot avec Raul Paz, et bientôt un autre avec Orlando Poleo, et ainsi de suite, notamment avec Miguel Anga Diaz et Alfredo Rodriguez, deux musiciens auxquels il sera fidèle jusqu’au bout. Le Cubain parvient à se faire un nom et à parfaire son son. Tout en empilant les sessions en versions latines (latin jazz, salsa, tango... le tropisme de ses origines le poursuit), il découvre d’autres univers. « En arrivant à Paris, j’ai pu jouer avec des Africains, d’autres jazzmen, avec les cultures diverses qui se trouvent en France. Sans ma formation cubaine, je n’aurais pas pu avoir ma facilité d’interaction avec tous ces styles. »

De Harold Lopez à Omara Portuondo, Julien Lourau à Mamani Keita, d’Africando à Chico Freeman, de Chris Potter à Mayra Andrade, de Yuri Buenaventura aux Gnaouas, la liste de ses collaborations s’allonge... Chacune s’avèrera une leçon de musique : Felipe Cabrera a l’humilité qui qualifie les plus grands. À Cuba, il était un excellent musicien. Depuis vingt ans, il est encore plus que ça. A l’écoute du monde qui bruisse, il n’en demeure pas moins intimement connecté avec le terreau de ses origines, ce profond sillon qu’il entend fertiliser de ses idées. C’est de cette oreille qu’il faut écouter son nouvel album, le quatrième sous son nom. Les trois précédents (Made In Animas, Evidence from El Cayo (jamais sorti) et en 2014 Night Poems) laissaient déjà entendre que le contrebassiste était doublé d’un compositeur, une plume affinée depuis ses années aux côtés de Rubalcaba. Elle s’affirme pleinement aujourd’hui à travers ce Mirror. « C’est un disque autobiographique, qui reflète qui je suis, toutes ces années qui ont nourri mes réflexions. Ce miroir, c’est comment je me vois aujourd’hui, quel chemin j’ai pu parcourir, toutes les choses qui ont contribué à construire ma personnalité. »

Dans ce disque, il y a beaucoup de là-bas, traduisez Cuba, et tout autant d’ici, entendez Paris. Ce n’est pas par hasard s’il commence et se referme par une élégie à Elegua, la divinité des chemins dans le syncrétique panthéon de la santeria. Tout un symbole pour Felipe Cabrera, qui entend faire se croiser bien des voies qu’il a pu emprunter. On y rencontre ainsi une foule d’évocations et détails qui le racontent, qui en disent long sur sa vision du monde. Circle est ainsi une allusion au cycle de la connaissance, sphérique plus que vertical. Sur Hoy con adobo il délivre sa version de la musique cubaine actuelle, soit une rumba relevée d’épices, des harmonies modernes, tandis que Hilos, « les fils de la vie que tu tires, qui s’étirent », renvoie au jazz dans sa magnificence. La Congo, un thème en deux parties, une instrumentale, une chantée, est en fait une double référence à la religion bantoue à Cuba et à la conga, la musique traditionelle festive jouée dans les carnavals. Sur ce morceau s’invite un chœur composé de tous les amis (« Abraham, Lukmil, Inor... »), tout comme Guajira Loca invoque le rythme del campo de Cuba, traité de manière divergente, « vénéneuse » comme il dit. Pour 211109, une date tragique dans sa vie, il propose un thème violent, mélodie entêtante et rythmique surpuissante à la manière des grandes équipes du jazz « coltranien ».

Avec Lamento, il rend hommage aux Africains décédés en mer après l’abolition de l’esclavage, « jetés enchaînés à la mer » par les négriers, et Horns and Horses, texto « des cuivres et des chevaux », prend la forme d’un vaste thème en plusieurs mouvements, entre tension et détentes, pour évoquer avec tambours et cor la guerre d’indépendance qui permit à Cuba de s’échapper de la tutelle de la couronne d’Espagne... Grande histoire et petites histoires se mêlent dans cette épopée narrative, qui trace les contours d’un autoportrait complexe.

À travers ce Mirror, Felipe Cabrera (ré)concilie les multiples facettes qui composent son singulier personnage. Le populaire et le savant, l’ancrage cubain comme l’ouverture vers l’ailleurs, le passé du subjectif comme le futur du suggestif... « Tout ce que j’ai pu apprendre se retrouve à un moment de cet album. A commencer par le fantôme de la musique classique qui m’accompagnera toujours. Si je suis ouvert à toutes les musiques, je le dois notamment à la formation dont j’ai pu bénéficier. » Felipe Cabrera sait bien qu’on se projette d’autant mieux que l’on sait d’où on vient. La dualité reste l’essence qui lui permet de carburer. A l’image de son écriture millimétrée – tracée souvent au piano, plus rarement à la contrebasse – qui laisse la possibilité de parties improvisées. « J’écris un chemin, avec un début et une fin, dans lequel chacun peut s’inspirer aussi », insiste celui qui pour être leader n’entendait surtout pas réaliser un disque de bassiste. « Bien entendu, je prends des solos, je me fais parfois plaisir, mais l’intention n’est pas là. On parle bien de musique, non ?! » La mélodie est ainsi « le point fondamental », à partir duquel il bâtit de subtiles harmonies.

Trois ans d’écriture, deux jours d’enregistrement, une séance de répétition, ces trois chiffres donnent la clef pour comprendre la nature de ce projet. Ni jazz, ni classique, ni caribéen ni européen, mais bel et bien tous ceux-ci à la fois dans un même mouvement. « Avec mon groupe, ça fait plus de dix ans qu’on joue ensemble. On se connaît très bien, cela favorise les échanges. Et moi, cela me permet d’écrire en pensant à chacun précisément. » Au trio (Leonardo Montana au piano, Irving Acao au saxophone ténor et Lukmil Perez à la batterie) qui l’accompagne, solide et souple, en un mot tout terrain comme lui, s’ajoutent au fil des titres des invités : Javier Campos, la voix mystique qui ouvre et clôt ce recueil, Antoine Philippe au cor d’harmonie et Charlotte Wassy, fille de l’immense Brice, dont le chant habite l’axial thème qui donne son titre au disque. Mirror donc, un titre emblématique et synthétique de ce disque construit sur une mélodie quirevient sans cesse. Toujours la même, toujours différente, tel un leitmotiv qui fait écho à l’écriture de Wagner ou Strauss. « Ce motif mélodique, c’est moi. Mon point de vue sur mon histoire. » Comme une mise en relief des flux et reflux qui irriguent son iconoclaste esprit, tel un trait d’union d’une bande-son originale qui s’entend comme une vaste suite cinématographique. « La suite est une forme qui me vient de ma formation classique. Cela me permet d’écrire une histoire qui s’écoute en continu, avec des points références », analyse-t-il. Si le classique lui donne une trame générale, il s’adonne aussi aisément aux libres expressions du jazz. « Le jazz est une musique très sophistiquée, qui se joue dans les détails. » C’est peut- être un détail pour beaucoup, mais c’est bel et bien là que tout se joue : dans les interstices de la mémoire active d’un disque qui se conjugue à tous les temps, du plus que parfait au futur recomposé. Autant d’indices qui indiquent qu’il devrait faire date.

MUSICIENS :

FELIPE CABRERA CONTREBASSE
IRVING ACAO SAXOPHONE TENOR
LEONARDO MONTANA PIANO
LUKMIL PEREZ BATTERIE