Africa 50 Years of Music

Coffret Longbox 18 cd’s
Sortie le 12 juillet 2010
Label : Discograph
Ambianceurs ou conteurs, griots ou opposants, les musiciens ont accompagné l’évolution démocratique des Etats africains de leur indépendance à nos jours.

En cinquante ans, ces artistes, autrefois perçus comme les représentants folkloriques d’un continent délaissé, sont devenus les véritables ambassadeurs culturels de nations en perpétuel devenir. Manu Dibango, Franco et Myriam Makeba ont ouvert la voie à la génération des Youssou Ndour, Salif Keita, Mory Kanté ou Touré Kunda. Leurs petits-enfants s’appellent aujourd’hui Magic System, Didier Awadi ou Mounira Mitchala.

En un demi-siècle, les artistes africains ont conquis leurs lettres de noblesse et une place de choix sur les scènes internationales. Ce coffret inédit regroupe en dix-huit CD le meilleur des musiques de tout un continent.

Plus de 250 titres retracent cette épopée musicale en Afrique de l’Ouest et Centrale, comme en Afrique de l’Est, lusophone, australe et au Maghreb. Un coffret d’anthologie qui marquera l’histoire de la musique africaine !

Pierre RENE-WORMS (RFI)
Indépendances africaines

Le choc de la Seconde Guerre mondiale

« Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres », écrivait George Orwell dans La Ferme des animaux, parabole de l’effondrement des utopies communistes, publiée en 1945. Le monde émergeait alors d’une guerre calamiteuse, où l’Afrique avait versé son écho. « Quand les armes pleurent,/Ca n’est pas bon, ça n’est pas bon/ Tout à coup, patatrac cadavéré/Le peuple cadavéré, les militaires cadavérés », chantait en 1984 le Congolais Zao dans Ancien Combattant, inspiré d’une chanson composée en 1969 par le Malien Idrissa Soumaoro.

Conformément à l’aphorisme employé dans Peau noire et Masques blancs par le Martiniquais Franz Fanon (1952) – « Dans le monde où je m’achemine, je me créé interminablement »-, c’est dans les vingt ans qui suivirent le début de la seconde guerre mondiale que le destin des Afriques se scella, et se dansa, accompagné par l’énergie des musiques circulatoires. Du Caire à la Jamaïque, de Dakar à Soweto, elles sont la bande-son des révolutions du XX é siècle.

La guerre fait craquer les schémas coloniaux, et le swing impose sa modernité. En 1941, la Charte de l’Atlantique de Winston Churchill et Franklin Roosevelt promet à l’issu du conflit un statut de « self-government » aux peuples colonisés d’Asie et d’Afrique. A la Conférence de Brazzaville de 1944, le général de Gaulle s’engage sur la même voie, mais pas question d’indépendance – à titre d’exemple, en 1947, l’insurrection malgache est réprimée dans le sang. Cette même année, l’empire britannique est amputé de l’Inde.

La France perd l’Indochine en 1954. Nasser affronte les occidentaux en nationalisant le Canal de Suez en 1956. Le peuple des rues, les élites, les dissidents écoutent dans le même ensemble la voix Oum Kalsoum, Du Caire à la médina de Dakar, on entend ses chants d’amour à la fierté arabe, et à la patrie élargie. Le Maroc et la Tunisie quittent le giron français en 1956, rejoignant la catégorie des Etats souverains, où figurent déjà l’Egypte, mais aussi l’Ethiopie et le Libéria, indépendant depuis 1847.

Le high-life sème le vent de la révolte

Le Royaume-Uni avait le premier initié le processus de révision constitutionnelle dans ses quatre possessions d’Afrique occidentale : la Gambie, le Sierra-Leone, le Nigéria, et la Gold-Coast. Ces pays sont le royaume du high-life, mélanges de fanfares et guitares, de chants d’église et de jazz new-orleans. Avec la traite d’esclaves, l’Afrique est devenue le plus grand pourvoyeur de rythmes du monde. Mais entre l’Amérique et l’Afrique la transhumance inversée avait commencé dès 1820. L’American Colonisation Society, organisation philanthropique noire, envoie des esclaves affranchis sur l’île Sherbo en Sierra-Leone, puis fonde en 1824 le Liberia. L’Angleterre fournit son quota d’hommes « libres » en arraisonnant des navires négriers interdits. Les terres sont inhospitalières, et certains les quittent au profit du Dahomey (le Bénin).

