Andrea Motis

Do Outro Lado Do Azul
Sortie le 15 mars 2019
Label : Verve
Si le petit monde du jazz n’a pas tardé à prendre la mesure du talent hors norme d’Andrea Motis, alerté dés 2012 par le grand Quincy Jones en personne, qui l’invita, à peine âgée de 17 ans, à monter sur scène lors de son passage au festival de Barcelone, c’est indéniablement avec la parution en 2017 d’“Emotional Dance”, son premier véritable disque en leader sur le prestigieux label Impulse, que la jeune chanteuse et trompettiste catalane a soudain fait prendre à sa carrière une autre dimension.
Si le petit monde du jazz n’a pas tardé à prendre la mesure du talent hors norme d’Andrea Motis, alerté dés 2012 par le grand Quincy Jones en personne, qui l’invita, à peine âgée de 17 ans, à monter sur scène lors de son passage au festival de Barcelone, c’est indéniablement avec la parution en 2017 d’“Emotional Dance”, son premier véritable disque en leader sur le prestigieux label Impulse, que la jeune chanteuse et trompettiste catalane a soudain fait prendre à sa carrière une autre dimension.

Un nouveau public, excédant largement les frontières des happy few de la première heure, s’avisa alors de l’incroyable trajectoire de ce phénomène de précocité — à la trompette dès l’âge de 7 ans ; rapidement repérée au sein du big band de l’école de musique de Sant Andreu par son professeur, le contrebassiste Joan Chamorro ; et dès l’âge de 14 ans propulsée sur le devant de la scène avec la parution de son premier enregistrement “Juan Chamarro présente Andrea Motis”, coup d’essai plein de charme mettant en valeur une fraîcheur et une musicalité proprement confondantes. Cinq autres albums naîtront en quelques années de cette collaboration féconde (parmi lesquels “Feeling Good” paru en 2012) jusqu’à ce que “Emotional Dance” offre à Motis l’opportunité de dessiner les contours d’un univers beaucoup plus personnel, synthétisant avec brio les acquis de ses années d’apprentissage tout en ouvrant de nouvelles perspectives.

Toujours accompagnée de Joan Chamorro et de son petit groupe de fidèles musiciens (le pianiste Ignasi Terraza, le batteur Esteve Pi, le guitariste Josep Traver), Andrea Motis y laissait entrevoir un nouveau visage — intégrant dans son orchestre des musiciens américains de la trempe de Warren Wolf, Gil Goldstein, Scott Robinson ou Joel Frahm, mais surtout enrichissant avec finesse son répertoire habituel de grand standards de jazz par une poignée de compositions originales explorant des territoires imaginaires et idiomatiques renvoyant pour la première fois directement à ses racines méditerranéennes.

C’est précisément ce tropisme qu’Andrea Motis poursuit et développe aujourd’hui dans “Do Outro Lado Do Azul”, incontestablement l’album le plus abouti, ambitieux et personnel de sa jeune carrière. Poursuivant son évolution hors des sentiers battus du jazz traditionnel, la jeune musicienne innove à la fois au niveau de l’orchestration (fondée principalement sur la guitare dans tous ses états (Mathieu “Tétéu” Guillemant) et ouverte à des instruments comme la clarinette (Gabriel Amargant) et le violon (Christoph Mallinger) apportant à l’ensemble des couleurs folk inédites) que des rythmes et fragrances d’un répertoire rompant définitivement avec le Great American Songbook pour s’aventurer principalement du côté de la musique brésilienne, référence majeure qui aimante l’ensemble de l’album et lui donne sa cohérence. Puisant, avec énormément de goût, dans la vaste production de cette richissime tradition, de sublimes chansons signées par des monstres sacrés de la samba comme Ismael Silva (Antonico), Roque Ferreira (Filho De Oxum), ou Paulinho da Viola (Dança Da Sildao) mais aussi des auteurs-compositeurs-interprètes plus confidentiels (Moacyr Luz, Luiz Tatit) et pour certains très contemporains (Rodrigo Maranhao et Roberta Sa), Motis, évitant cette solution de facilité qui aurait consisté à reprendre une fois encore les éternelles mêmes bossa nova légendaires, pose un regard très personnel sur ce répertoire, révélant de profondes affinités avec les rythmes, la langue et la culture de ce vaste continent culturel.

Agrémentant par ailleurs son disque de compositions originales d’une belle sensibilité (Brisa, petite samba espiègle et légère, ou encore Sensa Pressa, somptueuse et paresseuse ballade ensoleillée…) mais aussi d’une reprise magistrale de l’hymne du grand chanteur catalan Joan Manel Serrat, Mediterraneo — la jeune musicienne finit de faire de “Do Outro Lado Do Azul” une œuvre éminemment personnelle pouvant se lire comme l’expression d’une authentique émancipation créatrice en forme de manifeste esthétique.

Car si une fois encore Joan Chamarro et ses compagnons constituent le cœur de la formation, assurant une forme de continuité par rapport aux disques précédents à travers un ancrage jazz trouvant à s’exprimer par moments dans des arrangements évoquant de façon subliminale quelques jam sessions de la Nouvelle-Orléans, Andrea Motis, on le sent à chaque instant, affirme ici une autorité nouvelle tant au niveau des choix artistiques que de son propre jeu. A l’instar de sa voix qui, confrontée au Portugais, au Catalan et à l’Espagnol, gagne incontestablement en profondeur et en émotion tout en conservant sa fraicheur juvénile et la spontanéité d’un phrasé d’une extrême précision rythmique, Motis, que ce soit à la trompette, au bugle et sur deux thèmes au saxophone soprano, impressionne par son sens inné de la ligne et l’extraordinaire parcimonie de son style minimaliste et subtilement “désaffecté”. Avec “Do Outro Lado Do Azul” le jeune prodige en devenir a définitivement laissé place à une grande artiste…