Ahmad Jamal

Marseille
Sortie le 9 juin 2017
Label : Jazz Village / Pias
Dernier géant du piano d’un genre qu’il préfère appeler musique classique américaine que jazz, Ahmad Jamal est revenu récemment sur le devant de la scène avec Blue Moon et Saturday Morning, deux albums dans lesquels il a porté très haut son art d’un groove irréprochable. L’aventure se poursuit ici dans un disque très francophile ; avec sa rythmique toujours magnétique, le pianiste rend hommage à la capitale provençale, sa mer multicolore et son port tourné vers l’Afrique. Un symbole d’ouverture qui rime avec l’une des musiques les plus abouties d’aujourd’hui.
Dernier géant du piano d’un genre qu’il préfère appeler musique classique américaine que jazz, Ahmad Jamal est revenu récemment sur le devant de la scène avec Blue Moon et Saturday Morning, deux albums dans lesquels il a porté très haut son art d’un groove irréprochable. L’aventure se poursuit ici dans un disque très francophile ; avec sa rythmique toujours magnétique, le pianiste rend hommage à la capitale provençale, sa mer multicolore et son port tourné vers l’Afrique. Un symbole d’ouverture qui rime avec l’une des musiques les plus abouties d’aujourd’hui.

Un nouvel album du légendaire pianiste et compositeur Ahmad Jamal est toujours un événement très attendu. Mais Marseille rayonne d’un enthousiasme particulier car c’est une expression très personnelle de la sincère et mutuelle admiration qui existe, depuis plus de six décennies, entre l’artiste américain, Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, et le public français.

Le titre qui donne son nom au disque est une lettre d’amour à la capitale emblématique du sud, dont le magnifique port et l’éblouissante lumière ont inspiré de nombreux artistes et réalisateurs de cinéma au cours des années. Bien que l’album commence avec l’interprétation instrumentale de ce morceau, c’est la version vocale, avec une saisissante performance du rappeur français Abd Al Malik, qui attire immédiatement l’attention, principalement parce que ce genre de collaboration est un audacieux nouveau départ pour Jamal, âgé de quatre-vingt-six ans. La ville y est un personnage exerçant une puissante emprise sur quiconque parcourt ses rues et s’émerveille de ses nombreux monuments et de ses couchers de soleil à la beauté picturale. La ville est vivante. La ville est tout sauf silencieuse. La ville est intemporelle.

Marseille, ta voix ne cesse de m’appeler

Marseille, Marseille, ville d’éternité.


C’est à Jazz In Marciac en août 2016 qu’Ahmad Jamal a interprété ce titre en avant-première mondiale. En invitant la vocaliste Mina Agossi et le rappeur Abd Al Malik, Jamal a offert aux spectateurs du plus prestigieux festival de jazz français deux versions inoubliables de cette nouvelle composition « Marseille », dont il a, pour la première fois, écrit les paroles traduites par Mina Agossi.

On retrouve sur l’album la version scandée par le flow du rap d’Abd Al Malik, artiste complet, écrivain, cinéaste et poète, engagé contre l’illettrisme, et porteur comme Ahmad Jamal, d’un islam réfléchi, fait de tolérance et de désir d’intégration. Quant à celle de Mina Agossi qui ferme le disque, elle est sereine et relaxante, à la limite de l’hédonisme. Jamal fournit à ces paroles une toile de fond superbement évocatrice. Son choix d’accords soigneusement pesés et de motifs discrets qui s’attardent, comme suspendus dans les airs à la manière des rayons du soleil en été, est magistral.

Pour l’accompagner, on retrouve trois musiciens avec lesquels il a développé au fil du temps une véritable télépathie musicale – le batteur Herlin Riley, le contrebassiste James Cammack et le percussionniste Manolo Badrena. Ensemble, ils forment une section rythmique à la fois réactive et assurée, chaque membre faisant sentir sa présence sans perturber le continuum rythmique minutieusement construit de la musique, qui possède une pulsation hypnotique, accentuée par une large variété de subtilités. L’ensemble est aussi convaincant sur le puissant Baalbeck que sur l’alerte et minimal Sometimes I Feel Like A Motherless Child, transformation réellement surprenante de l’un des morceaux essentiels du répertoire de la musique gospel. Pots En Verre est une délicieuse promenade sur un nonchalant groove 6/8 qui démontre la précision rythmique de Cammack, précieux membre des groupes de Jamal dans les années 1980 et 1990 revenu au bercail, et de Riley, musicien inventif qui s’est fait remarquer avec le géant du jazz américain contemporain Wynton Marsalis. Sans parler de la richesse des textures créées par Manolo Badrena, l’ancien membre du groupe pionnier de la fusion, Weather Report. Sa collection de cloches, bongos, congas, bâtons de pluie et claves est utilisée brillamment pour moucheter la musique de nouvelles couleurs et de subtiles polyrythmies. Le riche canevas de timbres que Badrena tisse au sein des arrangements est une présence aussi bien orchestrale que percussive.

La relecture de l’hymne Autumn Leaves (Les Feuilles Mortes de Joseph Kosma) souligne le pur génie d’Ahmad Jamal. Sur ce standard, tellement connu et enregistré qu’il est extrêmement difficile de l’imprégner d’une nouvelle signification, le pianiste ne joue aucun cliché. Il embellit tout du long la mélancolie innée du thème par de luxuriantes harmonies. Miles Davis, qui a apporté une contribution mémorable à la version de Cannonball Adderley de cette chanson en 1958, aurait sans nul doute été charmé par l’approche de Jamal. Le trompettiste était l’un des plus illustres admirateurs du pianiste, et sa célèbre déclaration sur la façon dont Jamal utilisait à la fois l’espace et la dynamique a grandement contribué à attirer sur celui-ci l’attention du monde de la musique.

L’histoire de la vie de Jamal et son parcours dans la musique, depuis sa ville natale de Pittsburgh, sont plus qu’étonnants. Enfant prodige, il a pris ses premières leçons de piano alors qu’il n’avait encore que sept ans. Jamal s’est d’abord largement concentré sur l’œuvre du maître classique Franz Liszt avant de rencontrer le pianiste virtuose Art Tatum, l’un des pères fondateurs du piano jazz contemporain, qui l’a inspiré en tant qu’improvisateur.

Musicien professionnel à onze ans, Jamal a formé des quartets puis des trios, et au bout d’une décennie, obtenu un succès monstre avec son album de 1958, Live A The Pershing. Celui-ci a passé… cent huit semaines classé dans les charts et donné naissance au célèbre hit Poinciana.

Pendant les quatre décennies qui ont suivi, Jamal n’a cessé d’enregistrer, explorant une vaste gamme de formations allant de groupes électriques à des ensembles de cordes, mais au cours des années 1980 et 1990, il s’est réellement imposé comme un maître du trio acoustique avec piano. Les albums qu’il a enregistrés pour le label Birdology, notamment la trilogie The Essence, sont des classiques du jazz contemporain, et ce dernier disque, tout comme les récents Blue Moon et Saturday Morning qui ont inauguré sa collaboration avec Jazz Village, confirment qu’Ahmad Jamal reste au sommet de sa puissance créative. Marseille est le joyau d’un maître musicien qui n’en dit jamais plus qu’il ne faut, mais toujours assez pour que le monde s’arrête et l’écoute.

 AHMAD JAMAL PIANO
 JAMES CAMMACK CONTREBASSE
 HERLIN RILEY BATTERIE
 MANOLO BADRENA PERCUSSIONS
 ABD AL MALIK VOIX (4)
 MINA AGOSSI VOIX (8)