En 1919, le Jamaïcain Marcus Garvey, premier théoricien du mouvement noir, fonde aux Etats-Unis l’Universal Negro Improvment Association (UNIA), dont le slogan est « la rédemption par le rapatriement », et une compagnie de navigation, la Black Star Line, chargée de ce rapatriement. Après une intense activité, la Black Star Line va à la banqueroute, Garvey est emprisonné, et, renvoyé en Jamaïque, il déclare avant de s’exiler en Angleterre : « Regardez vers l’Afrique, un roi noir va y être couronné ». C’est Haïlé Sélassié, empereur d’Ethiopie, le ras (souverain) tafari (qui sera craint). Au même moment, Leonard Percival Howell , autre Jamaïcain, prédicateur et un peu sorcier ayant longtemps exercé à Harlem, fonde une secte, les rastafaris. Avec l’arrivée des sound-systems au milieu des années 1960, naît le reggae, que la parole de Bob Marley imposera en Afrique, et que la génération suivante, celle des enfants de l’indépendance – l’Ivoirien Alpha Blondy, puis le Sud-Africain Lucky Dube – vont utiliser comme arme politique contemporaine. Au Nigeria, la juju music , influencé par les sound-system caribéens, et l’afro-beat feront de même.

En 1957, la Gold-Coast est le premier pays à obtenir l’indépendance prenant alors le nom d’un ancien empire africain, le Ghana. Le 15 avril 1958, à Accra, capitale du Ghana, se réunit la première Conférence des Etats indépendants d’Afrique. Elle a été convoquée par le premier ministre Kwame Nkrumah (1909-1972), un adepte de la désobéissance civile que les Britanniques avaient encabané en 1951. Prônant l’unité africaine, il est à l’origine de l’éphémère Union des Etats africains qui rassemble en 1961 le Ghana, la Guinée et le Mali. Son compatriote et ami politique, super star du high-life qui sévit dans les années 1950 dans le Golfe de Guinée, E.T. Mensah en fait un tube : « L’Afrique s’est maintenant réveillée/Qui conçoit l’unité » (in Ghana-Guinéa-Mali).

Une seule Afrique

Panafricain convaincu, Nkrumah avait épousé Fathia Rizk une Egyptienne copte. Il prônait « une seule Afrique », affirmant : « dans le passé, le Sahara nous divisait, aujourd’hui il nous unit ».

La conférence d’Accra fut le premier rendez-vous de l’Afrique arabe et musulmane avec celle des Noirs chrétiens, musulmans ou animistes. Entre ces deux Afriques, subsistait un contentieux muet : la traite esclavagiste, commencée avec les grandes conquêtes musulmanes au VII è siècle, et menée par les marchands arabes, notamment sur la côte est de l’Afrique, jusqu’au XIX è siècle - 17 millions d’Africains auraient été ainsi razziés et déportés par les négriers musulmans.

Ainsi les rituels fous, entêtants des gnawas marocains rappellent-ils ce passé, le rythme circulaire d’une puissance stupéfiante des qraqeb (les castagnettes de fer) résonnant à Essaouira, à Marrakech ou dans les faubourgs de Tunis. « La dimension qui manque aux Maghrébins, disait en 2006 Amazigh Kateb, fils de l’écrivain algérien Kateb Yacine, et fondateur du groupe Gnawa Diffusion, c’est la dimension africaine. Pour se réconcilier avec celle-ci, on doit d’abord se réconcilier avec les Africains que l’on a spoliés, c’est-à-dire les Gnawas, les Noirs du Maghreb. »

Les indépendances n’ont pas tout résolu, l’Islam n’en a pas fini avec les discriminations, comme l’avait supposé Malcom X, militant des Black Panthers converti à l’Islam, qui mit les pieds en Afrique pour la première fois en 1964, pour un pèlerinage à La Mecque et une visite au Nigéria. Quarante ans plus tard, Youssou N’Dour a publié Egypt, enregistré avec un orchestre moyen-oriental en souvenir d’Oum Kalsoum et en hommage aux confréries soufies sénégalaises, remportant pour cela un Gramy Awards américain en 2005.

