Camarão Orkestra

Camarão Orkestra
Sortie le 4 mars 2016
Label : Clapson
Crée en 2008, Camarao Orkestra a enregistré un premier album dont le répertoire était essentiellement inspiré des rythmes du Nordeste (Maracatu et Ciranda).

En 2016, l’orchestre enregistre un nouveau répertoire qui s’ouvre au reste du territoire brésilien (Samba, Boï, Afoxé…) ainsi qu’aux racines profondes de la musique brésilienne avec les rythmes du Candomblé.

Camarao Orchestra se compose de 11 musiciens :
- 1 chanteuse
- 3 percussionistes
- 4 cuivres (sax ténor, sax alto, trompette, trombone)
- 1 basse
- 1 guitare
- 1 clavier (rhodes/clavinet/moog)
« Paula, olha aqui mais uns camarões que vêm fritar" (Regardes Paula, encore une bande de crevettes qui vient se faire frire). Voilà le genre de réflexions susceptibles d’être entendues au Brésil lorsqu’un groupe de touristes rendus trop cramoisis par le soleil pour être confondus avec des locaux, vient témerairement se prendre un supplément d’UV sur une plage. Touristes le Camarao Orkestra (l’Orchestre Crevette) ? Pas sûr. Certes, cet ensemble qui réunit 10 musiciens a grandit sous le ciel de limaille de Paname, à défaut d’avoir pu le faire sous l’azur intégral d’Ipanema. Ce qui fait une sacrée différence. Mais n’est ce pas
justement tout à leur honneur que conscients qu’un premier album puisse être interprété comme le produit de vacances en espadrilles au pays des rythmes brésiliens, ils aient choisi de prendre les choses avec un soupçon d’auto ironie, adoptant un nom de crustacé qui d’une part les met potentiellement à l’abri des gausseries dont sont rarement avares les spécialistes du genre (une crevette est réputée inoffensive), et d’autre part a le mérite de nous donner un savoureux avant goût de leur musique. Car savoureux, ce mélange de rythmes brésiliens, de funk et de jazz épicé à la sauce crevette, flambé par des chefs instrumentistes qui, s’ils officiaient en cuisine et non sur scène ou en studio porteraient tous la toque, ne manque pas de l’être.

Parlons pedigree. Et puisqu’il en faut toujours un, en cuisine comme en musique, pour tenir la baguette, parlons plus particulièrement de Paul Bouclier qui dans le Camarão Orkestra joue de la trompette et arrange les compositions. Paul qui a commencé par la guitare avant de se mettre aux percussions après avoir plongé dans la jungle des rythmes auriverde, en particulier le maracatu typique de la région du Nordeste, au sein du collectif Samba do Brasil où il fera la connaissance des trois tambourineurs du Camarão, Stéphanie Valentin, Claude Cuzon et Erwan Loeffel. D’une souplesse d’esprit et d’une soif d’expériences à l’évidence sans limite, Paul partage aujourd’hui son temps entre le Camarão et deux autres projets, Akale Wubé qui fort de trois albums s’est imposé comme fer de lance de l’ethio groove made in France et Cotonete, octet à géométrie musicale variable dont sont également membres le guitariste Farid Baha et le claviériste Florian Pellissier. Le bassiste, Virgile Raffelli, s’est lui illustré dans des groupes tels que Splenn, Nach, Setenta et Joe Bataan. Enfin la section des souffleurs qui outre Paul à la trompette comprend le tromboniste Benoit Giffard, ancien sideman de Didier Lockwood, le sax ténor Olivier Zanot, au CV riche de multiples collaborations (dont une avec Dee Dee Bridgewater), et l’altiste Thibault Duquesnay qui, de la musique balkanique avec le Ziveli Orkestar aux syncopes endiablées du Brésil, témoigne lui aussi d’une approche musicale des plus panoramiques. Ne pas oublier les deux chanteuses invitées, Amanda Roldan et Agathe Iracema, qui, étant les moins « crevettes » du lot- l’une est brésilienne, l’autre franco-brésilienne-, apportent à l’ensemble ce supplément non négligeable d’âme sud américaine. Alors, toujours « touriste » le Camarão ?

Constitué en 2008, l’orchestre a pris tout son temps. Le temps pour faire mijoter un répertoire au gré de dizaines de répétitions tenues dans un local sous terrain du quartier Strasbourg St Denis où chacun a pu apporter ses idées, ses envies. Le temps pour se doter, entre concerts et résidences, d’un vécu scénique conséquent.

Et le temps de peaufiner un premier album qui puisse faire justice à la cohésion acquise et à la passion partagée pour cette musique qu’ils vivent entre une légèreté, un abandon, auxquels ces rythmes invitent fatalement, et un engagement spirituel sans lequel ils ne seraient plus alors que des...touristes. Chacun des titres recèle ainsi une part de délectation pure à se perdre dans ce tourbillon d’énergies libérées par les instruments, pour mieux se retrouver ensemble à un point précis du morceau, comme seuls ceux qui maitrisent les codes du jazz savent le faire. Mais chacun des 8 morceaux ici présents dissimule aussi un petit secret. Comme ce Samba Crevets, hommage rendu au grand maître des percussions brésiliennes Aïrto Moreira, entre autres accompagnateur de Miles Davis et membre de Weather Report, qui a le mieux résumé ce qu’il se passe quand on joue VRAIMENT cette musique dont l’essence sacrée fini toujours par affleurer à la surface : « ce sont les esprits qui chevauchent le rythme, avant de descendre dans le corps des musiciens et des danseurs ». Pas étonnant que certains titres apparaissent sous le nom du rythme qui leur est propre, comme Afoxé, version profane d’un beat utilisé dans le candomblé. Certaines des percussions utilisées sur l’album relèvent directement de ce rite afro brésilien tel l’atabaque qui, toujours d’après Moreira, « nous enseigne la patience, l’art de supporter la souffrance, de rester calme avec les gens insensibles... ». Baravento s’appuie encore sur un rythme candomblé avant de dériver ailleurs, comme le fait d’ailleurs le héros du film du même nom signé Glauber Rocha qui quitte son village natal après avoir perdu ses pouvoirs magiques. C’est ce morceau de Brésil à la fois festif et profond que le Camarão Orkestra nous invite à rejoindre sur cet album. Celui éternel de Baden Powell dont le Berimbau fait ici l’objet d’une reprise, celui moins connu d’Edu Lobo avec Arrastão, (chanson qui évoque ce sport national qu’est le vol en bande dans les transports en communs de Rio) et celui des bars où l’expression saideira (« un petit dernier ») ponctue immanquablement les soirées où la cachaça coule à flot entre Botafogo et Leblon (quartiers de Rio), là où se mêlent locaux et touristes.