Sabry Mosbah

Mes Racines / My Roots
Sortie le 24 novembre 2017
Label : Accords Croisés
Si loin, si proche : c’est là toute l’histoire du Maghreb et de la France, du moins telle que celle-ci l’envisage. Des siècles de heurts et d’échanges, de rejet et de partage, d’incompréhension et de fascination n’y ont rien changé. Pour beaucoup, l’Afrique du Nord incarne encore le seuil de l’Orient, la porte ouverte à ses vertiges d’absolu mystique et de misère sordide, de luxe et de cruauté, d’espaces vierges et de cloisonnements inviolables. En attendant, pendant que médias et penseurs à courte vue recyclent ces projections séculaires, les parant d’atours plus conformes à l’actualité sans rien changer à leur essence affabulatoire, le Maghreb vit son histoire, son temps, ses mirages et son réel sans se soucier du regard de quiconque.
Si loin, si proche : c’est là toute l’histoire du Maghreb et de la France, du moins telle que celle-ci l’envisage. Des siècles de heurts et d’échanges, de rejet et de partage, d’incompréhension et de fascination n’y ont rien changé. Pour beaucoup, l’Afrique du Nord incarne encore le seuil de l’Orient, la porte ouverte à ses vertiges d’absolu mystique et de misère sordide, de luxe et de cruauté, d’espaces vierges et de cloisonnements inviolables. En attendant, pendant que médias et penseurs à courte vue recyclent ces projections séculaires, les parant d’atours plus conformes à l’actualité sans rien changer à leur essence affabulatoire, le Maghreb vit son histoire, son temps, ses mirages et son réel sans se soucier du regard de quiconque.

Ainsi, pour Sabry Mosbah, jeune Tunisien de 35 ans, intituler son album Asly (« Mes racines ») n’équivaut en rien à affirmer une identité plus ou moins mythique conforme aux visions entachées d’exotisme qui se propagent encore par-delà les rivages méditerranéens. Ses racines, le fils de Slah Mosbah, chanteur qui compte parmi les plus célèbres de Tunisie, précise d’emblée qu’elles sont aussi bien tunisiennes qu’occidentales, sans âge que contemporaines. « J’ai appris les formes traditionnelles sur le tas rappelle-t-il. Ayant grandi dans une famille de musiciens, les choses sont venues naturellement. Mais j’écoutais aussi du rock quand j’étais plus jeune. J’étais fou de Green Day, plus tard de Michael Jackson. Les musiques occidentales, je les ai écoutées comme tout le monde. » Une pluralité qui se retrouve partout dans ce disque, depuis sa conception entre Paris, Tunis et Bruxelles jusqu’à sa matière même, qui emprunte aussi bien au rock qu’à diverses formes de musique populaire tunisienne.

De la part de Sabry, c’est l’aboutissement d’une réflexion longuement mûrie. « Je voulais exprimer mes origines, revenir à la musique avec laquelle j’ai été élevé. On a beaucoup travaillé sur les rythmes tunisiens à 5/4, 6/8 ou 4/4 et utilisé deux sortes de tambour bendir : celui qu’on tient à la main et celui qu’on met sur le genou, dont le jeu est plus agressif. Avec Sofyann Ben Youssef, on a aussi cherché à introduire un son plus rock. » Diplômé en musicologie, pianiste et producteur avisé, Sofyann Ben Youssef apparaît aujourd’hui comme l’un des artistes tunisiens les plus innovants de sa génération. On lui doit notamment la création de Bargou 08 et la réalisation, en 2017, de son album rêche, plein de vigueur et de nerf ; il est également claviériste et producteur au sein de Kel Assouf, excellente formation de rock touareg. Aussi n’est-il pas étonnant que les deux hommes se soient bien entendus. « Le rock touareg compte parmi mes influences, reconnaît Sabry. Je suis un grand fan de Tinariwen et de Songhoy Blues. En discutant avec Sofiane, il s’est avéré qu’il y avait beaucoup d’informations dans ma musique et que ce n’était pas vraiment nécessaire. Nous avons donc opté pour une formation vraiment rock, avec quelques séquences electro, tout en conservant une identité tunisienne grâce à la guitare défrettée, qui permet de jouer des ¼ de tons, et à des rythmes comme le mjarred qu’on entend dans Rock Mjarred. »

Sabry en est ainsi arrivé à esquisser peu à peu un panorama passionnant de la musique tunisienne. « Je voulais toucher un peu à tous les styles de chez nous : soufi, malouf, hadhra, et aussi le mezoued (le folklore).J’aime la chanson Lommima, qui clôt l’album, parce que, tout jeune, j’ai assisté à un spectacle où les plus grands artistes tunisiens étaient invités. Pour ce titre, tout le monde s’est réuni sur scène pour chanter et j’ai ressenti une émotion très forte. La version originale est plus gaie mais je l’ai interprétée pour moi, en réponse à une démarche intime. »

Tout s’est passé finalement comme si cette quête d’un pays multiple, profondément aimé et toujours considéré avec lucidité, objet d’attentes, d’amertumes et d’espoirs, avait amené Sabry à se rencontrer lui-même, à la fois comme être intime et comme autre neuf, inconnu, « étranger et rêveur », ainsi qu’il le chante avec tant de douce mélancolie dans Sid Lassyed. « C’est vrai, je vis comme ça. Un mot déclenche toujours un rêve. Je rêve même les yeux ouverts. C’est un morceau qu’Abdoo Saadaoui a écrit pour moi, sur mesure. Je l’ai composé à une période un peu dure, emplie de doutes. J’avais sorti Mansit qui est devenu une sorte d’hymne dans mon pays et je me demandais comment continuer. L’écriture d’Abdoo m’a beaucoup aidé. »

Si loin, si proche : ce rapport géographique, culturel et historique se retrouve aussi bien dans les âmes et les corps qui, d’une rive à l’autre, en perçoivent la vibration esthétique. Pour Sabry, le processus créatif qui a mené à cet album aura été une épreuve de vérité, du collectif à l’individuel et vice-versa. Il a abouti à la conquête d’un premier pic, par où se découvre le chemin parcouru. « J’ai 35 ans, conclut-il. Ce disque représente l’aboutissement de tout ce que j’ai accompli jusqu’à maintenant. »