Dès 1954, la guerre d’Algérie avait acculé la France au changement. Gaston Defferre, ministre de la France d’outre-mer, affirme : « Ne laissons pas croire que la France n’entreprend des réformes que lorsque le sang commence à couler ». Symbole du patriotisme et du nationalisme algériens, Warda, née en juillet 1940 à Puteaux d’une mère libanaise et d’un père algérien, interprétant dès l’âge de 14 ans, des chansons patriotiques (Bladi Ya Bladi, Ô mon pays). Le père gère un foyer d’ouvriers à Boulogne Billancourt, épicentre dès 1936 de l’Etoile nord-africaine, première organisation nationaliste algérienne. En 1958, la famille entière est contrainte à l’exil à Beyrouth. Warda chante à la radio Ana Mil Djazaïr Ana Arabia (Je suis d’Algérie, je suis arabe). Partie en Egypte, possible héritière d’Oum Kalsoum, elle renonce à chanter sous la pression de son mari, en 1963, quelques mois après l’indépendance de l’Algérie.

Des bouquets d’indépendance

Les années 1950 ont vu fleurir une génération de leaders africains marquants, tous formés dans les universités de la métropole française. Certains sont déjà des notables de la République française, parfois députés et secrétaires d’Etat de la IVè République, tels le Sénégalais Léopold Sédar Senghor ou l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny (fondateur en 1946 du Rassemblement Démocratique Africain, le RDA), d’autres ont été très marqués par le syndicalisme, comme le Malien Modibo Keita ou le Guinéen Sékou Touré. L’heure est à l’internationalisme et au soulèvement.

En mars 1956, Deferre promeut une loi cadre remplaçant les fédérations de l’AOF (Afrique Occidentale française) et de l’AEF (Afrique Equatoriale française) par des territoires dotés de capitales. En 1958, la nouvelle constitution de la V è République institue une Communauté africaine, dont les pays membres partagent avec la France des « compétences communes », comme la politique étrangère et la défense. Soutenu par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, alors ministre d’Etat à Paris, Charles de Gaulle essuie cependant un refus : celui du Guinéen Sékou Touré, qui proclame l’indépendance du pays en 1958. Furieux, De Gaulle rappelle immédiatement les fonctionnaires français et supprime toute aide économique à Conakry. « Adieu, De Gaulle, adieu !... Nous ne vous avons pas injurié/Nous ne vous avons point de coups roué/Adieu, retourner chez soi ne peut provoquer la bagarre ! », chante la rue de la capitale guinéenne.

Les ennuis gaulliens se multiplient. Au Cameroun, l’Union des populations du Cameroun de Ruben Um Nyobé, qui réclame l’indépendance depuis 1948, a pris le maquis en 1956 pour mener une guérilla violemment réprimée par la France. En janvier 1959, les colonies françaises du Sénégal, du Soudan français, de la Haute-Volta (Burkina Faso) et du Dahomey (Bénin) forment la Fédération du Mali, dont de Gaulle reconnaît l’indépendance en juin 1960, juste avant que des dissensions internes ne la fassent éclater. Ce fut alors, selon l‘expression de Michel Debret, « une ruée vers les indépendances ». En 1960, dix-sept territoires coloniaux, dont quatorze français, se détachent de leurs tuteurs.

Pourtant, ce n’est que trente ans plus tard que l’ensemble de l’Afrique sera décolonisée : les territoires portugais, engagés dans une guerre coloniale dure, seront libérés en 1975 par la Révolution des Œillets ; puis ce sera le Zimbabwe en 1980, et dix ans plus tard, la Namibie enfin dégagés de la tutelle Sud-Africaine.

De l’importance musicale de la Guinée

Ahmed Sékou Touré (1922-1984) fut élu député à l’Assemblée nationale française en 1954. C’est, écrit le journaliste Jean Lacouture « le surgissement d’un personnage d’exception, Ahmed Sékou Touré, tribun, apparatchik, leader charismatique, tacticien consommé, chef de bande ». Comme au Ghana, la Guinée indépendante va très vite s’embarquer dans un régime totalitaire. « Ce 28 septembre 1958, présenté aux Guinéens comme l’annonce d’une liberté, allait ouvrir pour eux une ère d’oppression délirante », poursuit Lacouture.

Pourtant la Guinée fera longtemps figure d’exemple, arrosant l’Afrique de l’Ouest de son excellence musicale, et de son système étatisé. A Paris, Sékou Touré avait fait la connaissance d’un poète et musicien guinéen, Keita Fodéba, jeune activiste nationaliste, griot et étudiant en droit à la Sorbonne. Il avait fondé en 1947 l’ensemble Fodéba-Facélli-Mouangue, puis les Ballets africains, intégrants des chorégraphies et des rythmes de toute l’Afrique de l’Ouest et beaucoup de modernisme européen. Très populaire dans les années 1950, il devient le bras armé de Sékou Touré en matière de musique, avant de mourir en 1969 dans une geôle où l’avait jeté son ancien ami, et cousin, devenu dictateur.

Pour Sékou Touré, la musique est une arme de construction nationale. Le territoire est quadrillé par le ministère de la jeunesse, des affaires artistiques et sportives – 2 422 unités administratives révolutionnaires, et autant de groupes créés, qui à force de concours et compétitions aboutissent à huit orchestres, trois ballets nationaux, un ensemble orchestral.

C’est dans ces conditions qui naquirent le Bembeya Jazz – créé en 1961, nationalisé en 1966 - , les Amazones de Guinée, etc. Les textes, qui n’excluent pas quelques fantaisies, sont avant tout être des hymnes à l’éducation du peuple. Les chansons racontent des épopées anti-colonialistes, comme celles de Samory, roi mandingue emprisonné par les Français en 1900. Les instruments se modernisent, mais les traditions perdurent : ainsi, le griot Sory Sandia Kouyaté raconta-t-il l’épopée mandingue au sein des Ballets Africains, puis de l’ensemble instrumental et choral de la voix de la Révolution. Au Mali, le régime du président Modibo Keita prend modèle sur la Guinée « socialiste ». Les musiciens sont salariés et les orchestres reconnus par l’Etat sont subventionnés.

Le profil de dictateur de Sékou-Touré ne décourage pas son amie, la chanteuse sud-africaine Myriam Makéba, créatrice en 1962 de Pati Pata et expression rayonnante des années dorées du jazz sud-africain. Opposante frontale au régime de l’apartheid, Myriam Makéba a fui l’Afrique du sud lors d’une tournée aux Etats-Unis en 1959. Elle est répudiée par le régime de Pretoria en 1960, l’année du massacre de Sharpeville, où la police fait feu sur des manifestants noirs.

Myriam Makeba rencontre aux Etats-Unis le chanteur d’origine jamaïcaine Harry Belafonte, gagne un Grammy Award avec lui en 1965 et épouse en 1968 le leader afro-américain Stokely Carmichael, avec qui elle se réfugie en Guinée – en pleine guerre du Viet-Nam, la vie leur est devenue intenable aux USA.

En 1973, elle s’en sépare et va vivre au Libéria convainquant son amie Nina Simone de la rejoindre sur cette terre-mère africaine (Nina Simone y entretiendra une liaison passionnée avec C. C. Dennis, un homme politique libérien proche du gouvernement Tobert).

Et pendant ce temps, le Congo danse

Des chefs d’œuvres naissent de ces turbulences croisées, comme Indépendance Cha Cha, composé en 1960 par le Congolais Joseph Kabassele Tshamala, alors que le colonisateur belge ouvre la conférence de la Table ronde à Bruxelles, après deux ans d’émeutes au Congo belge. C’est dans un chaos total et sur fond d’exode de la population blanche, que le pays devient République du Congo le 30 juin 1960. Lors de la passation des pouvoirs, le premier ministre et leader charismatique, Patrice Lumumba s’en prend violemment au colonialisme : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un Noir on disait “ Tu ”, non certes comme à un ami, mais parce que le “ Vous ” honorable était réservé aux seuls Blancs ? ».

Fondateur de l’African Jazz, Joseph Kabassele, incarnant la fonction politique de la musique populaire d’alors, fut secrétaire à l’information du gouvernement Lumumba, qui fut assassiné en 1961 au Katanga. « Grand Kallé » paya cher un engagement lumumbiste, dont le général Mobutu, maître du Congo dès 1965 prit ombrage. L’Afrique entière danse ce jazz très mélangé, né dans les années 1930, la rumba zaïroise. C’est une transposition du plus nègre des rythmes de danse cubains, que les intellectuels européens vont s’essayer à danser à La Havane au début des années 1960, avec le cha cha cha, pour fêter la Révolution castriste de 1959. Que d’espoirs ! Par sa luxuriance artistique, Cuba la communiste et ses marins vont bien sûr alimenter les rêves marxistes propagés par Moscou.

Des dirigeants qui font de la musique une arme

Marxistes ou non, les leaders africains aimant la musique sont d’ailleurs nombreux. En 1917, Mindelo gagne un lycée, le premier d’Afrique. En 1936, quatre ans après l’instauration de l’ Estado novo d’Antonio de Oliveira Salazar, qui gouvernera le Portugal en dictateur jusqu’en 1968, une revue Claridade y est publiée par ses anciens élèves. Elle rassemble écrivains et poètes de l’archipel, dont un homme d’importance : Amilcar Cabral. Etudiant en agronomie à Lisbonne, ce dissident, admirateur de Leopold Senghor, fonde en 1952 le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et des îles du Cap-Vert (PAIGC), avant d’entrer dans la clandestinité après la répression sanglante de la grève des dockers de Bissau en 1959. Le 20 janvier 1973, Amilcar Cabral est assassiné à son domicile de Conakry.

Amilcar Cabral écrivait des mornas - Cesaria Evora en a chanté une, Regresso. Mais en 1975, alors que le Cap-Vert, avec la Guinée, se libère du joug colonial, ses nouveaux dirigeants ignorent la morna, apparentée au fado fataliste, marquée des balancements brésiliens, préférant redorer le blason de son africanité et promouvoir le batuque nègre.

L’avenir

Et les enfants de l’indépendance ? Angélique Kidjo est née le 14 juillet 1960, le jour de la dernière Fête nationale française, juste avant l’indépendance de son pays, proclamée le 1er août 1960. Elle vit aujourd’hui à New-York. Son enfance se déroule sur fond d’instabilité politique – dix gouvernements en dix ans, une cohorte de lieutenants-colonels, jusqu’à l’arrivée en 1972 par la force du commandant Mathieu Kérékou, marxiste-léniniste, qui régnera sur le pays jusqu’en 1989. Elle vit aujourd’hui aux Etats-Unis, tandis que les Chinois investissent dans l’industrie cotonnière, principale ressource d’un pays qui fut l’épicentre de la traite et de l’animisme vaudou. L’Afrique, dit l’ethnomusicologue Gilbert Rouget, a été rattrapée par le fléau contemporain : la vitesse. Elle a dû gérer ses paradoxes. « Mathieu Kerekou, président marxiste, avait peur des fétichistes, donc il a nommé Yawo Rischa, camarade commissaire au peuple préposée aux cultures fétichistes, une femme extraordinaire, belle comme tout. Fille du Dieu Xango, elle a négocié un compromis avec Kerekou : le vodoun était reconnu, les couvents laissés en paix, moyennant quoi la durée des initiations était ramenée à quinze jours-trois semaines. Mais dès lors, il était impossible d’apprendre en si peu de temps ces chants si compliqués, de chambarder la personne humaine par l’exercice de la possession. » Attaché au Musée de l’Homme de Paris, Gilbert Rouget a enregistré en 1964 à Porto Novo des chants vodoun à jamais perdus. Les indépendances africaines ont cinquante ans, il ne fallait pas en laisser s’échapper les signaux sonores.

Véronique Mortaigne